«C'EST UNE PREMIÈRE en France et même en Europe», a souligné la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, lors de l'installation du comité Éthique et Cancer au siège de la Ligue contre le cancer. Désormais, toute personne morale ou physique, qu'elle soit patient, proche, soignant, a la possibilité de saisir ce comité indépendant sur une problématique éthique liée au cancer.
L'objectif est de mettre en place un «dispositif consultatif d'aide à une décision médicale dans des situations difficiles et de doute», explique le président de la Ligue, Francis Larra. Ce comité, qu'il copréside avec le Pr Axel Kahn, président de l'université Paris-5 - René-Descartes, comprend 35 membres de divers horizons. Chaque question posée donne lieu à un avis «dans les quinze jours consécutifs à la réunion» des membres, afin d'être «totalement opérationnel, en continuité permanente avec la réalité des situations», précise Axel Kahn.
L'épouse qui veut savoir.
Lors de la première saisine, les membres du comité ont débattu, à titre d'exemple et, pour l'occasion, devant la presse, d'une situation exposée par l'un d'entre eux, Olivia Ribardière, cadre de santé à l'institut Gustave-Roussy (IGR). Il s'agit de Georges B., soigné depuis trois ans pour un cancer du poumon. Il est âgé de 45 ans lorsque les médecins lui annoncent qu'il est en situation d'échec thérapeutique. Il leur demande alors de ne pas le dévoiler à la famille. Mais l'épouse du malade, 40 ans, veut connaître la vérité, au motif qu'elle a trois enfants en bas âge et qu'elle doit organiser, ne serait-ce que matériellement, sa vie. Dans ce cas, les soignants sont partagés entre deux valeurs morales : d'une part, le secret professionnel, base de la relation de confiance avec le malade, et, d'autre part, la solidarité envers la famille en détresse qui est aussi «un partenaire de soin», souligne Olivia Ribardière. Pourquoi ne pas s'en remettre simplement à la loi, celle de 2002 sur les droits des malades, qui fait primer la décision du patient ? «On le voit ici, le droit est aride et sec, convient la juriste Claudine Bergoignan-Esper (Paris-5). Nous devons abandonner la base légale pour trouver une solution.»
Le Dr Daniel Oppenheim, psychiatre-psychanalyste à l'IGR, rappelle ce que l'on nomme «l'ambivalence du patient» et suggère de l'aider, grâce à des entretiens, à «dépasser le blocage», pour qu'il puisse accepter de partager cette information avec ses proches. Lui se dit plus favorable à l'option de tenir compte de ceux qui restent en vie. Le Pr Gérard Dabouis, chef de service d'oncologie au CHU de Nantes, donne également la priorité à l'information, selon «le principe de non-malfaisance». Pour Patrick Gaudray, directeur de recherche en sciences de la vie au CNRS, qui propose d' «éveiller le patient au principe de solidarité», le soignant doit avant tout s'occuper du malade et non de la famille. «En vous entendant parler, je reconnais que ma réflexion était un peu abrupte», ajoute-t-il.
Jean-Pierre Escande, administrateur national de la Ligue, prend la parole pour apporter son expérience personnelle : lui a choisi de respecter la décision de sa femme qui ne voulait rien dire à leur fille. «Je me rends compte aujourd'hui que j'ai fait une erreur profonde. Huit ans après, ma fille est toujours traumatisée et ne supporte pas que l'on prononce le mot cancer devant elle.» Un grand nombre des membres se rangent à l'avis du Dr Françoise May-Levin, conseillère médicale à la Ligue : c'est à l'épouse du patient de débloquer la communication. «L'épouse est seule à pouvoir dire son angoisse à son mari. Elle doit l'inciter à parler», dit-elle. Le soignant ne peut être présent, selon elle, que pour favoriser ce dialogue. D'ailleurs, intervient le psychologue Alain Bouregba, «les familles qui posent la question ont généralement la réponse», trop douloureuse pour se l'admettre à soi-même. «Si l'on veut préserver ce dialogue, le soignant ne doit pas s'immiscer dans la vie ducouple», estime-t-il. Claudine Jourdain, membre du comité au titre de «proche de patiente», acquiesce. Lorsque les soins curatifs s'arrêtent, «on ne peut pas se faire d'illusions. Chacun sait. Il faut essayer de ne pas souffrir dans son coin. Moi, j'ai connu une équipe formidable qui associait le malade et sa famille». Le temps, indique le Dr Jean-François Richard (centre d'éthique médicale de Lille), «est fécond sur le plan relationnel» et peut permettre «un accompagnement en vérité». Et lorsqu'il manque, les soignants doivent malgré tout se déterminer. Le but du comité Éthique et Cancer est de les y aider. Dans le cas de Georges B., raconte Olivia Ribardière, les médecins ont finalement dit à sa femme que son mari «n'allait pas bien» et que «rien ne permettait de penser qu'il puisse aller mieux». Ils lui ont également dit que son mari ne voulait rien lui dire pour la «protéger», son premier mari étant déjà mort d'un cancer. L'épouse n'a jamais dit à son mari qu'elle savait. Après la mort de son père, le fils aîné est allé remercier l'équipe médicale.
Le comité rendra son avis dans les prochaines semaines.
Comment saisir le comité
Le comité Éthique et Cancer peut être saisi par toute personne et à tout moment. Il n'a pas un rôle de médiateur. Il ne rend pas de décisions mais des avis consultatifs qui seront publiés (les identités ayant été gommées) sur le site de la Ligue et dans un journal du comité. «Chacun doit pouvoir s'approprier en conscience ce chemin parcouru», indique le Pr Axel Kahn.
Le comité peut être saisi par voie postale (Ligue contre le cancer, question éthique, 14, rue Corvisart, 75013 Paris), sur Internet (ligue-cancer.net) ou par courriel (ethique@ligue-cancer.net).
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