Elle est martiniquaise par son père et russe par sa mère (pharmacienne de son état). Mais le Dr Claudine Neisson-Vernant est d'abord parisienne, amoureuse de ce cinquième arrondissement où elle a passé son enfance, près de l'officine maternelle.
C'est dans la capitale qu'elle a poursuivi ses études de médecine, réussissant l'externat en 1962, devenant attachée des hôpitaux et assistante universitaire en parasitologie et médecine tropicale. Une spécialisation qu'elle a choisie davantage pour assouvir son goût des voyages que par attachement à ses racines familiales. « La Martinique, j'aimais y séjourner l'été, mais c'était juste pour moi une destination de vacances, pour aller voir la distillerie que dirigeait mon père, ingénieur chimiste, qui n'y retournait lui-même que pour la campagne de récolte de la canne », explique-t-elle.
Une aventure médicale passionnante
Et le parcours du Dr Neisson serait sans doute resté métropolitain, de Cochin à Ambroise-Paré, en passant par le Kremlin-Bicêtre, toujours dans des services de parasitologie, sans son mari, Jean-Claude Vernant, chef de clinique en neurologie. Ce natif de Seine-et-Marne décide un beau jour de 1974 de rejoindre l'hôpital de Fort-de-France, entraînant avec lui sa femme et leurs deux enfants.
Médecin biologiste hospitalier, Claudine Neisson-Vernant se remet à la clinique lorsqu'elle est alertée sur les dangers locaux de la transfusion sanguine, collaborant à un service de jour de patients VIH. « J'ai eu le privilège de vivre alors une aventure médicale passionnante, raconte-t-elle, en créant la section Aides de Martinique et en montant en réseaux des groupes de soignants. »
Mais, de même qu'elle n'avait pas vraiment choisi de s'établir dans les Caraïbes, elle va interrompre, sans le vouloir vraiment, sa carrière d'infectiologue, à la suite de la mort de son père. « Mon fils Grégory, qui avait été"programmé"dès l'âge de deux ans par son grand-père pour reprendre l'affaire, était trop jeune. J'avais promis à mon père, sur son lit de mort, de faire la soudure. »
400 000 bouteilles par an
Et c'est donc sans enthousiasme particulier que le Dr Neisson-Vernant tient parole et quitte son service, alors, se souvient-elle, que commencent tout juste les premiers essais de trithérapie. La voilà devenue du jour au lendemain P-DG d'une entreprise qui emploie une quinzaine de personnes, et plus du double en période de récolte. « Nous cultivons les cannes sur 40 hectares et broyons 400 000 tonnes, explique-t-elle. C'est la plus petite des neuf distilleries encore installées en Martinique, avec une production de 2 000 hectolitres d'alcool pur, soit 400 000 bouteilles que nous commercialisons sur place à 99 %. Cela représente seulement 3 % du volume distillé dans l'île, mais nous sommes sur une niche de rhum haut de gamme. A la différence des rhumeries industrielles qui distillent de la mélasse, nous distillons du jus de canne dans une colonne tout en cuivre, soixante-douze heures durant et non trente-six comme les autres producteurs, avec des réglages qui sont un secret-maison. »
Résultat, un distillat qui se distingue par sa rondeur et sa finesse : « Un grand rhum aérien, complexe en nez, long et rond en bouche, avec des parfums floraux et d'agrumes », assure le médecin-distillateur.
Apparemment, les amateurs apprécient : la production a été sans cesse récompensée depuis l'instauration des appellations d'origine contrôlée pour les rhums, en 1996. C'est cette constance qui lui a valu cette année de recevoir le diplôme d'excellence du Salon international de l'agriculture, des mains du secrétaire d'Etat aux DOM-TOM, Christian Paul.
Mais peut-on se contenter de dire les louanges de l'élixir concocté par la distillatrice sans sonder le médecin sur les ravages occasionnés par l'alcoolisme, aux Caraïbes, comme en métropole (à cette différence près que, dans les îles, le rhum ne cible pas le foie avec des cirrhoses, mais occasionne des lésions et des troubles neurologiques) ?
« Je ne fais pas partie des ligues antialcooliques, rétorque-t-elle tout de go. Bon, si on déguste avec modération, cela fait partie des plaisirs de la table et de la vie. Et je ne vois pas alors le souci pour la santé ! »
La loi Evin ? « Je ne suis pas sûre qu'il y ait plus d'alcoolisme dans les pays qui n'ont pas eu recours à ce type de réglementation... De toute manière, lâche-t-elle, je n'ai pas du tout l'impression de me livrer à une activité néfaste. Et je ne suis pas du tout disposée à me laisser culpabiliser ! »
Pour autant, le médecin n'a peut-être pas encore dit son dernier mot et garde, même si le temps passe (elle vient d'avoir 59 ans), des velléités de pratique médicale. Pourquoi pas, s'interroge-t-elle tout haut, la médecine humanitaire ?
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