Club Santé Environnement
L e risque microbiologique est diversifié, explique le Pr Hartemann ; il résulte d'une chaîne épidémiologique, une épidémie ne se déclenchant que si certains paramètres sont réunis : un agent pathogène plus ou moins « méchant » (virulence, toxicogénicité), réservoirs variés et qui peuvent s'entrecroiser (homme, animaux et même environnement pour Vibrio cholerae...), mode de transmission directe ou indirecte... Surtout, la réceptivité des populations est variable et elle augmente, en raison des progrès de l'hygiène : l'exemple de l'hépatite A est significatif puisque, aujourd'hui, 5 % des recrues de l'Armée présentent naturellement des anticorps, contre près de 100 %, au début du siècle ! D'où le besoin de les vacciner avant de les envoyer en opération.
On ne peut donc raisonner de façon simpliste quand on parle de risque microbiologique, d'autant que de nouveaux dangers apparaissent ou sont mieux identifiés : les légionnelles n'ont posé de problèmes de santé publique qu'avec les climatisations et les aérosols ; le rôle d' Helicobacter pylori dans la genèse de l'ulcère gastro-duodénal n'a été reconnu que récemment et encore ne sait-on toujours pas d'où il vient.
Quoi qu'il en soit, le risque microbiologique hydrique existe toujours dans nos pays développés.
L'épidémie de Milwaukee en 1993 est là pour rappeler le risque épidémique : cryptosporidium a touché 400 000 des 800 000 habitants, tuant une quarantaine de personnes. Les Nord-Américains ont compris qu'il fallait traiter l'eau et pas seulement ajouter du chlore, celui-ci n'ayant aucun effet sur cryptosporidium.
De façon moins dramatique, le risque endémique existe aussi et peut être prévenu, comme l'ont montré des études françaises et canadiennes : le fait de placer sur les robinets d'alimentation des filtres ultrasophistiqués réduit de 35 % le nombre de gastro-entérites.
Ces exemples conduisent le Pr Hartemann à deux conclusions importantes.
Il faut, dit-il, faire évoluer le contrôle sanitaire de la qualité de l'eau, historiquement centré sur les coliformes fécaux. Si l'on veut encore améliorer la qualité de l'eau, il faut rechercher d'autres pathogènes, pour peu que l'on dispose des techniques capables de les détecter dans l'eau. Et, en tout état de cause, la prévention du risque microbiologique est sûrement plus importante que la prévention du risque chimique, auquel tout le monde pense mais qui est beaucoup plus faible et à plus long terme.
Sus aux pesticides
Il faut néanmoins le prendre en compte. Les polluants chimiques se divisent en deux grands groupes de molécules : les molécules à effet déterministe, avec relation dose-effet (le fluor, par exemple, a des effets bénéfiques à faibles doses mais peut avoir des effets délétères, voire mortels, à plus fortes doses) et les molécules à effets probabilistes, non doses-dépendants. Dans le premier cas, le risque acceptable est de zéro, alors que pour les secondes molécules, il faut définir un seuil : l'OMS a choisi 10 puissance 5 (1 cas/100 000 habitants/vie entière) mais en France, comme dans la plupart des pays industrialisés, on est plus exigeant (10 puissance 6, soit 1 cas/1 000 000 habitants/vie entière). « Il est vrai que les risques en question sont lourds, comme des cancers, des leucémies, des anomalies génétiques. Mais il est vrai aussi, qu'un Occidental sur quatre mourra par cancer », note le Pr Hartemann.
Comme le souligne le Dr Michel Joyeux (maître de recherches à l'Ecole pratique des hautes études), les pesticides sont sûrement les polluants hydriques dont on parle le plus et pour cause : les produits phytosanitaires représentent plus de 7 000 spécialités commercialisées en France, correspondant à plus de 400 substances actives. Et la France, avec quelque 110 000 tonnes consommées (dont 100 000 par les agriculteurs), arrive au troisième rang mondial pour la consommation, après les Etats-Unis et le Japon. Les fongicides sont les plus utilisés, devant les pesticides et loin devant les insecticides.
Les effets des pesticides sur l'environnement (sols et systèmes aquatiques) sont connus et désastreux : rémanence importante des produits (ce qui a conduit à l'interdiction des dérivés chlorés), pression de sélection chez les animaux et végétaux, bio-accumulation (y compris chez l'homme, en bout de chaîne).
On connaît également assez bien leurs effets sur la santé des utilisateurs directs (industrie chimique, agriculteurs, agents de voirie...), qui, à fortes doses, peuvent être lourds : affections hématologiques (lymphomes, myélomes...), tumeurs des tissus mous (sarcomes, cancers du cerveau), génito-urinaires (cancer de la prostate), de la thyroïde. Il existe également des effets non cancérogènes, essentiellement à tropisme nerveux (maladie de Parkinson, neurotoxicité périphérique, convulsions), ce qui n'est pas très étonnant car certains agents, comme les carbamates, inhibent l'acétylcholine estérase.
Cependant, même dans ce contexte professionnel, les relations de causalité sont difficiles à établir. Il en va de même pour les enfants d'agriculteurs chez qui on a décrit les mêmes types de cancers (lymphomes, sarcomes, cancers du cerveau...). Surtout, les conclusions sont quasiment impossibles dans la population générale, en raison de la rareté des études épidémiologiques et de la faiblesse des niveaux d'exposition.
Partant de données expérimentales et plus rarement cliniques, l'OMS a déterminé des seuils de doses journalières admissibles (DJA) et les a adaptées à l'eau, en sachant que celle-ci apporte environ 10 % des pesticides ingérés et en se fondant sur une consommation de 2 litres par jour. Mais les données OMS sont loin de concerner tous les produits commercialisés alors que la toxicité des pesticides est très hétérogène (avec quatre composés vraiment toxiques).
