« DSK du village »… En mai dernier, la comparution d’un médecin généraliste d’une petite commune de la Sarthe devant la cour d’appel d’Angers lui valu d’un avocat ce pénible épithète. L’affaire avait fait grand bruit dans la région, après avoir été une première fois jugée au Mans. Le praticien en question était poursuivi pour une liaison avec une jeune patiente de 16 ans, de surcroît anorexique et qui venait de perdre sa mère… Il fut condamné à 4 mois de prison avec sursis et 1000 euros d’amende.
Même s’il revêt un caractère exceptionnel, ce fait divers met en lumière les pièges de la séduction dans le colloque singulier médecin-malade et ses risques de dérapage. Tout comme « Augustine », le récent film d’Alice Winocour qui retrace la relation pour le moins ambiguë entre le célèbre neurologue Charcot et l’une de ses patientes hystériques. L’histoire montre bien comment de façon insidieuse, une jeune patiente modèle va séduire son médecin et de sujet d’étude va devenir peu à peu objet de désir…
Un risque omniprésent
« Coup de foudre ou séduction progressive, l'exercice médical expose à des tentations de nature sexuelle qu'une proximité émotionnelle et physique peut favoriser... », reconnaît le Pr Bernard Hoerni, cancérologue, ancien président de l'Ordre National des Médecins (CNOM) et auteur d'un livre sur « La relation humaine en Médecine »*. Pour lui, ce risque de tentations dans l'exercice médical est omniprésent du fait, en particulier, de l'examen clinique qui autorise le médecin à accéder à l'intimité des patients et devrait être évoqué durant les études médicales. « Cela permettrait aux médecins d'être conscient de ce risque, de le prévenir et d'éviter ainsi de se retrouver dans une situation parfois plus qu'embarrassante », poursuit-il. Déjà en 2000, dans un rapport présenté au Conseil de l’Ordre**, il mettait en garde. Et rappelait le principe absolu de l'interdiction de passage à l'acte sexuel dans le cadre de l'exercice médical : « Pour être médecin, on n’en est pas moins homme... ou femme. De là, surgissent des tentations auxquelles les uns et les autres sont exposés, en transgressant gravement un interdit absolu s’ils y cédaient... ».
Un interdit qui a du sens
Pourquoi cet interdit des affaires sexuelles dans le cadre de l'exercice médical ? Le Pr Hoerni apporte un élément de réponse : « Se dénuder devant une personne avec laquelle on n’a pas de relation intime ne va pas de soi mais est nécessaire à l'acte médical... Celui-ci se trouverait contrarié si le patient pouvait craindre d’une quelconque manière que le médecin profite de cette situation pour l’exploiter dans un objectif n’ayant rien à voir avec l’acte médical. ».
Cet interdit de la sexualité est à rapprocher du devoir du secret médical de la part du médecin qui permettent l'un comme l'autre au patient de se sentir en confiance pour les confidences comme pour l'examen clinique. Le Serment d'Hippocrate rappelait du reste, il y a plus de 2000 ans, ces deux piliers éthiques de l'exercice médical : « Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien des malades. Je m'interdirai d'être volontairement une cause de tort ou de corruption, ainsi que toute entreprise
voluptueuse à l'égard des femmes ou des hommes, libres ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l'exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un secret.... ».
Le spectre de l’inceste
« Quand on sort du biomédical et que l'on entre dans l'intime, il y a un risque d'ambiguïté », reconnaît le Dr Annie Catu-Pinault, présidente de l'Atelier Français de Médecine Générale et généraliste enseignante à la faculté René-Descartes (Paris V). « En effet, la relation médicale est par définition asymétrique et l'empathie nécessaire à notre exercice peut parfois être mal interprétée par certaines patientes en carence affective, explique le Dr Catu-Pinault. Dans ce cadre, un passage à l'acte de la part du médecin constitue un abus de pouvoir qui évoque le spectre de l'inceste. Cela peut être destructeur pour une patiente qui a déjà été abusée dans l'enfance par exemple et qui ne sait pas dire non. L'interdit du passage à l'acte dans le cadre de l'exercice médical n'est donc pas le fait du hasard mais a pour fonction de protéger les patients contre des médecins potentiellement pathogènes ».
