Chronique électorale
Le débat au sein du Parti socialiste sur l'identité du prochain Premier ministre au cas où la gauche gagnerait les élections législatives est à la fois amusant et révélateur de quelques ambitions qui étaient restées discrètes au lendemain de la défaite de Lionel Jospin mais resurgissent maintenant ; parce qu'il faut bien, n'est-ce pas, préparer l'avenir immédiat.
En abandonnant toutes ses fonctions politiques le soir même du 21 avril, Lionel Jospin a donné l'exemple de l'homme politique capable de mettre un terme à sa propre carrière, mais il n'a pas rendu service à ses amis socialistes. Car il a créé un vide.
Les arguments de François Hollande
Tous les socialistes ont désigné François Hollande, Premier secrétaire du parti, pour conduire la bataille des législatives. Fort logiquement, M. Hollande estime que, dès lors qu'il aurait conduit les siens à la victoire, il devrait, dans le droit fil des événements, devenir le chef du gouvernement. Cette ambition, bien qu'elle soit légitime et dictée par l'enchaînement des faits, ne convient pas, forcément, aux ténors du PS, notamment Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, qui s'estiment tout désignés pour l'emploi. Martine Aubry nourrit peut-être le même espoir, mais elle se montre plus discrète que ses collègues.
Elisabeth Guigou, quant à elle, a apporté son soutien à M. Hollande.
Le chef des socialistes a le bon droit de son côté. Il conduit la manuvre et si elle réussit, il doit en toucher les dividendes ; il a un prédécesseur illustre, Lionel Jospin, longtemps premier secrétaire du parti et qui a fini comme chef du gouvernement ; il est jeune et compétent, c'est un homme de synthèse qui a su ménager les divers courants du parti et veiller à garder des relations décentes avec les Verts et les communistes en dépit de leurs surenchères. Enfin, pendant la cohabitation, il a dit tout haut ce que pensait M. Jospin, parfois avec une virulence que Jacques Chirac a traitée par le mépris ou par l'indifférence, mais qui n'a sûrement pas fait de M. Hollande un ami du chef de l'Etat.
Comme le souligne Mme Guigou, la « tradition » républicaine veut que le chef de l'Etat désigne comme Premier ministre le chef du parti vainqueur aux élections législatives. Mais d'une part, M. Chirac aura beaucoup de mal à choisir celui qui s'est livré, pendant cinq ans, à d'incessantes attaques contre lui ; et, d'autre part, M. Hollande a plus à craindre de ses adversaires intérieurs que de son ennemi extérieur. Car ni M. Fabius, ni M. Strauss-Kahn, ni même Mme Aubry ne vont accepter que M. Hollande se lance, à la faveur de la défection de Lionel Jospin, dans une carrière politique qui les laisserait, eux, sur le bord de la route. Mme Aubry pense sans doute qu'elle est plus populaire, plus politique, plus autoritaire que le chef du parti ; MM. Fabius et Strauss-Kahn, que rien, d'ailleurs, ne distingue idéologiquement, estiment que le poids politique de M. Hollande n'est pas comparable au leur. Et leur parcours serait brisé net par un troisième homme qui les coifferait au poteau.
Le large choix de Chirac
Le débat a de quoi faire rire dans la mesure où, même s'il demeure relativement discret, il vend la peau de l'ours. La gauche n'a que de faibles chances de gagner des élections et plus on parle de l'identité d'un Premier ministre de cohabitation, moins la cohabitation semble acceptable.
Toutefois, si M. Chirac était confronté à cet improbable cas de figure (que rien ne nous permet d'exclure), il ne serait pas obligé d'obéir à la tradition républicaine. A n'en pas douter, il préférerait un chef du gouvernement qui ne l'a pas harcelé comme l'a fait M. Hollande et dont les convictions économiques et sociales sont plus proches des siennes : ce ne serait donc pas Martine Aubry ; ce qui explique qu'elle ne soit pas entrée dans la querelle interne du PS : elle ne voudrait même pas être le Premier ministre de Jacques Chirac. Mais ce pourrait être M. Fabius ou M. Strauss-Kahn, dont les idées ne sont pas, en définitive, tellement éloignées de celles de la droite.
M. Chirac sait en tout cas qu'il préparera l'avenir de l'homme ou de la femme qu'il nommera, en lui ouvrant une voie très large vers la présidence de la République. Surtout si la croissance revient et si, comme au temps de M. Jospin, elle permet au gouvernement d'afficher de bons résultats en matière d'emploi.
Cependant, avant de tirer des plans sur la comète, il faut avoir franchi le cap des législatives. Si gouverner, c'est prévoir, M. Chirac ne peut pas faire l'économie d'un examen de tous les cas de figure possibles et il doit se préparer à toutes les éventualités.
Une foire d'empoigne
Il demeure que, quelles que soient les raisons qui ont permis au président de triompher le 6 mai, une nouvelle cohabitation serait une foire d'empoigne. L'électorat de gauche ne va sûrement pas changer de camp. Satisfait d'avoir fait du bon travail au second tour de la présidentielle en contribuant à l'écrasement de Jean-Marie Le Pen, il veut maintenant voter pour « ses » candidats. Le PS et les Verts, sinon le PC, sont assurés de retrouver aux législatives le noyau dur et idéologique des électeurs qui éprouvent pour la droite une telle aversion que d'aucuns ont songé à voter Chirac en se bouchant le nez.
Mais après la terrible défaite de la gauche à la présidentielle, il manque à la gauche cette dynamique qui, dans les scrutins décisifs, assure l'extension d'un gisement de suffrages à une partie de la majorité silencieuse.
Aussi, quelles que soient les difficultés éprouvées par la droite, ses divisions internes, la présence en force du FN dans de nombreuses circonscriptions, les effectifs pléthoriques des listes électorales, sa propre crédibilité après cinq ans de cohabitation, et enfin le halo de scandale qui entoure M. Chirac lui-même et lui aurait fait perdre la présidentielle en d'autres circonstances (d'une certaine manière, c'est Le Pen qui l'a sauvé), une majorité de droite devrait se dégager du scrutin. Ce qui relativise les querelles personnelles au sein du PS et remet à plus tard l'accomplissement des ambitions. Encore que, si M. Hollande perd les législatives, on verra aussitôt émerger du sein de la gauche des hommes ou des femmes qui proposeront non seulement une autre politique mais les moyens de la mettre en pratique et de conduire la gauche à une victoire ultérieure.
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