DU TEMPS où les rayons faisaient rêver et ne faisaient pas encore peur, quelques pionniers osèrent soigner des malades jusque-là incurables avec des machines tout droit sorties de leurs laboratoires. On ne peut qu'être frappé du peu de temps qui s'écoule entre la découverte des Rayons X par Roentgen (1895) et le premier essai de traitement d'un cancer de l'estomac par Victor Despeignes à Lyon (1896), alors que la nature exacte des rayons X ne sera connue que dans les années 1920.
Peut-être convient-il de se rappeler que, au milieu du XIXe siècle, la mortalité par cancer est en forte croissance et que la médecine est démunie devant cette maladie. Les soins aux cancéreux relèvent des hospices et du secours charitable des Dames du Calvaire (notamment), qui tentent d'alléger leurs souffrances. Certes, à partir de 1880, les chirurgiens commencent à opérer, avec un certain succès, les tumeurs de l'estomac, du sein et de l'utérus. Mais à condition qu'elles soient détectées précocement.
De fait, les rayons X seront au début surtout utilisés en dermatologie à des fins dépilatoires et contre le lupus, avec de bons résultats. Dès le début du XXe siècle, de plus en plus de médecins utilisent ces techniques aux Etats-Unis et en Europe. En France, en 1901, Antoine Béclère inaugure le premier enseignement de radiothérapie dans son service de Saint-Antoine, à Paris.
L'appropriation sera tout aussi rapide avec les radioéléments. A peine Becquerel s'est-il rendu compte qu'un petit tube de sels de radium glissé dans son gilet lui a brûlé la peau qu'en 1903 le radium est introduit dans les traitements. Henri Danlos, à Saint-Louis, tente le traitement de cancers cutanés. Un industriel, Emile Armet de Lisle, initie la production de sels de radium et d'appareils radifères. La première usine ouvre ses portes en 1904 à Nogent-sur-Marne. Ce qui permet à Louis Wickham de poser les bases de la radiumthérapie.
Claudius Regaud et Marie Curie.
Encore faut-il comprendre ce qui se passe. Ce sera l'œuvre du Lyonnais Claudius Regaud, médecin et histologiste, que d'étudier les effets biologiques des radiations ionisantes. Il remarque très vite l'extrême sensibilité des spermatogonies aux rayonnements. De la stérilisation des testicules au traitement des cancers, il n'y a qu'un pas. Reste à mesurer la radiosensibilité des tumeurs. En 1906, le statut du cancer a changé. Il est désormais considéré comme un fléau de l'humanité, cause majeure de mortalité après les maladies cardio-vasculaires. La même année se crée l'Association française pour l'étude des cancers (Afec).
Le chemin de Claudius Regaud va bientôt croiser celui de Marie Curie, auréolée de l'attribution du prix Nobel en 1903. Il s'installe en 1913 à l'institut du Radium pour diriger le laboratoire dédié aux recherches radiophysiologiques. Et c'est sous leurs « regards croisés », comme s'intitule l'un des chapitres du livre, que va se développer une médecine scientifique expérimentale avec calculs des doses optimales nécessaires au traitement.
Collaborateur de Regaud, Lacassagne apporte lui-même les tubes radioactifs dans les hôpitaux. En 1921 sont établies les premières règles de la radioprotection. Dans les années 1920, la controverse avec les chirurgiens est encore vive. Mais la querelle d'école finira par s'apaiser. La nouvelle science se nourrit de l'interdisciplinarité et du travail d'équipe. La lutte contre le cancer relève d'un nouveau concept de médecine lourde, avec des appareils de röntgenthérapie de plus en plus puissants et, dans les années 1940, l'arrivée des radioéléments artificiels à vie courte. D'où la création des centres anticancéreux avec une double responsabilité, médicale et administrative, à l'image du premier service dirigé par Gustave Roussy à l'hospice Paul-Brousse et, bien sûr, de la fondation Curie, qui deviendra l'Institut Curie.
« Pionniers de la radiothérapie » par Jean-Pierre Camilleri et Jean Coursaget, EDP Sciences, 226 pages, 25 euros. Un colloque « La radiothérapie entre science, médecine et société » est organisé le jeudi 29 septembre à 14 heures à l'Institut Curie à l'occasion de la sortie de cet ouvrage ( www.curie.fr).
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