« Ce prix Nobel est un bon exemple montrant comment une recherche fondamentale d'amont, dont on ne voit pas a priori l'utilité, peut déboucher, vingt ans après, sur des applications majeures, à la fois diagnostiques et thérapeutiques », indique le Pr Bréchot. La découverte de l'ensemble des mécanismes présidant à la régulation de la division cellulaire et aussi, pour certains d'entre eux, à la différenciation cellulaire, telle qu'elle est couronnée par le prix Nobel, a deux très grandes applications en cancérologie, poursuit le spécialiste.
Marqueurs pronostiques
Il existe d'abord une application au niveau diagnostique, dans le domaine des marqueurs pronostiques, selon le niveau d'expression des cyclines, c'est-à-dire la quantité que l'on décèle en association à une tumeur. Ainsi a-t-on trouvé que l'expression de certaines cyclines est modifiée au niveau des cellules tumorales. C'est vérifié pour la cycline E dans le cancer du sein et pour la cycline A dans celui du foie. La protéine P27 est modifiée dans de nombreuses tumeurs : hématopoïétiques, cancer du sein, du côlon, de la thyroïde.
On voit qu'il ne s'agit pas de marqueurs spécifiques, puisqu'ils sont présents dans plusieurs sortes de tumeurs. « Il faut savoir que ni la cycline E ni la protéine P27 ne vont remplacer les autres marqueurs », fait observer le Pr Bréchot. « Mais cette précision s'ajoute aux autres éléments dont on dispose pour les compléter et les affiner. » Par exemple, dans le cancer du foie, on utilise l'alphaftoprotéine, la taille de la tumeur et l'envahissement de la capsule pour circonscrire un pronostic. A cela peut être ajouté maintenant le degré d'expression de la cycline A. L'expression des cyclines permet aussi d'avoir une notion pronostique sur l'efficacité de certains traitements.
L'utilité de ces marqueurs est d'ores et déjà validée. Si leur utilisation demeure encore limitée aux centres de cancérologie les plus développés, c'est pour des raisons administratives. Ils sont promis, dans un avenir proche, à être inclus dans l'arsenal diagnostique de l'ensemble des centres de cancérologie.
L'action d'anticancéreux
La deuxième application concerne le domaine thérapeutique, en permettant de comprendre l'action d'anticancéreux dont on dispose déjà et en indiquant la voie au développement d'une nouvelle classe thérapeutique. « En chimiothérapie, un grand nombre de produits agissent au niveau d'une inhibition de ces complexes CDK-cyclines », précise le Pr Bréchot. Effet qui s'est révélé a posteriori sur certains produits lorsqu'il a été recherché. « Les connaissances du cycle cellulaire permettent de mieux comprendre comment ils agissent. »
Par ailleurs, la compréhension de ces mécanismes permet de concevoir de nouvelles molécules qui soient capables d'inhiber les complexes CDK-cyclines ( Cf. p. 14) et la phosphorylation qu'elles induisent. « Il en existe un certain nombre en cours de recherche, dont certains sont en phases I et II du développement. » Là encore, l'action n'est pas spécifique mais peut intervenir sur l'ensemble des tumeurs. On peut prévoir qu'ils devraient être en utilisation clinique dans trois à quatre ans.
La cycline A impliquée dans l'hépatome
C'est en étudiant l'insertion de l'ADN du virus de l'hépatite B dans le génome de la cellule hépatique, que l'équipe du Pr C. Bréchot a découvert la cycline A, un régulateur majeur de la progression du cycle cellulaire : sa synthèse est nécessaire à la progression vers la phase S, qui est celle de la synthèse de l'ADN.
« Cela a été un argument supplémentaire pour penser que la cycline A est impliquée dans la cancérogenèse humaine », se rappelle le chercheur. « Nos travaux ont été possibles grâce aux découvertes de Hunt, Nurse et Hartwell. »
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