La santé en librairie
Cure de Sakel, malariathérapie, psychochirurgie, camisole de force et souvent abstention thérapeutique étaient jusqu'aux années cinquante les seules solutions, parmi quelques autres, proposées aux malades mentaux. La découverte successive des neuroleptiques, des antidépresseurs et des tranquillisants ont complètement changé l'image et le traitement de la folie et amorcé les retrouvailles de la psychiatrie avec la médecine.
Venu à la psychiatrie un peu à regret, après avoir quitté la neurochirurgie, Jean Thuillier arrive à Sainte-Anne en 1949 dans le service de Pierre Deniker ; il y restera vingt ans : « La folie ne se comprend pas en un jour, et le paradoxe de la déraison fut presque pour moi une gifle (...) Je me rendais compte qu'il fallait en premier lieu voir, écouter pour apprendre à distinguer les innombrables formes de la folie et surtout qu'il fallait, comme disait Pinel deux cents ans auparavant, "vivre avec elle" (..) Comprendre, ils avaient tout fait pour saisir le sens de la folie et l'expliquer aux autres, mais restaurer la raison, bien peu d'entre eux s'y appliquaient. » Faute de moyens.
« Les thérapeutiques que j'utilisais n'avaient aucune base scientifique. J'étais le témoin impuissant de souffrances auxquelles je n'opposais que le matraquage des thérapeutiques de choc », raconte Jean Thuillier, qui décide alors de se consacrer à la psychopharmacologie.
Premières expérimentations chez l'animal avec des molécules antiépileptiques ou les premiers produits antabuses, puis chez l'homme à une époque où « les exigences du ministère de la Santé n'avaient pas encore atteint le niveau contraignant et néfaste pour la recherche où elles s'élèvent aujourd'hui », autoexpérimentations réalisées par quelques psychiatres, dont l'auteur, avec le LSD et la mescaline envoyés gracieusement et par courrier par des industriels, Jean Thuillier parle en effet d'un monde médical radicalement différent de celui que nous connaissons aujourd'hui.
Dix ans décisifs
A lire les récits de malariathérapie, qui consistait à injecter directement du sang d'un patient impaludé en pleine crise fébrile à un patient délirant pour réduire ses symptômes psychotiques, ou des traitements par le laudanum, on prend la mesure des changements profonds du monde hospitalier et médical. On prend aussi celle de la fertilité de l'imagination des médecins d'alors, de leur grande perspicacité clinique, de leur curiosité, de leur liberté d'esprit, de l'efficacité du système D dans ce milieu de l'après-guerre, où un puissant esprit de liberté coexistait avec le mandarinat le plus conformiste.
Le fossé est grand, à l'époque, entre la médecine et la psychiatrie ; la première, discipline scientifique, a un certain mépris pour la seconde qui, elle, s'isole dans son jargon et ses bizarreries thérapeutiques. Jean Thuillier se remémore ainsi avec délectation les joutes verbales entre Henry Ey ( alias Raimu) et Jacques Lacan ( alias Guitry), ou encore le Premier Congrès mondial de psychiatrie, présidé par Jean Delay, et qui eut lieu à Paris en septembre 1950. Delay conclut sa brillante inauguration allant de Descartes et Pascal à la psychobiologie médicale moderne en disant : « Si le mot guérison (...) ne doit être prononcé qu'avec réserve, il ne nous est plus interdit. »
En effet, en 1952, Henri Laborit a l'idée, avec Pierre Huguenard, de faire les premières expériences d'hibernation avec une molécule fournie à leur demande par Spécia, le 4560sp, futur Largactil. Ces essais transformeront l'anesthésie mais ouvriront aussi la voie de la psychopharmacologie. Les progrès s'enchaînent alors rapidement. Le premier colloque de Paris sur les neuroleptiques a lieu en octobre 1955 à Sainte-Anne ; la chlorpromazine et la réserpine sont alors reconnues comme des découvertes majeures dans le traitement des maladies mentales par l'ensemble des psychiatres français et étrangers présents. Entre 1950 et 1960, l'intuition et le flair clinique de certains cliniciens, le hasard aussi, permettront aux grandes classes de psychotropes que nous connaissons aujourd'hui de voir le jour. La persévérance du Danois Mogens Schou finira par imposer le lithium comme régulateur de l'humeur vers la fin des années 1960 ; le Tofranil devra sa commercialisation à celle du laboratoire suisse Geigy, soutenu par les cliniciens expérimentateurs de Sainte-Anne ; puis les IMAO. Parallèlement, cette psychopharmacologie a aussi ses détracteurs et, longtemps après la mort de Freud et celle de Lacan, les polémiques amorcées alors ne sont pas encore éteintes.
« Si la psychopharmacologie n'a pas tout résolu dans la médecine mentale, dit Jean Thuillier, elle a au moins en dix ans décamisolé l'agité, sorti la plupart des délirants de l'asile et consolé le déprimé et le mélancolique. » Elle n'a certes pas résolu l'angoisse du monde. Mais ceci est une autre histoire.
« Les dix ans qui ont changé la folie, la dépression et l'angoisse », Jean Thuillier, Editions Erès, 368 pages, 11 euros.
Quoi de neuf sur l'aide médico-psychologique ?
La deuxième édition du « Guide de l'aide médico-psychologique » vient de paraître. Elle intéressera tous ceux qui travaillent dans ce domaine, mais également ceux qui sont confrontés au handicap et à la dépendance, voire ceux qui sont préoccupés par cette question et pourraient trouver là matière à profession et sens à leur vie.
« Contestée dès ses origines par les professions voisines qui voyaient en elle une déqualification, la profession d'aide médico-psychologique (AMP) s'est progressivement imposée par une spécificité toute particulière dans les lieux où les professions plus polyvalentes du soin infirmier asilaire, puis psychiatrique, puis celles du soin éducatif spécialisé ne sont pas parvenues à s'investir suffisamment », explique Guy Dréano.
L'AMP est une profession de synthèse en matière de soins et d'assistance ; son champ d'exercice est celui de la dépendance sociale en rapport avec une déficience sévère et invalidante. Ce guide permet de se repérer dans les arcanes parfois complexes de l'organisation administrative, de l'environnement législatif et des institutions de l'AMP. Les CAT, MAS, SESSAD et autres COTOREP livrent tous leurs secrets.
« Guide de l'aide médico-psychologique », Guy Dréano, Editions Dunod, 400 pages, 30 euros.
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