Baisse de la force musculaire
L’examen clinique confirme la baisse de la force musculaire au niveau des membres supérieurs et inférieurs. La pression artérielle est mesurée à 115/82 mmHg et la fréquence cardiaque est lente à 48/min. Il n’y a pas de signes auscultatoires d’oedème pulmonaire aigu et il existe des oedèmes prenant le godet au niveau des chevilles. Le bilan biologique réalisé immédiatement à son admission montre une hyperkaliémie à 7,1 mEq/l, un taux de créatinine sérique à 220 µmol, une clairance de Cockcroft calculée à 25 ml/min, un CO2 total à 24 mmol/l, un pH sanguin à 7,30, un taux de CPK (créatine phosphokinase) à 160 UI/l (normale < 180 UI/l). L’ECG montre des ondes T pointues et symétriques dans les dérivations précordiales V1-V5.
Ce patient a une fibrillation auriculaire lente, depuis deux ans, pour laquelle il reçoit un traitement anticoagulant. Il a une dyspnée d’effort et une orthopnée (deux oreillers pour dormir). Il a fait dans le passé plusieurs épisodes d’oedème aigu du poumon.
Outre cette insuffisance cardiaque congestive, le patient a une maladie athéromateuse systémique touchant l’aorte abdominale qui est le siège de nombreuses plaques, les artères carotides et les artères rénales également infiltrées et siège de sténoses. Il a bénéficié, il y a trois ans, d’une endartériectomie de la carotide primitive droite pour une sténose serrée > 80 %, et, il y a deux ans, d’une angioplastie de l’artère rénale gauche pour une sténose également très serrée, révélée par une hypertension artérielle réfractaire au traitement. La revascularisation fut suivie d’une évolution favorable du contrôle tensionnel (allègement du traitement antihypertenseur) et d’une amélioration modérée mais significative de l’insuffisance rénale. Avant l’angioplastie, le taux de créatinine sérique avait progressé de 13 à 20 mg/l (175 µmol/l). Au décours de l’angioplastie, il s’est stabilisé à 17 mg/l (150 µmol/l) avec une clairance calculée à 35 ml/min. L’insuffisance rénale s’est donc aggravée par rapport à la situation antérieure de postangioplastie.
Au moment de son admission aux urgences, le patient recevait le traitement suivant : furosémide 60 mg/j, spironolactone 50 mg/j, captopril 100 mg/j, digoxine 1 cp cinq jours sur sept, Préviscan 1 cp/j, maintenant un taux d’INR entre 2 et 3. Pendant le transfert de son domicile à l’hôpital, réalisé par le Samu, le médecin urgentiste, au vu du tracé électrocardiographique, prendra l’initiative d’administrer per os 45 g de polystyrène sulfonate de sodium dans du sorbitol à 70 % associés à l’administration lente I. V. (en 15 min) de 10 ml de gluconate de calcium à 10 %. La persistance des signes ECG d’hyperkaliémie avec une kaliémie > 6 mEq/l chez un patient insuffisant rénal chronique conduira à réaliser en urgence une séance d’hémodialyse. Au décours de celle-ci, la kaliémie est à 3,8 mEq/l et les ondes T pointues ont disparu sur le tracé électrocardiographique.
Commentaire 1
Ce patient, cumulant une insuffisance cardiaque congestive et une insuffisance rénale chronique, pouvait mourir à son domicile d’une hyperkaliémie iatrogène induite par le traitement antialdostérone (spironolactone + IEC). La chute à domicile, secondaire à une faiblesse musculaire extrême, a anticipé l’arrêt cardiaque et a permis de sauver ce patient. L’arrêt circulatoire par paralysie du muscle cardiaque ou fibrillation ventriculaire est la manifestation clinique la plus fréquente d’une hyperkaliémie > 6 mEq/l. Une paralysie musculaire touchant simultanément les quatre membres peut parfois précéder l’arrêt cardiaque. Généralement, les muscles oropharyngés et respiratoires sont épargnés. Souvent, le patient alité décrit une difficulté à relever les paupières, associée à une immense fatigue générale l’empêchant de mobiliser ses membres. Lorsqu’il n’est pas alité, il peut chuter subitement et ne peut alors se relever. Une telle symptomatologie doit immédiatement faire évoquer une hyperkaliémie avec toxicité musculaire, laquelle apparaît lorsque la kaliémie est > 6 mEq/l. En dehors des causes iatrogènes et de l’insuffisance rénale dialysée, un tel tableau clinique est rare. La paralysie périodique hyperkaliémique est une myotonie aggravée par le potassium. Il s’agit d’une affection génétique de transmission autosomique dominante et dont la prévalence en France est estimée à 1 cas pour 100 000 habitants. Elle se révèle dans l’enfance ou chez l’adulte jeune. Chez un patient âgé, il faut d’emblée envisager une hyperkaliémie iatrogène associée à une insuffisance rénale plus ou moins avancée. Notre patient, âgé de 80 ans, a une insuffisance rénale encore modérée, de stade 3 (30 à 45 ml/min) et il reçoit pour son insuffisance cardiaque congestive un traitement par IEC associé à un diurétique de l’anse et à un diurétique épargneur de potassium. L’hyperkaliémie est induite par un hypoaldostéronisme secondaire à l’action additive de l’IEC et de l’antialdostérone. Il est possible que l’hyporéninisme hypoaldostéronisme souvent présent à cet âge ait aggravé l’effet des deux classes thérapeutiques. Il est recommandé, chez le sujet âgé traité par un IEC associé à un diurétique épargneur de potassium, de contrôler régulièrement la kaliémie, dont la valeur ne doit jamais dépasser 6 mEq/l.
