YANN A 12 ANS quand il passe sous un RER qu'il voulait attraper en courant. Coma, arrêts cardiaques, amputation d'un bras et d'une jambe, sa vie bascule et celle de ses parents avec. Aujourd'hui, il a près de 29 ans, des désirs, de l'énergie et toujours de l'humour. Le témoignage de Bernard Thomas est celui d'un père d'abord effondré, puis admiratif de l'énergie de son fils. C'est aussi celui de la culpabilité d'un père séparé de la mère de son enfant au moment du drame, d'un homme père d'un autre fils plus âgé présent au moment de l'accident, d'un amoureux de la mer et de la Bretagne, d'un révolté. Il y a la sortie du coma et «le premier regard lucide d'un encore enfant sur ce qui n'était plus». Quand «la réalité nue lui est apparue plus effroyable, plus anguleuse, à mesure qu'on lui faisait ses pansements», cet enfant de 12 ans s'est tourné vers le mur, pour ne plus «se voir, ne plus rien voir». Un bras et une jambe en moins, «une moitié d'humain allait reprendre pied parmi nous», écrit Bernard Thomas.
Comment faire ? Que dire ? Ou aller ? Comment continuer à vivre ? L'auteur évoque bien sûr l'effroi des parents devant leur enfant transformé en «charpie ensanglantée», sans autre perspective que de l'accompagner dans ses douleurs, ses interrogations, sa culpabilité devant la souffrance de cet enfant jadis casse-cou, la discrétion efficace de sa compagne, le chagrin courageux de la mère de Yann, la déstabilisation du frère aîné, les aménagements quotidiens, les tentatives de chacun pour vivre malgré tout. Dans une situation inhabituelle, chacun fait ce qu'il peut, comme il peut, déploie des trésors d'imagination pour s'adapter et aider Yann à le faire.
Océanothérapie.
Les voyages en Bretagne, où l'auteur a une maison loin du monde, la mer, le bateau, les amitiés essentielles avec des êtres «familiers des tempêtes» et aussi atypiques que la maladie, offriront à Yann et à son père une véritable océanothérapie. Le témoignage de ce dernier est celui d'une périlleuse navigation, au sens figuré comme au sens propre, sur les eaux bretonnes proches de l'île de Sein, là où la force des courants rend fatale toute tricherie, où la puissance des vagues et des tempêtes contraint à la solidarité. Yann y fera du bateau avec son père et de la plongée sous-marine. Le bras et la jambe vides de la combinaison coincés dans la ceinture plombée, le rebelle meurtri par mille blessures, visibles et invisibles, «agitant frénétiquement sa palme pour ne pas couler, y apprendra dans les profondeurs, là où chaque respiration compte, en même temps que la liberté, la nécessité».
Ces expériences, ces rencontres, un immense courage et une non moins saisissante vitalité lui feront petit à petit sortir la tête de l'eau. La renaissance sera progressive et parfois chaotique ; elle passera par l'expression artistique, la découverte du slam et des slameurs, de l'Afrique. Bref, de terres inconnues pour celui à qui la vie a imposé d'habiter dans une demeure inédite et malcommode.
Bernard Thomas, « le Voyage de Yann », J.-C. Lattes, 250 pages, 17 euros.
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