Si les données relatives à la consommation d’anxiolytiques après les attentats ne montrent pas d’envolée, – entre le 9 et le 13 janvier, le GERS* constate même une légère baisse des boîtes vendues, de l’ordre de –2,2%, par rapport à la même période en 2014 –, la fréquentation des grands magasins a subi dans le même temps une indéniable baisse à deux chiffres, de même que les centres commerciaux, ou les salles de spectacle.
De là à dire que les Français que l’on savait, sondage après sondage, inquiets et pessimistes, seraient atteints collectivement de stress post traumatique, il n’y a qu’un pas, que d’aucuns franchissent, mais avec circonspection : « Dans la population générale où les personnes n’ont pas été directement ou indirectement exposées aux attentats, analyse le Dr Roland Coutanceau, psychiatre et psychanalyste, président de la Ligue française pour la santé mentale, il faut distinguer les personnalités névrotiques fragiles, anxieuses et introverties, qui vont morfler et subir les événements comme des paratonnerres, même si elles ne présentaient pas un tableau clinique. Celles-là, à défaut d’un champ affectif balisé, vont en effet se précipiter vers les psychotropes, anxiolytiques ou substances addictives. Et puis, d’autres, de tempérament encaisseur et résilient, vont lisser leur angoisse par exemple en se joignant aux grandes manifestations citoyennes qui ont déferlé dans tout le pays. Ces marches ont agi comme un excellent psychotrope naturel, qui structure et apaise. Clamer avec des dizaines de milliers de manifestants "Je suis Charlie", c’est expurger son angoisse tous ensemble contre Satan. »
Cette unanimité populaire doit cependant être questionnée, nuance le Dr Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, qui met en garde au sujet « des réactivations possibles de traumatismes oubliés chez certains manifestants. Par exemple, les anciens d’Algérie peuvent revivre les traumas de leur jeunesse et décompenser. »
« Pas de divan dans les rues »
Alors, sans s’aventurer dans des amalgames toujours dangereux, le Pr Humbert Boisseaux, chef du service psychiatrie du Val-de-Grâce, confirme qu’« après une telle mise en cause de la liberté de parole et du sentiment de sécurité, l’anxiété, la crainte du lendemain se propagent comme une onde de choc et suscitent le besoin de se réunir, en grand ou en petit nombre, pour se serrer les coudes, redonner ensemble du sens après la sidération et l’effroi et mieux contrôler sa souffrance. » Beaucoup de manifestants l’ont confié : « Il faisait froid, mais nous nous tenions chaud. »
Tous les psychiatres ne partagent pas cette analyse au sujet d’une possible thérapie de très grand groupe. « Il n’y a pas de divan dans la rue, estime ainsi le Pr Michel Lejoyeux, chef de service à Bichat. Les manifs ne sauraient soigner des Français qui formeraient un grand corps social malade. Parler d’un ESPT national, ce n’est pas poser un diagnostic médical selon la CIM, c’est plutôt céder à un marronnier médiatique. Qu’une émotion ait submergé tout le pays, nul ne le conteste et, compte tenu de ce qui était en jeu, c’est naturel. Mais psychiatriser ce ressenti et invoquer à l’envi une pathologie collective est d’autant moins scientifique que des études nous ont montré, notamment après le 11 septembre, que de telles vagues d’émotion retombaient aussi vite que spontanément » (voir encadré).
Alors, psychiatriser ou pas ? « Les deux options se justifient, tempère le Dr Richard Rechtman, médecin et anthropologue (EHESS). Dans une acception strictement clinique, il semble bien inexact de parler d’un traumatisme collectif qui frapperait les personnes non directement impactées par les attentats et qui, en effet, ne développeront pas une symptomatologie de type ESPT. En même temps, depuis une trentaine d’années, nous observons en anthropologie un glissement sémantique du terme traumatisme : c’est devenu le marqueur de l’indignation maximale, du summum de l’insupportable. La population générale, en fait, est atteinte d’un malaise d’angoisse, d’une attente anxieuse. Comme mes confrères, je l’observe depuis deux semaines, dans la file active de mes patients : tous, sans exception, relèguent leurs tableaux habituels au second plan, pour évoquer leur sentiment d’anxiété en lien avec les événements »
Le « repérage » du généraliste
« C’est au médecin généraliste d’assurer dans les semaines qui suivent les événements le repérage de ces patients déstabilisés, pour les orienter vers un spécialiste, préconise le Dr Patrice Louville, dès lors qu’ils suspectent une réaction psychotraumatique. »« L’omnipraticien reste en première ligne, note cependant le Dr Rechtman et il joue un rôle primordial d’écoute. Quinze ou vingt minutes dans l’empathie suffisent en général à apaiser la personne. Quitte à conseiller des doses infimes de benzodiazépines, ne serait-ce que sur deux ou trois jours, à seule fin d’authentifier la plainte du patient et de répondre au sentiment d’illégitimité de sa souffrance, souvent sous-jacent. »
* Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistique, créé par les entreprises de l’industrie pharmaceutique pour compiler les données de vente. n’a pas enregistré de variation significative.
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