DANS LES ZONES les plus reculées de la planète, là où l'accès aux produits manufacturés et à la scolarisation est encore restreint, les enfants ont tout intérêt à ce que leurs parents soient restés suffisamment proches des traditions ancestrales, en particulier celles relatives à l'utilisation des plantes locales dans la vie quotidienne. Une étude américaine révèle en effet la bonne santé des enfants vivant dans une région reculée de la Bolivie et liée au niveau de connaissance ethnobotanique de leur mère. Cette corrélation s'expliquerait par le fait que les mères qui connaissent le mieux les ressources naturelles végétales environnantes sont les plus susceptibles de fournir à leurs enfants une alimentation riche et équilibrée, capable de prévenir ou même de guérir certains problèmes de santé.
Se nourrir, se soigner, construire…
McDade et coll. (Northwestern University, Evenston, Illinois) ont conduit leur étude chez les Tsimanes, une population indigène amazonienne de la plaine bolivienne. Les Tsimanes ont un accès encore très limité aux produits commerciaux et leur survie dépend principalement de l'utilisation des ressources naturelles qui les entourent. Ils possèdent traditionnellement une grande connaissance des plantes locales qu'ils utilisent aussi bien pour se nourrir et se soigner que pour construire leurs habitations ou fabriquer les divers ustensiles nécessaires à leur vie quotidienne. On estime que les ressources végétales sauvages ou cultivées couvrent encore aujourd'hui plus de 50 % de leurs besoins. Cependant, globalisation oblige, l'utilisation de produits manufacturés et la possibilité d'accéder à un mode de vie moins traditionnel sont désormais offertes aux Tsimanes. Cette évolution entraîne peu à peu une perte des connaissances ethnobotaniques au sein de la population.
McDade et coll. ont voulu connaître l'impact de ce phénomène sur la santé des enfants tsimanes.
Dans ce but, les chercheurs ont tout d'abord évalué le niveau de connaissances ethnobotaniques des adultes. Ils ont mis au point un questionnaire permettant d'évaluer l'étendue de la connaissance des plantes locales et de leurs propriétés. Les Tsimanes ont répondu à des questions sur leur capacité à utiliser les plantes dans leur vie quotidienne ainsi que sur le nombre et la diversité des plantes qu'ils utilisent régulièrement.
L'analyse des réponses obtenues montre que les Tsimanes les plus âgés et ceux qui résident dans les lieux les plus isolés sont ceux qui possèdent le plus important savoir ethnobotanique.
La pratique de la langue espagnole, la fréquence des voyages à San Borja (la grande ville commerciale de la région) et la dépréciation du mode de vie traditionnel tsimane sont au contraire associées à un faible niveau de connaissance, des plantes locales et de leurs propriétés. Le revenu des ménages et le niveau d'hygiène de leur habitation ne semble pas en revanche avoir d'influence sur le savoir ethnobotanique.
Trois indicateurs chez les enfants.
Les chercheurs ont ensuite recherché une corrélation entre les connaissances des parents et différents indicateurs du niveau de santé de leurs enfants. Trois facteurs ont été mesurés chez les enfants âgés de 2 à 10 ans : la concentration sanguine de protéine C réactive, la masse grasse (déterminée par l'épaisseur du pli cutané) et le rapport taille-âge.
Il est apparu que la valeur de chacun de ces trois facteurs est associée au niveau de connaissances ethnobotaniques des mères des enfants évalués.
Pour un enfant dont la mère possède une bonne connaissance des plantes locales et de leurs propriétés, la probabilité d'avoir une concentration en protéine C réactive ≥ 1 mg/l est de 25 % alors qu'elle est de 50 % chez les enfants dont la mère possède un niveau de connaissances ethnobotaniques faible. De même, la maigreur et des défauts de croissance majeurs sont en moyenne deux fois plus fréquents chez les enfants dont les mères ont perdu l'habitude d'utiliser les plantes locales dans leur vie quotidienne (20 % des enfants versus 10 %).
T.W. McDade et coll., « Proc Natl Acad Sci USA », édition en ligne avancée.
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