Doëlan est en effervescence depuis le début du mois d’avril. Ce petit port du Finistère, aux allures de carte postale et situé sur la commune de Clohars-Carnoët, accueille toute l’équipe du tournage de la série télé « Doc Martin ». Acteurs, scénaristes, producteur, réalisateur, maquilleurs, décorateurs… tous ont déposé leurs bagages en Bretagne jusqu’au 6 juillet. Trois mois de tournage intensif pour une série de six épisodes – de 50 minutes chacun - livrés en septembre à TF1, pour une diffusion prévue a priori début 2011.
A l’origine, « Doc Martin » est une série anglaise. Celle-ci raconte le quotidien d’un médecin généraliste installé dans un village de Cornouailles, où il ne se fait pas que des amis. Et pour cause : doté d’un caractère bien trempé, le Dr Martin Ellingham, surnommé Doc Martin, apparaît tantôt très carré, tantôt un brin excentrique. Un comportement hors norme qui lui vaut, bien sûr, quelques déconvenues. Ajoutons à cela un parcours atypique, qui n’arrange rien au tableau : chirurgien de formation, le Dr Ellingham a soudain développé une phobie du sang. Impossible de continuer à opérer. Fini le bistouri. Adieu l’hôpital. D’où son idée de venir visser sa plaque dans la campagne anglaise.
« Lorsque j’ai vu cette série, j’ai tout de suite eu envie de l’adapter pour la France ». Et quand Pascale Breugnot a une idée en tête, elle ne la lâche pas. La patronne de la société Ego Productions a fait le siège de TF1 et a fini par convaincre ses interlocuteurs. « Le ton de la série Doc Martin me plaisait », confie-t-elle. Toutefois, transposer l’humour anglais en un « prime-time » pour TF1 n’avait rien de gagné d’avance. Pascale Breugnot en était bien consciente. Elle a donc retroussé ses manches. Scénario, personnages, casting et réalisation, elle a tout supervisé et rien n’a été laissé au hasard.
Doc Martin, le médecin pince sans rire
Martin Ellingham est devenu Martin Le Fol. Mais son surnom reste Doc Martin. Lui aussi a un passé de chirurgien et sa phobie du sang le contraint à quitter le bloc opératoire au profit de la médecine générale. Installé à Port Garrec –Doëlan dans la réalité-, il va prendre la place du Dr Fauvet et hérité à la fois de sa secrétaire, la désinvolte et frivole Clémentine, et de son chien, un Border Collie baptisé « le chien ». « Pour camper le personnage de Doc Martin, nous avons vu beaucoup de comédiens, reconnaît Pascale Breugnot. Et ça ne marchait pas. Car nous voulions un homme capable à la fois d’avoir une certaine prestance et de provoquer le rire ». C’est alors que l’acteur Thierry Lhermitte est devenu comme une évidence pour jouer ce médecin pince sans rire. « Nous lui avons donné le scénario, raconte la productrice. Il l’a lu, il a ri et il nous a dit oui ». Mieux encore : dès les premières journées de tournage à Doëlan, « Thierry Lhermitte s’est révélé incroyablement naturel dans le rôle », souligne Pascale Breugnot. Parrain de la Fondation pour la recherche médicale depuis 2004, Thierry Lhermitte n’en est pas à son premier rôle de médecin : au cinéma, il a été le Dr Apfelglück dans « Les secrets professionnels du Dr Apfelglück », le Dr Pigot dans « Le loup-garou de Paris », le Dr Morny dans « L’Antidote » et le médecin de « Bancs publics ». La blouse blanche et le stéthoscope n’ont rien de nouveau pour lui. Il n’en demeure pas moins que Pascale Breugnot a sollicité les services du –vrai- Dr Charly Osinski, endocrinologue à Paris, pour conseiller les scénaristes et dialoguistes dès que Doc Martin doit appréhender une pathologie. « Pascale Breugnot me