Le Temps de la Médecine : Habillés pour la santé
Si les textiles fonctionnels sont utilisés depuis longtemps en milieu médical et hospitalier, leur arrivée sur le marché grand public est relativement récente. Avec, tout d'abord, des vêtements au rôle limité à une protection passive, dont les premiers bénéficiaires ont été les sportifs. Ces derniers servent souvent de cobayes pour le développement de ces vêtements, confirme le Dr Eric Jousselin (Institut national du sport et de l'éducation physique, Paris), les fabricants profitant des grands événements sportifs mondiaux pour lancer leurs nouveautés. Il existe donc sur le marché une large gamme d'équipements spécifiques pour la pratique d'activités sportives, mais seulement dans le cadre de conditions climatiques particulières.
Tout en insistant sur le réel intérêt de textiles comme le Goretex, le Dr Jousselin reste prudent face à la multiplication de l'offre potentielle des tissus fonctionnels. « Nous sommes en train de tester des chaussettes pour prévenir les ampoules », s'amuse-t-il. A l'heure actuelle, précise d'ailleurs le Dr Jean-Claude Jouanin (institut de médecine aérospatiale du Service de santé des armées), l'usage des textiles fonctionnels chez le sportif se résume essentiellement aux équipements destinés à lutter contre.
Anti-UV
Ces équipements ont inauguré l'ère des vêtements bioactifs. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, de nombreux industriels se sont positionnés sur ce marché, commercialisant divers produits antibactériens, antifongiques, anti-UV, cosmétiques... L'intérêt des vêtements anti-UV est réel, précise le Dr Michel Jeanmougin (hôpital Saint-Louis, Paris), pour qui la protection vestimentaire constitue un moyen essentiel, « bien avant les produits solaires ». Certains d'entre eux confèrent une protection passive du fait de leurs caractéristiques de tissage et de couleur, tandis que d'autres agissent grâce à des substances filtrantes incorporées dans le tissu, directement ou indirectement (poudres de lavage, liquide de rinçage). Avec un indice de protection de 20 à 30 - annoncé par les fabricants - et sous réserve qu'ils contiennent à la fois des filtres anti-UVA et UVB, ils assurent une bonne protection dans la vie quotidienne.
En revanche, l'impact médical des vêtements et sous-vêtements antibactériens reste à prouver. Par exemple, pour les chaussettes antifongiques qui auraient des vertus antipied d'athlète ou les chaussettes antibactériennes dans la prévention des infections du pied diabétique. La littérature ne comporte pas de publications sur ce thème, fait remarquer le Dr Jeanmougin. Le Dr Jouanin est, lui aussi, sceptique : « Pour prévenir le pied d'athlète par ce moyen, il faudrait pratiquement mettre un gant autour de chaque orteil. » Et si l'on envisage le port de vêtements bactéricides, il faudra aussi considérer les conséquences éventuelles d'une surprotection permanente des individus contre les agents pathogènes.
Les cosmétotextiles
Le développement des textiles fonctionnels a également donné naissance au concept de « cosmétotextiles », disponibles surtout sous la forme de bas et collants qui libèrent des substances hydratantes, « énergisantes » ou amincissantes. Les substances actives sont contenues dans des microcapsules ou incorporées directement aux fibres textiles. Les cosmétotextiles remportent un certain succès auprès des utilisatrices. Le Dr Jeanmougin estime toutefois qu'ils relèvent davantage du gadget et, en outre, que le risque d'allergie ne peut être exclu. « Les allergies aux produits cosmétiques représentent actuellement 0,5 % des allergies de contact et sont en augmentation. Elles sont favorisées par la multiplication des substances chimiques au contact de la peau. »
Du côté des consommateurs, pour les produits fabriqués à partir de textiles fonctionnels, la visibilité reste floue. Des normes existent depuis longtemps, mais elles sont différentes selon les pays et nécessitent une harmonisation mondiale. En France, un certificat de garantie délivré par l'Association qualité dans le textile et l'habillement (ASQUAL) est désormais disponible pour les textiles antibactériens. Un label élaboré par l'Institut français textile et habillement (IFTH) devrait également être officialisé prochainement.
