PRATIQUE
Mme M., 36 ans, est adressée par son médecin traitant pour un herpès labial évoluant depuis sept-huit mois à raison de deux crises par mois malgré un traitement per os par Zovirax 4 comprimés par jour.
Dans les antécédents, on retrouve un eczéma plantaire depuis l'âge de 10 ans ainsi qu'une rhinite allergique et une conjonctivite allergique aux pollens depuis plusieurs années. Il n'y a pas d'atopie familiale.
L'examen retrouve un érythème rouge sec mal limité sur toute la zone sus-labiale droite et gauche. Il n'y a ni vésicules, ni pustules, ni croûtes groupées en bouquet comme dans un herpès. En revanche, la palpation retrouve un microgranité sec prurigineux tout à fait symétrique. Les lésions sont très prurigineuses.
Depuis plusieurs mois, la patiente applique uniquement le Zovirax crème et est en continu sous Zovirax 4 cp/jour sans succès. Elle a interrompu l'application de Zovirax depuis environ quinze jours et n'a rien appliqué d'autre.
Le diagnostic retenu n'est pas celui d'herpès résistant aux antiviraux mais d'eczéma de contact au propylène-glycol de la crème Zovirax*. Un traitement antihistaminique et corticoïde local est prescrit, et la patiente est revue trois semaines plus tard enfin guérie, avec une peau normale sur le pourtour des lèvres et, en revanche, un patch-test vésiculeux fortement positif à la crème Zovirax appliquée par elle-même sur un bras quarante-huit heures avant la consultation.
Hypothèse d'un herpès rebelle aux antiviraux : d'abord, ce phénomène est rare, mais surtout, il s'agit de terrains immunodéprimés, essentiellement des SIDA, et l'aspect clinique est dans ces cas hyperkératosique sec et non vésiculo-croûteux, comme dans le cas classique. Cette patiente n'a donc ni le terrain ni l'aspect d'un herpès rebelle à l'aciclovir. Le caractère rebelle au traitement antiviral bien conduit doit donc d'emblée faire remettre en cause le diagnostic. De plus, les lésions sont en règle asymétriques, ce qui n'est pas le cas ici. Autre argument : entre les poussées, la peau redevient strictement normale, une fois les stades vésiculeux et croûteux terminés. Or, dans cette observation, la patiente n'a eu aucune période de rémission. L'aspect clinique lui-même n'évoque pas non plus un herpès, puisqu'il n'y a pas de vésicules groupées en bouquet. En revanche, le microgranité érythémateux et sec est très évocateur d'eczéma. Une autre petite nuance, cependant parfois difficile à faire préciser par le patient, est l'association au prurit d'une hyperesthésie à l'effleurement au début de l'éruption. Si l'on imaginait que cet herpès soit en phase cicatricielle, ou bien la peau serait normale, ou bien les lésions seraient encore croûteuses et fissuraires, franchement douloureuses et non prurigineuses à ce stade, alors que le prurit accompagne constamment l'eczéma.
Une fois posé le diagnostic d'eczéma, on pouvait discuter, du fait du terrain atopique, une chéilite atopique, mais, dans ce cas, il s'agirait d'une atteinte des lèvres ou des commissures et non du versant cutané. La localisation devait donc faire suspecter un eczéma de contact. Le seul topique appliqué depuis des mois sur la zone atteinte était la crème Zovirax, il était donc logique de la suspecter immédiatement. Seul le test épicutané pouvait confirmer l'allergie. Comme la patiente était sous Zovirax comprimés, et n'avait aucune lésion sur le reste du corps, un eczéma à l'aciclovir était totalement improbable. En consultant la liste des ingrédients, le seul ingrédient responsable d'eczéma de contact était le propylène-glycol. Cet ingrédient se retrouve également dans le Cutherpes et dans le VirAMP, deux autres topiques classiquement utilisés dans l'herpès. Ceux-ci sont donc contre-indiqués chez cette patiente.
Il faut également, après avoir confirmé cette allergie de contact au propylène-glycol par un test épicutané à cette molécule, conseiller à la patiente d'apprendre à lire les étiquettes de toutes les crèmes traitantes et hydratantes qu'elle utilisera, en particulier les corticoïdes locaux qui peuvent contenir cet excipient très utilisé dans l'industrie cosmétique comme pharmaceutique.
En réinterrogeant la patiente, on peut se poser la question du rôle de cette allergie de contact dans un épisode d'eczéma sévère et récalcitrant des membres inférieurs survenu à l'âge de 7 ans, possiblement entretenu par des topiques contenant du propylène-glycol, ainsi qu'un autre plus récent apparu sur le cuir chevelu après application d'une crème défrisante.
En cas de poussées d'herpès, cette patiente ne dispose donc d'aucun traitement local antiviral, mais elle peut utiliser le Zovirax en comprimés qui fait cicatriser les lésions d'autant plus rapidement que le traitement a été entrepris précocement, en moyenne en une semaine. Si elle le souhaite, elle pourra utiliser une crème cicatrisante, à la condition expresse qu'elle ne contienne pas de propylène-glycol.
Si herpès et eczéma ont des points communs, un examen clinique attentif et un interrogatoire précis doivent permettre de trancher entre ces deux pathologies. En cas d'erreur diagnostique, l'évolution défavorable sous traitement fera redresser le diagnostic : un herpès traité par un corticoïde aura tendance à s'étendre rapidement, alors qu'il cicatrise en quelques jours sous traitement adapté. Un eczéma atopique sera inchangé par le traitement antiviral et, en revanche, amélioré en quelques jours par les corticoïdes locaux. Un eczéma de contact à la crème Zovirax s'aggravera avec celle-ci et ne s'améliorera qu'avec un corticoïde sans propylène-glycol.
En conclusion, lorsque les lésions ne s'améliorent pas ou s'aggravent avec un traitement bien conduit, il faut en premier lieu remettre en cause le diagnostic avant de penser à une forme « rebelle » au traitement.
* Selon les données de la pharmacovigilance, cet effet est connu, mais rare.
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