Transgressions relativement fréquentes
Si l'exercice médical expose à la tentation, les passages à l'acte sont-ils fréquents ? Selon un rapport d'activité du Sou Médical, principal organisme assurant la responsabilité médicale, le nombre de poursuites pénales à l'encontre des médecins pour agressions sexuelles a été de 13 en 2010 et 12 médecins ont déposé plainte pour agressions sexuelles de la part de patients. « Mais nous n'avons pas de chiffres précis sur ces affaires sexuelles entre médecins et patient(e)s qui sont souvent passées sous silence, reconnaît le Pr Maurice Ferreri, chef de service de psychiatrie à l'hôpital Saint-Antoine (Paris). Une étude canadienne sur les psychothérapeutes aurait évalué ces transgressions de nature sexuelle dans le cadre de l'exercice professionnel à 20 % des professionnels. » Aux États-Unis sur 1 % des praticiens sanctionnés chaque année, 10 % des sanctions sont motivées par une conduite sexuelle inappropriée. Psychiatres et gynécologues seraient plus exposés que d’autres.
Selon le rapport du Pr Hoerni, il existe plusieurs configurations souvent rencontrées par l'Ordre dans les affaires de nature sexuelle entre médecins et patient(e)s : « patiente habituelle, séduisant involontairement un homme médecin qui va se laisser aller à un viol caractérisé, éventuellement précédé par une “prémédication ” (médicamenteuse, par hypnose ou persuasion) de la patiente, patiente ordinaire sollicitée ou agressée par un médecin dérangé, patiente consentante, voire provocatrice, invitant à un rapport éventuellement?considéré comme “ thérapeutique ”, femme médecin harcelée par un patient masculin... »
Le type de contact en cause est plus ou moins caractérisé : « palpation un peu appuyée, caresse prolongée, sur la région génitale, mammaire, buccale, pénétration de doigts ou génitales jusqu'au coït complet ». Enfin l'acte incriminé peut être « un viol caractérisé, un rapport par consentement mutuel, sous prétexte thérapeutique, demandé par l'un ou proposé par l'autre, un ou des contacts ambigus... ».
Les sanctions devant la chambre disciplinaire du Conseil de l'Ordre des Médecins sont de plus en plus sévères à l'égard des médecins fautifs du fait d'une moindre tolérance à ce type d'abus de pouvoir à la fois des victimes, du public et du corps médical.
La relation érotisée
En fait il faut bien reconnaître que la frontière est parfois floue entre le devoir de soins et la séduction dans la relation. « Monsieur R., 35 ans était un homme particulièrement attractif et à chaque fois que je devais l'examiner je piquais un fard... », reconnaît le Dr Catherine F., médecin généraliste en région parisienne. « Mais j'ai reconnu et assumé cette émotion inattendue. Elle a fini par passer car j'étais claire dans ma tête par rapport à ma fonction médicale », poursuit le Dr F. Mais l'érotisation de la relation est aussi parfois du côté du patient : « Je soignais madame D., 54 ans, depuis de nombreuses années. Elle venait régulièrement me consulter pour me parler de ses difficultés avec son père vieillissant et pour surveiller sa tension. à chaque consultation, j'avais remarqué qu'elle s'empressait de se déshabiller entièrement quand je lui proposais simplement de prendre sa tension, témoigne le Dr Jean-Claude T., médecin généraliste sur la Côte d'Azur. Puis elle m'a posé des questions sur ma vie privée, si j'étais marié par exemple. Son attitude m'a mis mal à l'aise et j'ai fini par lui dire qu'il était préférable de consulter un autre médecin... ».
Bref, « la pratique médicale expose à des contacts qui ont naturellement une connotation sexuelle, certains patients sont provocants, les médecins ont des moments de distraction ou de faiblesse. Il en découle des risques auxquels il est bon d’être attentif pour les éviter ou y remédier. Plutôt que de les occulter ou de les ignorer, il vaut mieux les affronter et s’en préserver... », conclut le Pr Hoerni.
** Rapport « Pratique médicale et sexualité », Pr Bernard Hoerni, Décembre 2000
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