ON SE SOUVIENT de l'emblématique directive Bolkestein qui a fait craindre que les services de santé ne soient assimilés à des services marchands... : bien que la santé reste marginale au sein de la politique européenne, elle est indirectement souvent touchée par des décisions de Bruxelles. Tour d'horizon.
•Temps de travail: la garde menacée
Votée au début du mois par le Conseil des ministres européens – elle doit encore être approuvée par le Parlement –, une directive qui faisait jusque-là figure de serpent de mer a revisité le temps de travail des salariés européen. Avec des conséquences importantes pour les médecins hospitaliers : la requalification du temps de garde en périodes actives et inactives et des règles nouvelles pour le repos de sécurité – lequel repos de sécurité après une garde a d'ailleurs été institué en France (en 2002) pour s'aligner sur la réglementation européenne... Le « oui » français à ce projet de directive est vraisemblablement le fruit de tractations sur d'autres points du texte (notamment sur le temps partiel) qui dépassent totalement les médecins. À ceux-ci, la France a promis de ne pas appliquer les dispositions les concernant si elles devaient être définitivement adoptées à Strasbourg ; cela ne les rassure qu'à moitié.
•Capitaux: l'Europe et la «santé-marchandise»
Depuis quelques mois, les syndicats de médecins libéraux, de pharmaciens, de chirurgiens-dentistes, de kinés ou de sages-femmes – mais aussi les Ordres nationaux de ces professions – se mobilisent contre le diktat de la commission européenne qui exige de la France qu'elle ouvre sans limitation le capital des SEL (sociétés d'exercice libéral) à des capitaux financiers de toute nature. De quoi s'agit-il ? Aujourd'hui, les SEL doivent être possédées en majorité (de 75 à 100 %) par les professionnels libéraux eux-mêmes qui voient dans le maintien de cette clause un gage de qualité et d'indépendance professionnelle. Le message des Ordres et des professions de santé concernées est simple : si le gouvernement français cède à la pression de Bruxelles dans le sens de la déréglementation, c'est tout le secteur de la santé (laboratoires d'analyses et pharmacies d'abord, cabinets de radiologie, centres de réadaptation, et demain cabinets médicaux de groupe...) qui sera livré à la «spéculation» et aux «appétits» des financiers.
À la clé : une santé « marchandisée », une concentration accrue (avec la création de groupes dominants au poids démesuré) et une recherche de rentabilité immédiate peu compatible avec la proximité et la qualité des soins. Selon les Ordres nationaux des professions de santé, signataires d'un communiqué commun en avril dernier, le danger est celui d'un «détournement d'une partie des ressources de l'assurance-maladie au profit d'investisseurs extérieurs –fonds de pension étrangers, fonds souverains...– soucieux uniquement de maximiser leurs dividendes». À terme, certains redoutent la disparition de l'exercice libéral des professions de santé au profit du salariat et l'exploitation des données individuelles de santé par des assureurs ou des banques.
•Démographie médicale: le sésame de l'UE
Être ou ne pas être Européen, cela change tout pour qui veut exercer la médecine en France. Le cachet « made in UE » apposé sur un diplôme est quasiment un laisser-passer à l'installation quand l'estampille « diplômé hors UE » impose un parcours du combattant. Dans ce cadre, le dernier élargissement de l'Union a par exemple donné lieu – l'Ordre l'a montré il y a quelques semaines – à une ruée des médecins roumains en France (entre le 1er janvier et la fin novembre 2007, leur nombre – inscrit au tableau de l'Ordre – a augmenté de 321 % pour atteindre 656).
• Sécu: l'oeil noir de Bruxelles sur les finances publiques
Dans le cadre de l'Union économique et monétaire, les critères de convergence établis lors du traité de Maastricht (1992) visent à maintenir le comportement rigoureux des pays membres concernant notamment la maîtrise de la dette (interdiction de dépasser 60 % du PIB) et du déficit public annuel (interdiction de dépasser 3 % du PIB). La violation de ces règles financières expose le pays concerné à des avertissements puis des sanctions de Bruxelles. Même si l'appréciation du non-respect de ces critères a été assouplie en 2005, avec la possibilité d'un dépassement exceptionnel temporaire, ils fonctionnent comme une épée de Damoclès permanente au-dessus des responsables des finances publiques (État, collectivités locales et organismes de Sécurité sociale). Cancre dans ce domaine, la France est régulièrement épinglée par la Commission européenne à propos de la dérive de ses déficits et de sa dette, et pressée de prendre des mesures de redressement financier.
La Sécurité sociale, dans ce contexte, n'est pas épargnée et la contrainte européenne devrait pousser le gouvernement français à prendre des mesures radicales : en septembre 2007, par exemple, Bercy avait adressé à la commission de Bruxelles – en vue de la réunion de l'Eurogroupe – sa «trajectoire pluriannuelle» des finances publiques. On trouvait déjà, nichées dans ce document, deux mauvaises nouvelles pour les médecins : un ONDAM limité à moins de 2 % par an en volume (2,8 % en valeur) et la mise en place des fameux «stabilisateurs automatiques» pour réguler les dépenses de ville (report de six mois de l'application des revalorisations d'honoraires après un accord). Deux éléments qui allaient se vérifier quelques semaines plus tard dans la loi Sécu 2008. CQFD.
Repères
– La présidence du Conseil de l'Union européenne, selon la définition qu'en donne le gouvernement, doit faciliter l'avancement des dossiers, en ébauchant des propositions de compromis et en jouant le rôle de conciliateur entre les États membres.
– Pendant six mois, la France organisera et présidera les réunions du Conseil européen, du Conseil de l'Union européenne et des comités et groupes de travail qui préparent les travaux du Conseil. Elle représentera aussi le Conseil auprès des autres organes et institutions de l'UE, au sein des organisations internationales et auprès des pays tiers.
– Le Conseil européen réunit deux fois par an, en juin et en décembre, à la fin de chaque présidence, les 27 chefs d'État et de gouvernement de l'UE. Un Conseil européen intermédiaire est fréquent en mars et en octobre.
– Le Conseil de l'Union européenne est le principal centre de décision de l'UE. Les représentants des gouvernements établissent des compromis pour parvenir à une décision commune, tenant compte également des points de vue du Parlement européen et des Parlements nationaux.
– Le coût de la présidence est évalué à 190 millions d'euros. Quelque 90 millions iront aux manifestations traditionnelles : organisation de deux conseils européens (les 15-16 octobre et 11-12 décembre), neuf sommets avec les pays tiers, trente-cinq conseils de ministres européens.
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