SI LES anticalcineurines, ciclosporine et tacrolimus, restent le pilier de l'immunosuppression après greffe, leur néphrotoxicité à plus ou moins long terme expose les patients au risque de développement d'une insuffisance rénale. Ainsi, de 5 à 10 % des patients ayant bénéficié d'une greffe cardiaque nécessitent une dialyse. Dans le cadre de la transplantation rénale, il est difficile de différencier un rejet chronique de la néphrotoxicité du traitement immunosuppresseur, mais des études histologiques ont montré que, dix ans après une greffe de rein, tous les patients présentent des lésions signant la toxicité de ces médicaments. D'où l'idée de diminuer leur utilisation, d'autant que, depuis une dizaine d'années, on dispose de nouvelles molécules non néphrotoxiques. C'est le cas des antimétabolites, notamment le mycophénolate mofétil, et des inhibiteurs de la protéine mTor, la rapamycine et l'everolimus. La difficulté, explique le Dr Marc Hazzan, tient bien entendu au risque d'accélérer et d'aggraver un rejet chronique en diminuant l'immunosuppression.
Plusieurs études ont été mises en oeuvre pour évaluer les possibilités de réduire, voire d'arrêter, les inhibiteurs de la calcineurine. Deux situations doivent être distinguées, selon que la toxicité rénale du traitement est avérée, il s'agit alors d'une prise en charge curative, ou que l'on veut agir en amont pour prévenir le développement de cette toxicité, explique le Dr Hazzan.
En cas de néphrotoxicité avérée.
Dans le premier cas, une biopsie du greffon peut être réalisée pour apporter la preuve histologique du rôle du médicament dans la dégradation de la fonction rénale. Plusieurs essais avaient montré que, sous mycophénolate, la diminution des doses d'inhibiteurs de la calcineurine de 50 % environ a un impact positif et rapide sur la fonction rénale. L'étude REFERENCE, coordonnée par le Pr Michèle Kessler (1), réalisée chez des patients ayant bénéficié d'une greffe rénale et présentant une dysfonction chronique du greffon, a confirmé le bénéfice à plus long terme de cette attitude, l'amélioration rapide de la fonction rénale se maintenant pendant au moins cinq ans avec un risque de rejet très faible. La minimisation des anticalcineurines est d'autant plus efficace qu'elle est débutée, dans les six premières années de greffe, en l'absence de protéinurie et en présence d'une clairance de la créatinine supérieure à 45 ml/min.
Chez des patients stables : réduire les doses…
On peut aussi envisager une attitude préventive, c'est-à-dire diminuer les doses d'anticalcineurine de façon programmée chez des patients stables. L'étude DICAM, coordonnée par le Dr Isabelle Etienne (Rouen), a comparé, chez des patients stables greffés un an auparavant et traités par mycophénolate, la diminution de moitié de la posologie de ciclosporine au maintien des doses initiales (2). A 24 mois, les auteurs ont observé une amélioration significative de la fonction rénale des patients du premier groupe comparativement aux sujets recevant la dose pleine d'anticalcineurine.
…ou tenter le sevrage.
L'arrêt complet de l'anticalcineurine a été évalué dans une étude chez des patients stables, qui, après trois mois de trithérapie par corticoïdes, ciclosporine et mycophénolate, ont eu une biopsie (3). En l'absence de rejet infraclinique, ils ont été randomisés en deux groupes : la ciclosporine a été arrêtée dans le premier et le mycophénolate dans le second. A 12 mois, les auteurs ont observé plus de rejets chez les patients du premier groupe, sevrés d'anticalcineurine (18,5 %), que chez ceux qui ont arrêté le mycophénolate (5,5 %), mais la fonction rénale de ces derniers est restée meilleure. Les résultats à deux ans montrent que le bénéfice de l'arrêt de la ciclosporine se maintient.
Les biopsies réalisées à 12 mois dans le groupe mycophénolate révèlent cependant la présence de dépôts de C4d, produit de dégradation de la fraction du complément, qui pourrait être considérée comme un marqueur d'activité immunitaire humorale signant le risque d'apparition à plus ou moins long terme d'un rejet chronique (4). Le suivi de ces patients devrait permettre de valider ce marqueur qui pourrait guider le maintien ou non de la ciclosporine. Une étude est également en cours pour évaluer la présence d'autre marqueur de rejet chronique, tels que les anticorps anti-HLA dirigés contre le donneur, dans cette cohorte.
Sans inhibiteur de la calcineurine ?
Un essai, dont les résultats à 6 mois ont été présentés en 2005 (5), est allé plus loin en excluant les inhibiteurs de la calcineurine du traitement immunosuppresseur immédiat. Ils ont reçu en plus du mycophénolate et des corticoides un anticorps monoclonal, le belatacept, protéine de fusion d'une immunoglobuline et du CTLA4, qui bloque les cosignaux d'activation CD80 et CD86 indispensables pour délivrer le deuxième signal d'activation des lymphocytes T, le premier étant la reconnaissance de l'antigène par le récepteur T. Après induction par le basiliximab, les patients, sous mycophénolate et corticoïdes, ont été répartis en trois groupes : le bras témoin a reçu la ciclosporine, le deuxième un traitement par une perfusion mensuelle de belatacept, le troisième un traitement intensif par ce même anticorps monoclonal. Le taux de rejet a été comparable dans les trois groupes, entre 6 et 8 % à 6 mois, mais la fonction rénale était significativement meilleure sous belatacept que sous ciclosporine. Les résultats à plus long terme de cet essai n'ont cependant toujours pas été publiés, note le Dr Hazzan.
D'après un entretien avec le Dr Marc Hazzan, pôle de néphrologie, CHRU de Lille.
(1) Frimat L et al. Am J Transplant 2006; 6:2725-34.
(2) Etienne I et al. Am J Tansplant 2007; 7: s207.
(3) Hazzan M et al. J Am Soc Nephrol 2005;16:2509-16.
(4) Hazzan M et al. Transplantation 2006;82:657-62.
(5) Vincenti , et al. N Engl J Med 2005;353:870-81.
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