Diverses situations
Diverses situations peuvent amener le clinicien à s'orienter vers le diagnostic d'hémochromatose : la présence de symptômes cliniques tels qu'une asthénie ou des arthralgies, la découverte d'une hyperferritinémie, ou lors d'un bilan réalisé chez les membres de la famille d'un patient atteint d'hémochromatose. La démarche diagnostique, à ce stade de suspicion, est assez simple et repose désormais sur l'utilisation du test génétique HFE, simple test sanguin permettant de prouver la maladie. Cette découverte récente de la protéine HFE a non seulement permis une très grande avancée dans la connaissance physiopathologique de l'hémochromatose, mais a encore transformé, rapidement et profondément, l'approche diagnostique de la maladie.
Saturation de la transferrine
Un point crucial : l'élévation du taux de saturation de la transferrine.
Il est établi qu'un taux normal de saturation de la transferrine (< 45 %) écarte d'emblée une hémochromatose. Il faudra néanmoins s'assurer que la normalité de ce taux ne résulte pas de l'interférence d'un syndrome inflammatoire fortuitement associé à une authentique hémochromatose. C'est dire qu'il importe, avant d'exclure formellement l'hypothèse hémochromatosique, de s'assurer de la normalité du taux de CRP sérique : « La présence d'un syndrome inflammatoire peut faire baisser artificiellement la saturation », rappelle le Pr P. Brissot.
Une élévation de la saturation est, quant à elle, hautement indicative d'hémochromatose. Cependant, bien que marqueur sensible, elle n'est nullement spécifique de la maladie et peut s'observer lors des surcharges en fer par supplémentation martiale excessive, au cours d'atteintes hématologiques comme les anémies hémolytiques (de type bêtathalassémie) ou les syndromes myélodysplasiques (de type anémie sidéroblastique réfractaire), ou enfin en cas de cytolyse hépatique marquée (transaminases supérieure à 3 fois la normale), d'autant que coexiste une insuffisance hépatocellulaire, voire un alcoolisme ou une virose C. L'élévation du taux de saturation de la transferrine orientera donc fortement vers une hémochromatose, à condition toutefois de s'assurer de la normalité des taux d'hémoglobine, de transaminases et de prothrombine.
Test HFE
Devant la découverte d'une augmentation du taux de saturation de la transferrine, l'étape de confirmation de la maladie reposera sur la réalisation du test génétique HFE, à la recherche de la mutation C282Y. Si le patient est C282Y/C282Y, c'est-à-dire homozygote pour cette mutation, le diagnostic d'hémochromatose est affirmé et il n'est plus besoin d'envisager la moindre exploration complémentaire pour confirmer le diagnostic. A ce stade, le problème est d'engager un bilan destiné à la fois à quantifier la surcharge en fer et à en évaluer le retentissement viscéral et/ou métabolique. « Deux examens permettront d'apprécier l'intensité de la surcharge en fer : le dosage de la ferritine, dont le taux est particulièrement bien corrélé au taux de fer dans l'organisme dans cette affection, et l'IRM hépatique, qui va permettre de quantifier la concentration en fer du foie », explique le Pr P. Brissot.
Retentissement
Le reste du bilan évaluera le retentissement viscéral et métabolique et sera orienté par les signes clinico-biologiques. Il comportera un contrôle des transaminases, de la glycémie et, en fonction du contexte, un bilan cardiaque (ECG/écho), des radiographies ostéo-articulaires et un bilan hormonal. Aucune exploration invasive n'est donc nécessaire. « La ponction-biopsie hépatique ne doit surtout pas être systématique », insiste le Pr P. Brissot. Elle ne devra être réalisée qu'en cas de suspicion de cirrhose et aura, dans ce cas, une valeur pronostique et non pas diagnostique. On admet qu'il n'est pas nécessaire de pratiquer une biopsie si les trois critères suivants sont trouvés : l'absence d'hépatomégalie, l'absence de cytolyse et une ferritinémie inférieure à 1 000 μg/l.
Patient hétérozygote
Si le patient est C282Y+/-, c'est-à-dire hétérozygote pour la mutation, la relation de causalité entre la surcharge en fer et cet état d'hétérozygotie C282Y doit être de principe remise en cause. « La mutation C282Y seule n'a aucune valeur diagnostique. » Il faudra donc rechercher toute autre cause de surcharge en fer pouvant expliquer une élévation de la saturation de la transferrine. En l'absence de repérage d'une autre étiologie de surcharge en fer, on pourra alors demander la recherche complémentaire de la mutation H63D afin de mettre en évidence une éventuelle hétérozygotie composite (C282Y/H63D). En effet, ce profil peut être responsable d'une surcharge en fer qui, le plus souvent, n'est que modérée. Dans la grande majorité des cas, la maladie ne s'exprime pas chez ces personnes. « Si elle s'exprime, il est toujours de mise de rechercher un autre facteur d'excès en fer, comme l'alcoolisme chronique ou un polymétabolisme, vis-à-vis duquel l'hétérozygotie composite jouerait un rôle potentialisateur », précise le Pr P. Brissot.
Maladie à expressivité variable
Malgré la découverte d'une homozygotie C282Y/C282Y, la maladie pourra très bien ne pas s'exprimer. « On commence à découvrir aujourd'hui différents facteurs modulateurs d'expression qui expliqueraient l'absence de parallélisme entre l'état d'homozygotie et la probabilité de développer la maladie. Il s'agit en particulier de deux protéines, l'hémojuvéline et l'hepcidine, très fortement impliquées dans le métabolisme du fer », nous dévoile le Pr P. Brissot. Une très forte expression de la maladie chez certains homozygotes serait en effet parfois associée à des mutations de ces protéines de régulation, des protéines qui seraient donc associées au degré de sévérité de la maladie. De même, la nature de l'expression de la maladie pourrait être liée à diverses activités enzymatiques, qui expliqueraient pourquoi un patient développera préférentiellement une forme plutôt articulaire, plutôt qu'endocrinienne ou cardiaque. Ces découvertes modifient donc la conception même de la maladie, une maladie qui ne serait donc plus considérée comme monogénique mais digénique. Explorer ces nouvelles voies, tel est l'enjeu de la recherche actuelle, d'autant que ces nouvelles cibles ouvrent la voie à de nouvelles orientations thérapeutiques.
D'après un entretien avec le Pr Pierre Brissot, chef du service des maladies du foie au CHU de Rennes.
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