téléphone au coup par coup, explique le Dr Osinski. Elle me demande comment envisager telle ou telle maladie, tel ou tel symptôme et la bonne façon d’examiner un patient ». Pour le moment, l’endocrinologue se contente de tout décrire et détailler par téléphone, « mais s’il faut montrer des gestes précis ou un peu plus techniques, je vais devoir me déplacer sur le lieu de tournage ». Une escapade qui n’est pas pour lui déplaire. Au contraire : « j’ai dit oui à Pascale Breugnot, parce que je trouvais cela amusant de donner des conseils pour une série télé. C’est une première pour moi. Mais si, en plus, je peux informer sur des gestes, comme la manœuvre de Heimlich, mon rôle sera également pédagogique. Et ce tant pour le public que pour certains médecins : combien de praticiens oublient, par exemple, de prendre la tension des deux cotés ? »
Des consultants médicaux bien inspirés
Le recours aux consultants médicaux est une pratique courante. A titre d’exemple, sur la série « Docteur Sylvestre », diffusée à la fin des années 1990 sur France 3, la chaîne avait jugé bon de dépêcher un médecin sur le tournage de chaque épisode. Sa mission : apprendre au comédien Jérôme Anger à utiliser certains termes médicaux et à reproduire les principaux gestes d’urgences. La plupart du temps ce praticien venait du service d’urgences de l’hôpital le plus proche du lieu de tournage. Quant au scénario, il était ficelé par deux conseillers médicaux : les Drs Michel Guilbert et Jean-Louis Boujenah –le frère de Michel-, qui s’inspiraient bien souvent de leur propre expérience de généraliste. Ce qui leur permettait également, sous couvert de bons sentiments, de faire passer quelques messages de prévention en traitant de sujets telles que l’IVG ou la toxicomanie.
Retour à Port Garrec où, au fil des épisodes, Doc Martin va se retrouver confronté au gendarme, au patron du café du port, à l’animatrice de la radio locale, aux femmes célibataires qui vont voir en lui un bon parti… Tout un programme pour ce médecin originaire de Lyon, qui avait l’habitude d’opérer des corps inanimés et qui se retrouve face à des patients bien vivants et qui lui renvoient tous les petits bobos de la société en pleine figure. Un véritable défi et une source de malentendus en perspective pour le Dr Le Fol, un tantinet psychorigide et parfois aussi asocial que peut l’être le Dr House, héros de la série américaine éponyme et qui fidélise quelque 8 millions de fans sur TF1. « L’avantage du héros médecin tient au fait qu’il est d’emblée projeté dans la vérité de la personne qui le sollicite ». Pascale Breugnot croit à la sincérité de cet échange : « cette relation entre le médecin et son patient n’est pas dans le paraître, mais dans le vrai. Le malade vient chercher de l’aide chez quelqu’un qui a le savoir pour le sortir de sa détresse ». Par ailleurs, le médecin voit « toute la société défiler dans son cabinet », reprend la patronne d’Ego Productions : « c’est un bon prisme pour observer le quotidien d’une communauté rurale. Or j’avais envie de montrer la ruralité, sa modernité, sa proximité avec le terroir, son humanité et sa chaleur humaine. Car une petite bourgade c’est comme une grande famille ». C’est aussi comme un quartier. Celui du Mistral, par exemple, où évoluent les personnages de la série désormais culte « Plus belle la vie », diffusée chaque soir sur France 3. Et là aussi, le médecin généraliste a sa place. Une place de choix même. Car le Dr Guillaume Leserman –joué par le comédien Virgile Bayle- est l’une des figures incontournables de la série.
