Petit retour en arrière. 2004 : 20 des 22 exécutifs régionaux de Métropole se situent au lendemain des élections régionales à gauche de l’échiquier politique. Un véritable raz-de-marée. La droite qui gérait jusque-là quatorze des vingt-deux régions subit un camouflet. Forte de cette victoire, la gauche entend faire de ses régions des terres d’innovation, le titre du Livre blanc publié par l’ARF dès 2005. En clair, montrer ce qu’elle peut faire à l’échelon local et qu’elle n’est plus en mesure d’accomplir au niveau national. Le « volontarisme » devient le leitmotiv de l’action des conseils régionaux. En 2005, l’ARF appelle les Régions – en tout cas celles qui sont gérées par la gauche – à s’occuper de « tous les sujets qui sont au cœur de la vie quotidienne des citoyens ». La santé, bien entendu, en fait partie. Les Régions disent alors agir pour favoriser un égal accès à la santé et pour améliorer à la fois l’offre de soins et le bien-être des citoyens. Vaste programme qui ne fait, pour certaines d’entre elles comme l’Île-de-France, la Lorraine ou la Basse-Normandie, que prolonger leur action avec des investissements décidés bien avant 2004 à travers les contrats de plan État-Région. Mais, malgré la répétition aujourd’hui de ce positionnement politique très ambitieux, avec des conseils régionaux qui « doivent jouer un rôle majeur dans la nouvelle organisation des soins et de la santé », force est de constater que six ans après « la bataille politique perdue », selon les termes de la vice-présidente d’Île-de-France, pour obtenir au sein des ARH une place conséquente, les élus pourraient bien voir le bras armé de l’État dans les régions les laisser sur le bord du chemin une nouvelle fois…
Nord-Pas-de-Calais : partenariat avec l’ARH
Mais, au-delà de l’affichage politique sur la manière d’appréhender la question de la santé à un niveau régional, c’est bien « une certaine forme de réalisme » qui a conduit l’action des exécutifs, comme l’analyse François-Xavier Schweyer, sociologue et professeur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Il faut dire que les conditions d’entrée dans la commission exécutive de l’ARH avec voix délibérative, comme le prévoyait la loi du 13 août 2004, étaient tellement « léonines », selon Francine Bavay, que la quasi-totalité des conseils régionaux n’ont eu d’autre choix que de se contenter de leurs sièges avec voix consultative. En Nord-Pas-de-Calais, le ticket d’entrée a été estimé à 250 millions par an, par Michel Autes, vice-président. « Un avant-projet de décret évoquait 90 % des investissements hospitaliers à la charge des Régions. Ce n’était pas raisonnable », souligne-t-il aujourd’hui. Mais, pragmatisme oblige, l’institution a fini par signer une convention avec l’ARH en mai 2007. « Nous finançons des équipements sanitaires depuis plus de vingt ans, précise cet élu, également délégué à la santé à l’ARF. Ce sont les mauvais indicateurs de santé régionaux et notre sous-équipement hospitalier latent qui nous ont poussés à le faire. Quand on finance un Pet-Scan ou un IRM, on pousse l’État à aller plus loin. Car il doit mettre les moyens humains pour les faire fonctionner. Cela contribue à une meilleure équité dans l’accès aux soins. C’est une priorité pour notre population. » Soit environ douze millions d’euros par an sur cinq ans. La Région Nord-Pas-de-Calais – et elle est la seule à avoir saisi cette possibilité – a expérimenté la compétence sanitaire. Les élus régionaux ont donc obtenu le tiers des voix délibératives au sein de l’ARH. « Pour moi, l’expérience est positive politiquement, considère Michel Autès. Nous avons montré que nous ne venions pas avec notre cahier de revendication mais que nous étions de réels partenaires. Dans le cadre du plan régional de lutte contre les cancers par exemple, nous avons amené une discussion sur les seuils d’accompagnement financier pour aider davantage certains hôpitaux. Notre argument reposait sur l’aménagement du territoire et l’accès aux soins. Nous avons obtenu une augmentation du nombre d’équipements avec 17 IRM et 14 scanners supplémentaires. Il a fallu les négocier durement. » Le financement d’équipements liés au plan de lutte contre les cancers a représenté 36 millions entre 2006 et 2008.
Champagne-Ardenne : la main à la poche
Autre région, autre position vis-à-vis de l’ARH mais un même engagement. En Champagne-Ardenne, le conseil régional a décidé en 2004 d’avoir un premier vice-président en charge de la santé et des affaires sanitaires et sociales. « Un choix délibéré qui va bien au-delà des compétences légales », pour Gérard Berthiot, titulaire de cette fonction et par ailleurs médecin chef de service au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne. Ouverture d’un institut de formation de masseurs-kinésithérapeutes (pour lequel l’investissement a été pris en charge entièrement par la Région), financement d’équipements structurants, comme l’IRM à 3 Teslas et la caméra TEP (équipement d’imagerie médicale pour la lutte contre le cancer) et de la recherche clinique, soutien financier du développement de la télémédecine et des réseaux de soins ou encore création du Cancéropôle du Grand Est (dont la région est désormais membre fondateur) font partie des actions sur lesquelles les élus se sont engagés. En dépit d’une place assez inconfortable à l’ARH. « Nous y avons siégé, mais je me souviens que l’ancien directeur de l’agence m’avait bien fait comprendre que nous n’avions pas voix au chapitre et que nous devions nous contenter de nos voix consultatives, raconte Gérard Berthiot. C’est assez chaud au début. Mais, cela ne nous a pas empêchés d’agir, tout simplement parce qu’on considère qu’on ne peut pas restructurer l’offre de soins sans le conseil régional, puisque nous sommes responsables de la formation des paramédicaux. Nous sommes intervenus sur des problèmes de restructuration, car un changement dans les services hospitaliers renvoie à la question de l’emploi des paramédicaux, ce qui détermine le niveau des quotas, donc les lieux de stage et par conséquent l’implantation des écoles… » Fort de ce raisonnement découlant de compétences octroyées par la loi, l’exécutif a attribué entre 35 et 40 millions par an pour couvrir tout son champ d’action dans la santé.
