Exceptionnelle, disséminée et imprévisible : ces trois points fondamentaux de la psychose naissante n'en facilitent pas l'observation.
Exceptionnelle. La psychose naissante est encore mal connue. Le médecin généraliste croise certes des psychoses naissantes, mais sans doute pas assez dans sa carrière pour le rendre attentif. Cette méconnaissance est responsable des temporisations neuroleptisées qui accompagnent les premiers pas de la psychose. On ne la néglige pas, mais on s'en occupe mal. On cherche des prodromes, on attend un délire. Il est toujours trop tôt ou trop tard. Devant la psychose naissante, les praticiens optent pour la désorganisation mentale, l'incohérence (dénominateur clinique commun, imprécis mais emblématique des folies débutantes) qui sert d'alibi à l'abstention.
Disséminée. Il n'existe pas de société humaine sans psychose. Elle traverse les siècles avec la même constance. Son incidence varie peu. La vulnérabilité à la psychose est hors culture et hors individu. La psychose naissante implique une vulnérabilité uniforme, propre non à des individus particuliers (il n'y a pas de barrière antipsychotique individuelle), mais d'abord à toute une espèce, cette vulnérabilité est anthropologique. Le premier épisode de psychose survient chez de jeunes adultes. En effet, sa probabilité augmente à l'adolescence et durant les dix ans qui suivent. La psychose intéresse un seul homme à la fois. Personne, en outre, ici, ne contamine personne, la psychose naissante n'est pas contagieuse, elle est sporadique, disséminée.
Imprévisible. La première fois, la surprise est totale pour cet homme comme pour son entourage. Il n'existe aucun signe avant-coureur, rien auparavant ne filtre de l'événement. L'entourage bouleversé ne fait pas appel d'emblée au psychiatre. Parfois, les manifestations publiques conduisent le patient entre les mains de la police. On le confie d'abord à des médecins dont le rôle est d'éliminer un trouble cérébral, toxique, métabolique ou infectieux. Le patients n'est pas confus, il est sous la stupeur. Au terme de ce premier examen, il est confié au médecin psychiatre. Le silence enveloppe la psychose naissante. Le vocabulaire élémentaire de la surprise, de l'angoisse et de la souffrance n'apparaît pas ici. Il faut explorer ce silence. En connaissant la nature de l'obstacle, on saura peut-être comment le dépasser ou le contourner. Fréquemment, le silence alterne chez le même patient avec des intervalles de volubilité.
La polarisation interpersonnelle est propre à l'entrée en psychose: elle démarre dans une solitude relative auprès de familiers, puis se déploie de façon imprévisible, inopinée, dans la rue, au travail, dans les transports en commun. Cette centralité psychotique ne doit pas être confondue avec la multitude de petites centralités névrotiques ou histrioniques liées au désir ou à la vanité.
Intervenir en urgence sur cette situation
L'avenir du patient dépend de la qualité des premiers entretiens. Entre le mutisme initial et le délire, il ne faut pas hésiter, on doit mobiliser le patient dans son silence même. Il faut l'aider à mettre son expérience actuelle sur le tapis (l'expérience de polarisation et de centration du monde n'est jamais abordée par les patients de façon directe). Seul, il n'y parvient pas, il a besoin d'être assisté, non questionné. En agissant ainsi, on évite que l'envahissement psychotique ne se transforme en débâcle délirante. On parle avec lui, dans la perspective précise d'une assistance immédiate, pour lui donner la possibilité de saisir l'ampleur de l'expérience qu'il vit et la nature interpersonnelle récente de son point de départ. C'est une urgence absolue. Il ne s'agit pas d'écouter mais de rendre au patient une cohérence minimale à l'épisode initial qui le maintienne à l'abri d'un sens quelconque, forcément délirant, avant qu'il n'en ressente plus la nécessité.
Au total, patient et praticien doivent éviter de glisser ensemble sur les sentiers faciles de la chronicité sur le modèle de la maladie, l'un restant dedans, l'autre la contemplant du dehors.
Face à un dépistage personnalisé qui reste, à ce jour, totalement vain (rien n'autorise aujourd'hui à prendre le risque de traiter d'avance de possibles faux positifs) et à l'utopie d'une chimiothérapie salvatrice, seule la prise en charge précoce quotidienne et pluriquotidienne du patient pourra déjouer la potentielle évolution de la psychose naissante vers la schizophrénie.
D'après un entretien et le livre « Tu ne seras pas schizophrène », paru aux éditions Les empêcheurs de penser en rond, de Henri Grivois, professeur de psychiatrie, ancien chef de service des urgences psychiatriques de l'Hotel-Dieu à Paris.
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