Avec 160 000 tentatives de suicide par an, soit une toutes les 4 minutes en France, 11 000 morts par an et plus de 60 000 endeuillés, la question de la prévention se pose bien sûr de façon cruciale. Comment éviter les récidives suicidaires, comment identifier les facteurs ayant conduit au suicide ?
ON SAIT, nous dit le Dr Guillaume Vaiva, vice-président du groupement études et prévention du suicide, que près de 90 % des suicidants sont hospitalisés pendant moins d’une semaine. Bien sûr, ces patients sortent généralement avec un rendez-vous de consultation ultérieure et des informations permettant de contacter plus facilement des professionnels de santé en cas de nécessité. En pratique, ces possibilités ne sont cependant pas pleinement utilisées et beaucoup de patients sont perdus de vus. Comment, dans ce cas, enrayer la survenue d’autres tentatives ? Pour K. Hawton, «peu importe ce que l’on fait, du moment que l’on propose quelque chose». La question demeure cependant de savoir quoi proposer et si cette intervention est réellement efficace. Dans une étude publiée en 2001 (1) E. Guthrie et coll. ont évalué l’intérêt d’un suivi à domicile, comportant quatre sessions de thérapie psychodynamique brève. Ces entretiens étaient menés par des infirmières formées spécifiquement à raison d’une session par semaine, de 60 à 90 minutes jusqu’à parfois 4 heures. Une diminution significative des idéations suicidaires à six mois et aussi des récidives a ainsi pu être obtenue. Seul bémol, un suicidé sur deux a refusé la méthode. Autre initiative originale, australienne cette fois, celle de l’étude EDge (2), au cours de laquelle les patients recevaient à intervalle régulier huit cartes postales au cours de l’année suivant leur hospitalisation. Aucune différence n’a été constatée en termes de proportion de récidives suicidaires ni de diminution de la mortalité par suicide. Cependant, chez les récidivistes, le nombre de tentatives de suicide a été divisé par deux. En France, G. Vaiva et coll. ont, quant à eux, choisi de recontacter téléphoniquement les suicidants après un et trois mois. Cet appel était effectué par un psychiatre au nom d’un des treize services des urgences ayant participé à ce travail. En cas de détection d’une situation à risque suicidaire, un entretien de soutien était proposé dans les trois jours avec le psychiatre ayant accueilli le patient aux urgences. Sur les treize patients ainsi dépistés, douze se sont effectivement présentés à l’entretien. Après l’appel effectué à un mois, cette expérience s’est soldée par une diminution des récidives. Il faut cependant souligner certaines contraintes et limites : la nécessaire précocité de la mise en place d’un suivi, un tiers des récidives ayant lieu avant la fin du premier mois, et la difficulté de contacter certains patients (un tiers des patients n’ont pas pu être joints).
L’autopsie psychologique.
Cette clinique de l’inquiétude qui sous-tend ce type d’actions est également au centre de l’autopsie psychologique des suicidés. Une pratique qui n’est pas encore effectuée en France, mais qui a déjà fait l’objet de plusieurs travaux. En effet, si l’on dispose de nombreuses informations sur les patients commettant des tentatives de suicide, il y en a relativement peu concernant les suicidés, qui représentent vraisemblablement une population distincte. D’où l’idée d’explorer les circonstances de l’acte grâce à une série d’entretiens menés auprès de l’entourage de la personne décédée, abordant aussi l’histoire familiale, l’environnement social, le parcours de vie, etc. Un travail très difficile car il nécessite un partenariat avec les services de médecine légale, le choix et le repérage des proches, mais qui pourrait apporter beaucoup, comme le précise le Pr Michel Debout, président de l’Union nationale pour la prévention du suicide, qui souhaite vivement que l’autopsie psychologique puisse voir le jour en France.
Déjà, une analyse faite dans les services de médecine légale de Saint-Etienne et Lyon, des données médicales recueillies au cours des six mois précédant 308 cas de suicide a permis de réunir des informations très utiles pour la prévention. La plupart des sujets n’étaient pas en dehors d’un parcours de soins, mais étaient au contraire en surconsommation de psychotropes. De plus, dans le mois précédant le suicide, une augmentation sensibles des posologies a été constatée signifiant qu’une aggravation avait bien été repérée, mais qu’elle aurait peut-être dû motiver une modification parallèle du rythme des consultations, voire une hospitalisation.
D’après les communications du Dr Guillaume Vaiva (Lille) et du Pr Michel Debout (Lyon).
(1) Guthrie E et coll. « BMJ » 2001 ; 323 :135-8.
(2) Carter GL et coll. « BMJ » 2005 ; 331 : 805.
(3) Vaiva G et coll. « BMJ » 2006 ; 332 :1241-5.
L’influence génétique
Plusieurs éléments plaident pour l’existence de facteurs de vulnérabilité génétique spécifiques des conduites suicidaires. On sait par exemple que le risque de suicide chez les apparentés de patients suicidants est quatre à dix fois plus élevé par rapport à celui de la population générale. Les études sur l’adoption ont montré que ce risque était six fois plus important chez les apparentés biologiques comparativement aux sujets ayant été adoptés appartenant à la même famille. Plusieurs gènes impliqués dans le métabolisme de la sérotonine ont été incriminés, en particulier, le gène de la tryptophane hydroxylase (TPH1) (intron 7, allèle A) et le promoteur du gène du transporteur de la sérotonine (allèle S). Les données épidémiologiques suggèrent que c’est une interaction gène-environnement qui serait à l’origine de l’acte suicidaire (1). Il pourrait notamment exister une modulation génétique des processus conduisant à la prise de décision, notamment en réponse à l’environnement (2).
D’après la communication de Frank Bellivier (Créteil). (1) Caspi A et coll. Science 2003 ; 301 : 386-9.
(2) Jollant F. et coll. Am J Med Genet B Neuropsychiatr Genet 2007 Jan 12 (Epub).
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