Le problème est que les valeurs réglementaires, françaises et européennes, sont uniformes : 0,1 µg/l pour chaque substance et 0,5 µg/l pour l'ensemble des pesticides présents. Ces normes correspondent aux limites de détections (dans les années 1980) et ne reposent pas du tout sur des bases toxicologiques, avec des différences souvent importantes entre les normes et les seuils OMS. Cela peut poser des problèmes en termes de communication et de gestion du risque, car l'eau peut être déclarée non conforme, alors qu'elle n'est pas toxique. Le Dr Joyeux reconnaît cependant deux mérites à cette rigueur : elle maintient une pression sur le monde agricole et fournit une marge de sécurité vis-à-vis d'éventuels effets infracliniques.
Serge Cavelius, directeur régional de la Générale des Eaux Est est responsable de cinq centres opérationnels dirigeant 14 agences (Metz, Epernay, Troyes...) avec des unités de tailles très différentes, la plus petite servant 35 clients et la plus grosse, plus de 50 000. Un millier de personnes travaillent dans la région, dont 85 % directement sur le terrain.
Il faut d'abord noter que les laboratoires publics ou privés ne sont capables d'analyser en routine que 300 substances, ce qui est beaucoup moins que les quelque 800 produits ou métabolites pouvant être présents. Mais le problème principal vient de la discordance des normes réglementaires et des seuils toxicologiques. Pour l'atrazine, l'un des produits les plus utilisés en agriculture, la norme est, on le sait, de 0,1 µg/l alors que l'AFSSA (Agence de sécurité sanitaire des aliments) tolère 2 µg/l chez l'adulte, 0,6 µg/l chez l'enfant et 0,4 µg/l pour le nourrisson et la femme enceinte. Serge Cavelius avoue ne pas comprendre de telles différences qui conduisent « à des notifications pour le moins bizarres des DDASS ».
Une eau non conforme aux exigences réglementaires physico-chimiques en vigueur peut rester utilisable pour l'usage sanitaire et la consommation humaine si le total des substances mesurées n'atteint pas les 2 µg/l préconisés par l'OMS. Le suivi reste maintenu pour cette année.
Responsables, mais pas décideurs
Concernant les pesticides, une notification est nécessaire. Le maire et le préfet concernés reçoivent ce document mais la santé publique n'étant pas en jeu, des mesures drastiques (et plus ou moins onéreuses) sont rarement prises. Or la responsabilité pénale revient au distributeur, qui n'est pas le décideur, une situation pour le moins inconfortable. D'autant qu'au regard des pesticides, un quart seulement des eaux de surface étaient estimées de très bonne ou bonne qualité en 2000 dans l'ensemble de la France. Et aucun élément ne laisse espérer une amélioration à court ou à moyen terme, les actions de prévention sur la pollution agricole ne pouvant être efficaces qu'à long terme (il faut plusieurs années, voire plusieurs décennies pour normaliser une nappe profonde polluée).
En attendant, on peut utiliser des traitements de l'eau. Les traitements d'oxydation (par l'ozone et l'eau oxygénée) ont été interdits car les produits de dégradation étaient encore plus difficiles à éliminer que les produits initiaux. On peut recourir aux filtres avec charbon actif en grains qui demandent un temps de contact minimal pour l'absorption, ce qui conditionne la taille des filtres, en fonction des volumes à traiter. Les techniques membranaires par osmose inverse ou nanofiltration, contrairement à la précédente, permettent de retenir la plupart des molécules si bien qu'il faut reminéraliser l'eau après traitement. Enfin, le charbon actif peut être utilisé en poudre, sans limites quantitatives, ce qui est adapté pour traiter les pics de pollution.
Le traitement par charbon actif en grains est appliqué dans les agglomérations de Metz et d'Epernay mais la palme revient aux deux communes de Brebant-Corbeil qui, pour quelques centaines de consommateurs, ont décidé de se doter d'un système de nanofiltration. Il faut dire qu'une telle précaution a un surcoût de 0,15 à 0,5-0,6 euros par mm3 d'eau, selon la taille de l'installation. Or on l'a dit, à ce niveau, le distributeur propose et l'élu dispose.
Le prochain Club Santé aura lieu à Antibes à la fin du mois d'octobre et sera consacré aux eaux de baignade.
Les restes de médicaments, un problème émergent
Parallèlement au problème posé par les pesticides, la présence de résidus de médicaments humains (antibiotiques, bêtabloquants, hypolipémiants, produits de contraste...) dans l'eau de boisson suscite des inquiétudes. Les concentrations décrites restent relativement faibles, indique le Dr Joyeux, et il est probable que le poids de la médecine humaine restera plus faible que celui de la médecine vétérinaire, qui utilise des doses massives, dans des zones très localisées ; et les excrétions humaines retournent directement au milieu hydrique, contrairement aux déjections animales.
Le problème n'est pas anecdotique, comme en témoignent deux chiffres : 800 tonnes d'estrogènes sont vendues par an ; les taux de certains médicaments dans l'eau brute pouvant être utilisée pour faire de l'eau potable est déjà supérieure à celle autorisée pour les pesticides (3,1 µg/l pour un fibrate contre 2 µg/l au maximum). Si l'on adoptait pour les médicaments les mêmes normes que pour les pesticides, cela poserait d'énormes problèmes aux stations d'épuration.
Il ne faut pourtant pas dramatiser car l'ingestion de 2 litres d'eau, vie entière, apporterait l'équivalent de deux jours de traitement, aux taux constatés.
Ce problème émergent risque de faire parler de lui, pas tellement en santé humaine mais à travers les débats sur les perturbateurs endocriniens que certains rendent responsables de phénomènes surprenants observés dans diverses espèces animales.
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