AVEC LE TITRE évocateur de « Violence de l'annonce, violence du dire », le 7e Colloque de médecine et psychanalyse* s'est attaché à étudier les différentes formes de l'annonce et leur impact, tant sur les patients que sur les soignants. Au cours d'une table ronde consacrée à « L'implication des médecins dans les suites de l'annonce », des parents ont décrit leur expérience.
Il a fallu que Catherine Chaine, écrivain, rédige un livre entier pour qu'elle commence à digérer l'annonce qu'on ne lui a pas faite il y a vingt-deux ans, lors de la naissance de sa fille. Le malaise et le silence des soignants, face à la découverte de la trisomie de son enfant, le choc de la réalité sur la table d'accouchement, sa révolte alors qu'on lui avait refusé par trois fois l'amniocentèse au cours de sa grossesse... « Ce qui nous a atteints là, un jour peut-être arriverai-je à le dire, mais, vingt-deux ans plus tard, je ne peux toujours pas », explique-t-elle, avant d'ajouter : « Que faire de la colère des parents ? »
De son côté, Philippe Lefait, journaliste, raconte comment le handicap lourd de son enfant a été découvert au cours de l'accouchement. « Les parents attendaient des médecins qu'ils disent, qu'ils consolent par rapport à ce qu'ils voyaient, mais l'accoucheur comme l'anesthésiste ont dit : "Oh mon Dieu, qu'est-ce qui lui arrive ! " » S'il accepte l'erreur qui « est humaine », Philippe Lefait comprend moins la panique des médecins et le fait qu'il ait dû lui-même intervenir pour dire : « On se calme. » Et encore moins le mutisme du médecin accoucheur, qu'il n'a jamais revu et qui « n'a jamais pris son téléphone ni écrit un petit mot ». Il rappelle pourtant que « la douleur du père existe » et « la douleur du couple » aussi. D'ailleurs, en dehors de son expérience personnelle, il est confronté lorsqu'il anime le Téléthon (aux heures nocturnes) à de nombreux témoignages « de parents explosés parce qu'un médecin n'a pas su ou n'a pas pris le temps de parler ». Il reconnaît avoir rencontré à plusieurs reprises des « médecins exceptionnels, qui sont dans cette empathie nécessaire aux parents », mais estime qu'ils « sont rares ». Pour lui, de nombreux praticiens sont dans le « non-savoir » par rapport à la maladie génétique et manquent du recul nécessaire pour accepter de dire leurs limites. Encore aujourd'hui, conclut-il, « parfois, on a l'impression que tout le poids du handicap est inconsciemment sur les épaules des éducateurs ou du médecin ».
S'ouvrir et se former à la relation.
Le Pr Danièle Lebrun, psychanalyste, exprime ainsi le ressenti des parents : « Pour les parents, l'enfant est unique et, pour le médecin, il appartient à une collectivité d'enfants handicapés. » Le médecin, censé être en possession du savoir, n'ose pas le plus souvent avouer sa part d'humanité, d'incertitude ou de doute. Ainsi que l'explique le Dr Nathan Wrobel, obstétricien, à propos du dépistage de la trisomie 21 : « Bien malgré nous, nonobstant le savoir médical et les rappels de la raison, s'introduit toujours subrepticement, me semble-t-il, la perte de maîtrise, que nous tentons de masquer ou de travestir. Mais la patiente en est-elle aussi dupe que nous le souhaiterions ? »
Pour Julia Kristeva**, psychanalyste et écrivain, la menace du handicap est « impartageable » et « sépare la société en deux : les handicapés, leurs parents et leurs proches... et les autres ». D'ailleurs, ajoute-t-elle, d'après sa propre expérience, « on ne demande jamais aux gens pourquoi ils luttent contre le racisme », alors qu'une personne qui s'implique auprès des handicapés doit forcément avoir une bonne raison... Pour elle, le handicap est une « blessure » qui « déclenche chez les proches une peur de l'effondrement psychique directement appliquée, renvoyée, au moment de l'annonce ». Il est donc essentiel d'avoir des feuilles de route pour apprendre les modalités d'une annonce, mais ce n'est pas suffisant, car cela ne prépare jamais à la situation imprévue, à l'annonce que l'on doit soudain faire lors d'une visite présumée de routine. Or, selon Julia Kristeva, « la formation médicale est de plus en plus technique et de moins en moins ouverte à la relation ». Elle préconise donc, comme les autres intervenants, que les médecins s'ouvrent à la philosophie, à la littérature, voire, pourquoi pas, à la psychanalyse. Ainsi, explique Catherine Chaine, il « est très dommage de finir ses études de médecine sans avoir lu "Semmelweis", de Céline, pour savoir qu'un médecin peut se tromper ». Sans entrer dans le risque du protocole de la bonne annonce, les médecins peuvent s'informer sur les différentes recommandations qui existent déjà dans ce domaine (être dans son bureau, être seul, ne pas avoir son portable qui sonne, etc.) et qui mériteraient d'être mieux diffusées.
* Organisé avec la collaboration de l'AFM (Association française contre les myopathies). Les actes du colloque (400 p., 24 euros) peuvent être commandés sur le site http://www.etudes-freudiennes.fr ou par e-mail : contact@etudes-freudiennes.fr.
** Julia Kristeva a fondé et préside le conseil national Handicap, qui organise le 20 mai, à Paris, les premiers états généraux « Handicap : le temps des engagements ». Un appel à projets est ouvert à tous pour enrichir les débats et le Livre blanc qui sera publié à cette occasion : www.etatsgenerauxhandicap.net.
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