Le MG quasi idéal de « Plus belle la vie »
« Au début de Plus belle la vie, nous n’avons pas eu de médecin généraliste au Mistral pendant un an et il manquait », reconnaît Georges Desmouceaux, le directeur d’écriture de la série. Le Dr Leserman a donc ouvert un cabinet sur la place où tous les personnages passent et repassent au fil des épisodes. Ce généraliste quasi idéal –il soigne les pathologies du quotidien, soulage les bleus à l’âme, écoute les petits soucis de tout le monde, remplace le psy ou le gynéco, il part même en mission humanitaire…- est rassurant pour ses patients, « mais pas toujours pour ses proches ». Car le Dr Leserman a quelques failles tout de même : il multiplie les conquêtes féminines et il a du mal à décoder tous les faits et gestes de son fils Nathan, un ado en quête de père et de repères. « Dans une série télé, reprend Georges Desmouceaux, le personnage de médecin est aussi intéressant que celui de policier ou d’avocat ». Car ils ont de la chair, de l’épaisseur et une vie professionnelle riche qui, en général, déborde sur leur vie privée. « Le médecin peut également donner le bon exemple et traiter des problèmes sociaux », ajoute Jean-Pierre Esquenazi, professeur d’études audiovisuelles au département communication de l’université Lyon 3. D’où le succès passé des séries telles que « Docteur Sylvestre » ou « Fabien Cosma ». Là, les généralistes étaient des remplaçants et ils changeaient de ville, d’environnement et de profils de patients à chaque épisode. « Les médecins sont des personnages récurrents dans les séries télé, car ils sont le prétexte pour aborder des thèmes comme la justice, la vie, la mort, les sentiments et les relations entre les gens », poursuit Jean-Pierre Esquenazi. Pour l’universitaire, la série « Urgences » est une référence en la matière : « elle est marquée par une volonté d’être fidèle à la réalité ». Rien d’étonnant à cela : Michael Crichton, le créateur d’« Urgences », était médecin de formation –diplômé de la Harvard Medical School-. « Dans Urgences, explique le prof de Lyon 3, le médecin est avant tout l’expression du lien social. Ses compétences médicales et techniques passent au second plan ». Avis partagé par Martin Winckler, médecin généraliste, auteur de « La Maladie de Sachs » (POL) et du guide « Les séries télé » (Larousse) : «Urgences » est « une réussite totale », écrit-il, « tant par sa construction élaborée, qui colle au plus près des réalités scientifiques tout en sachant se plier aux nécessités de la dramaturgie, que par sa mise en scène éblouissante ».
Avant George Clooney, d’autres acteurs ont, eux aussi, fait preuve d’humanité. On pense notamment à la série très avant-gardiste « Médecins de nuit », qui racontait les aventures et mésaventures d’une équipe de médecins de nuit en situation d’urgence à Paris et dans sa banlieue. Avec un casting de choc : Catherine Allegret, Etienne Chicot ou encore Georges Beller. Et des scénaristes très chic : Bernard Gridaine –alias Bernard Kouchner-, Hervé Chabalier et Gilles Bression. Diffusée de septembre 1978 à juin 1986 sur Antenne 2, les 36 épisodes de 54 minutes chacun ont ensuite été rediffusés sur M6, Série club et ils le sont actuellement sur Jimmy.
« Urgences » a donné envie de devenir urgentiste
Reste que les « Médecins de nuit » français n’ont pas eu le succès planétaire des praticiens d’« Urgences ». La série américaine a même réussi à changer le regard du grand public sur les urgentistes. « Elle a permis de revaloriser l’image, le statut et la rémunération des urgentistes aux Etats-Unis », constate Jean-Pierre Esquenazi. Tout aussi surprenant : depuis sa programmation, l’urgence est devenue la première spécialité choisie par les carabins outre-Atlantique. Une réalité qui a donné des idées aux producteurs de « Plus belle la vie ». En effet, le site Internet de la série de France 3 explique comment devenir médecin généraliste « comme Guillaume Leserman ». Le cursus universitaire est détaillé et expliqué, le contenu de l’enseignement aussi, stages obligatoires de la 4ème année d’étude compris, et la fiche informative rappelle que la médecine est « plus qu’un métier », « ça doit être une passion, car aimer ses patientes et le leur montrer est ce qui va faire de toi un doc si particulier ».
Pour l’heure, le doc le plus particulier que le paysage audiovisuel français a en stock s’appelle Doc Martin. Sur le tournage, il est aux prises avec le patron du café de Port Garrec, chez lequel il soupçonne un cancer de la gorge rien qu’à entendre le timbre de sa voix. Evidemment, son interlocuteur lui reproche d’aggraver la situation, sans y mettre les formes de surcroît. Mais il est comme ça, Martin Le Fol : un peu bourru, un brin renfermé et surtout hanté par ce besoin de « dire la vérité, ne rien cacher à ses patients, pour les inciter à se faire soigner », détaille Pascale Breugnot. La productrice espère que ce drôle de personnage trouvera son public. D’ores et déjà, en marge des six épisodes actuellement en tournage, huit autres sont déjà écrits. Ego Productions y croit : la série a tout pour se transformer en succès. Et peut-être aussi pour redorer le blason de la médecine rurale, voire susciter des vocations dans les régions les plus reculées de l’Hexagone.
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