LE SPRINTEUR sud-africain Oscar Pistorius, amputé tibial bilatéral, en avait appelé aux juridictions internationales du sport pour participer aux épreuves de qualification en vue des jeux Olympiques de Pékin. Les experts de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) l'avaient en effet tout d'abord écarté, au motif que ses prothèses lui procureraient un avantage par rapport à des coureurs valides de même niveau. Mais les temps qu'il a réalisés, à plus de deux secondes des meilleurs valides mondiaux, ne lui ont pas permis de participer aux JO.
Pour se consoler, il a remporté le triplé des sprints aux JP, 100 m, 200 m et 400 m. Sur des concurrents amputés d'une seule jambe. Sa victoire a été acquise de justesse au 100 m, avec un temps de 11,17 secondes, trois petits centièmes de seconde devant l'américain Jerome Singleton, la piste mouillée par la pluie l'ayant pénalisé au départ. En revanche, au 400 m, il a creusé un écart considérable de trois secondes avec ses suivants, Bizell et Ian Jones, en 47,49 secondes. Pour le Dr Druvert, c'est une performance d'autant plus remarquable que, pas davantage chez les handicapés que chez les valides, on n'avait encore jamais vu un coureur dans le monde capable d'accélérer comme il l'a fait, en deuxième partie de course. Ses ressources biomécaniques sont hors pair.
Évidemment, la question du rôle des appareillages dans une telle performance fait débat. Pistorius préfigurerait-il les nouveaux champions de l'ère bionique ? Certes, les qualités dynamiques de ses lames en fibre de carbone assurent des performances remarquables et sont un facteur déterminant de victoire. Mais, «en même temps, souligne le Dr Pailler, il ne faut pas oublier que le pied humain multiplie par 2,5 la force d'impact lors de l'appui au sol, tandis que la meilleure des prothèses la restitue tout juste, en la multipliant au mieux par un». Entre sportifs appareillés, la discrimination peut bien sûr être financière. Un champion de très haut niveau comme Pistorius a besoin d'une trentaine de lames pour choisir celle dont la flexibilité lui convient. «Lors de l'appui au sol, explique ainsi le Dr Pailler, la lame se déforme et sa hauteur diminue de 35 à 55mm, ce qui équivaut à l'amortissement musculaire du membre sain. Chaque modèle a sa flexibilité spécifique, qui convient à un poids corporel et à une puissance musculaire déterminés. Les sportifs de haut niveau ont donc dans leur sac plusieurs prothèses semblables, mais qui diffèrent par la dureté de la lame. Le jour de la compétition, ils optent pour la plus appropriée selon leur forme physique, les qualités de la piste, voire le degré hygrométrique.»
Une nouvelle réglementation.
En général, le budget de ces prothèses multiples est supporté par les appareilleurs, qui collaborent étroitement avec les entraîneurs et le sportif lui-même. C'est un investissement au titre du sponsoring. De ce point de vue, le Sud-Africain profite des meilleurs budgets. Sans doute aussi bénéficie-t-il d'un allongement de ses lames qui lui procure des foulées plus performantes.
Les Drs Druvert et Pailler s'accordent à souhaiter que soit mise en place une nouvelle réglementation : «Il faudrait codifier la hauteur tibiale des doubles amputés, suggèrent-ils, pour ne pas augmenter artificiellement leurs foulées et la restitution d'énergie autorisée.»
À cette réserve près, la performance d'Oscar Pistorius est saluée par les deux médecins : «C'est un phénomène exceptionnel, tel qu'on n'en voit pas un par siècle, s'exclame le Dr Pailler. Le voir courir, c'est un spectacle d'une beauté extraordinaire.»«En plus, il a l'immense mérite, au-delà des polémiques, souligne le Dr Druvert, de faire parler et réagir bien au-delà du seul milieu du handisport. »
Des retombées technologiques pour les amputés
Les sportifs handicapés sont les premiers à expérimenter les avancées technologiques des prothèses. Dans la vie quotidienne, les amputés en bénéficient ensuite. Ils utilisent le pied dynamique de marche en fibre de carbone, recouvert d'un habillage esthétique, ou le genou informatisé. Mais la principale retombée pour les non-sportifs, c'est l'expérience acquise par les appareilleurs quand ils travaillent avec les sportifs de haut niveau, pour utiliser au mieux les matériaux et affiner les réglages. Les coureurs amputés sont à l'appareilleur ce que sont les pilotes d'essai pour les fabricants automobiles.
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