Commentaire 2
L’indication cardiologique de l’IEC repose sur la réduction des résistances artérielles périphériques induites par cette classe thérapeutique (suppression de l’effet vasoconstricteur de l’angiotensine II associée à une inhibition de la dégradation de la bradykinine qui potentialise l’effet vasodilatateur des kinines). La résistance à l’éjection ventriculaire est ainsi abaissée, ce qui améliore le travail cardiaque. Le pronostic à long terme des patients en insuffisance cardiaque est amélioré par cette classe thérapeutique quel que soit le stade de la maladie. Le sodium contribue à la résistance vasculaire en augmentant le tonus vasoconstricteur artériolaire et la réactivité vasculaire à l’action des différentes substances vasoactives circulantes comme l’angiotensine, les catécholamines, l’endothéline. Il est donc nécessaire, chez ce patient en insuffisance cardiaque congestive, de lutter contre la rétention sodée par des natriurétiques. Ceux qui inhibent la réabsorption du sodium au niveau de l’anse de Henlé sont les plus puissants et le furosémide est donc tout à fait justifié. Ceux qui inhibent la réabsorption du sodium au niveau du tube collecteur sont essentiellement des inhibiteurs compétitifs de l’aldostérone et ont, de ce fait, une action de rétention du potassium, conséquence de l’inhibition de la réabsorption sodée. L’amplitude de l’effet dépend du niveau de concentration plasmatique de l’aldostérone.
Commentaire 3
Comment utiliser les IEC et les antialdostérones chez un patient âgé, insuffisant cardiaque et atteint d’une insuffisance rénale chronique par néphropathie vasculaire ? Tout d’abord, l’IEC n’est pas contre-indiqué chez un patient en insuffisance rénale chronique. On recommande néanmoins de vérifier la créatininémie, une semaine après son introduction, afin de s’assurer qu’il n’y a pas eu d’aggravation importante de la fonction rénale. On tolère une élévation de 25 % du taux initial de créatininémie après introduction d’un IEC. Au-delà, il faut arrêter le médicament et rechercher une sténose bilatérale des artères rénales. Notre patient était parfaitement surveillé sur ce plan et avait déjà bénéficié d’une revascularisation rénale. L’IEC pouvait donc être prescrit pour traiter l’insuffisance cardiaque congestive. L’aggravation de la fonction rénale constatée au moment de l’admission est à mettre sur le compte d’une baisse du débit cardiaque secondaire à l’hyperkaliémie. La plupart des IEC ont une élimination rénale. La posologie doit être adaptée à la clairance de la créatinine. La dose de captopril reçue par ce patient était maximale (100 mg) pour le niveau d’insuffisance rénale (clairance de 35 ml/min).
Les diurétiques épargneurs de potassium sont contre-indiqués dans l’insuffisance rénale sévère ou aiguë. Ils sont déconseillés avec les IEC à cause du risque d’hyperkaliémie létale lorsqu’il existe une insuffisance rénale chronique. Chez ce patient porteur d’une insuffisance rénale chronique de stade 3, il fallait choisir l’IEC pour le traitement de son insuffisance cardiaque. Il ne fallait pas associer les deux classes thérapeutiques compte tenu du risque d’hyperkaliémie létale.
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