La mise en réseau des quatre samus de Champagne-Ardenne est une des réalisations pour laquelle la Région a joué un rôle central, alors même que ce projet n’entrait pas dans ses compétences propres. « Son rôle a été fondamental pour pouvoir relier d’un point de vue informatique et téléphonique nos quatre sites de régulation, explique le Dr Michel Buffet, responsable du samu de Reims. Sa participation financière a été supérieure à celles de l’ARH et de la Drass. Sans, nous n’aurions pas pu faire aboutir ce projet. » Un contrat de plan État-Région contenait un volet télémédecine. Le projet impliquait de fait la Région, a considéré le Dr Michel Buffet. C’est donc naturellement que les promoteurs du projet sont allés voir le vice-président. Ce double pilotage conseil régional-ARH, qui devait obligatoirement donner son aval, a sans doute permis d’aboutir il y a deux ans. « C’est vrai que le directeur de l’ARH était davantage convaincu par un dispositif centralisé, comme en Franche-Comté, avec un seul site, se souvient le Dr Michel Buffet. Mais, dans une région comme la nôtre, qui s’étend de la frontière belge à 50 kilomètres de Dijon, dotée seulement de deux tables de coronographie, nous privilégions vraiment une organisation s’appuyant sur quatre sites qui peuvent se délester entre eux, en cas d’indisponibilité d’un régulateur par exemple, et qui permettent d’opérer des déplacements de moyens, grâce à la géolocalisation des lieux d’urgence et des véhicules. Gérard Berthiot a eu tout de suite un avis très positif sur notre projet. L’adhésion de la Région a entraîné sans doute l’engagement de l’ARH. »
Contre-pouvoir
Ce rôle de levier, parfois de contre-balancier vis-à-vis de l’ARH, est une constante dans les régions qui se sont saisies de leur compétence générale ou plus récemment des compétences spécifiques attribuées en 2004 pour œuvrer dans le domaine de la santé. Partenaire (généralement sur les actions de prévention) ou contrepoids (plutôt sur les compétences « choisies » par les Régions), les exécutifs régionaux sont devenus en tout cas des interlocuteurs des administrations. Francine Bavay, en Île-de-France, considère même qu’« il est possible de piloter un système en n’ayant qu’un budget modeste. Car c’est souvent celui qui apporte le petit plus qui emporte la décision ». En Bretagne, toute la politique de santé menée a reposé sur la force d’entraînement des élus régionaux sur le terrain, plutôt que sur un investissement conséquent. La décision avait été prise dès le début de mandat de ne pas financer les équipements sanitaires. « Chacun dans ses compétences », selon Maria Vadillo, présidente de la commission des solidarités. Mais, lorsque l’URML est venue la voir pour parler désertification médicale, l’équipe de Jean-Yves Le Drian a vu le lien entre des indicateurs de santé dégradés et des territoires sous-dotés en médecins et s’est lancée avec les médecins libéraux dans une recherche-action qui a abouti à un cahier des charges spécifique pour soutenir la création de maisons de santé pluridisciplinaires. Même entrée quand a surgi l’annonce de la fermeture de la maternité et de la chirurgie de l’hôpital de Carhaix, dans le centre de la Bretagne : « J’ai arrêté d’assister aux réunions de la commission exécutive de l’ARH à ce moment-là. Car j’estimais que je n’étais pas entendue, raconte l’élue bretonne. Nos arguments étaient que la fermeture de tels services posait un réel problème d’accès aux soins et qu’elle allait entraîner de nouveaux problèmes de présence médicale. Car les médecins ne pourraient plus s’adosser à un établissement proche. Avec les élus du Pays de Carhaix, nous avons tenu le même discours, alors que nous ne sommes pas de la même couleur politique. Nous avons cherché des alternatives avec un cabinet que nous avions mandaté. Comme le directeur de l’ARH n’entendait pas ce qui était une expertise politique et non médicale, le président de la Région est monté au créneau. Nous ne sommes pas sortis de notre rôle. Nous avons mobilisé les élus. »
Sans doute, cette réalité de terrain dépassera le cantonnement des élus régionaux à un rôle consultatif promis avec la mise en place des ARS. « Les ARS prolongent et élargissent le mouvement de mise en cohérence de l’action de l’État engagée avec les ARH, analyse François-Xavier Schweyer de l’EHESP. Mais, elles marquent aussi une volonté très nette de recentralisation de la décision. Le pilotage sera bien national. Mais que se passera-t-il dans la réalité ? Les élus ont en charge le financement des formations sanitaires. Ce qui est essentiel, car le lien est étroit avec la démographie des professions de santé. Ils seront donc très attentifs à un « retour sur investissement ». La définition d’une politique territoriale de santé avec les pays en Bretagne entraînera également une grande vigilance quant à l’offre de soins. Les ARS ne pourront pas travailler sans les élus. »
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