Les textiles dits intelligents, comportant des systèmes informatiques, représentent la dernière génération des textiles fonctionnels. Des progrès restent à faire dans ce domaine puisque, actuellement, les dispositifs sont cousus et fixés sur les textiles. « L'enjeu dans les dix prochaines années sera d'arriver à intégrer tous les composants au sein des fibres textiles », explique Brunot Chevet (responsable recherche et développement, IFTH, Ecully). Ils pourraient être utilisés, entre autres, dans la surveillance des paramètres cardiaques.
Et les texticaments ?
Si la participation des textiles fonctionnels, de près ou de loin, au maintien de la santé est déjà une réalité, ce n'est pas le cas pour les « texticaments ». Leur principe est le même que celui des cosmétotextiles, mais avec les techniques classiques utilisées se pose le problème de la durabilité limitée de l'activité des substances relarguées. Il est possible d'améliorer ce paramètre en immobilisant de façon permanente le produit actif dans le textile par greffage. Des chercheurs du laboratoire de chimie organique et macromoléculaire de Lille ont utilisé cette technique pour greffer des cyclodextrines (qui forment des complexes avec de nombreuses molécules organiques) sur des tissus, explique son directeur, le Pr Michel Morcellet. Le procédé, breveté récemment*, a permis la mise au point d'un vêtement antimoustique, en attente de transfert technologique.
Les textiles à visée thérapeutique sont donc techniquement envisageables, mais aucune recherche n'a encore débouché, affirme B. Chevet. Leur développement se heurte, d'une part à la nécessité d'optimiser le taux de relargage des médicaments, qui doit être contrôlé beaucoup plus étroitement que pour les cosmétotextiles et, d'autre part, au problème de la responsabilité pour ce type de produits « qu'aucune entreprise du textile ne voudra prendre ». C'est le corps médical qui doit dire si cette forme galénique a un intérêt majeur par rapport aux médicaments classiques et définir les pathologies qui devraient en bénéficier et, par conséquent, le type de molécules à tester.
Prudence
Comme c'est souvent le cas avec les nouvelles technologies, les textiles fonctionnels ont suscité un grand engouement, avec ses risques de dérives et de faux espoirs. En témoigne l'histoire du soutien-gorge capable de dépister un cancer du sein, qui avait fait grand bruit il y a quelques années. Ce sous-vêtement, conçu par des universitaires britanniques, utilise des produits thermochromes, la détection de la tumeur reposant sur la mise en évidence d'un changement de couleur des tissus mammaires. Mais l'augmentation de la température du sein dans ces circonstances est de l'ordre de quelques dixièmes de degrés, et les tests d'un prototype pratiqués à l'IFTH ont montré que la précision du système était insuffisante.
Un autre exemple illustrant la nécessité de rester prudent quant aux applications annoncées des textiles fonctionnels est celui de matériaux doté d'un effet antipollution, grâce auxquels l'ozone est transformée en oxygène par du charbon. Autrement dit, un produit qui « purifie l'air » ! Peu envisageable, selon B. Chevet, compte tenu de la quantité de charbon qui devrait être utilisée, en particulier en cas de pics de pollution. Plus réaliste est la mise au point de textiles comportant des indicateurs de pollution.
Il n'est pas question de remettre en cause l'évolution globale vers des vêtements fonctionnels. A l'heure actuelle, estime toutefois B. Chevet, elle s'oriente plutôt vers le « bien-être » et le « bien-vivre », fondés sur les notions de confort et de sensoriel, en l'occurrence le toucher, le visuel, l'olfactif et l'auditif.
* Weltrowski M., Morcellet M., Martel B. procédé de traitement d'une fibre ou d'un matériau à base de fibres en vue d'améliorer ses propriétés adsorbantes et fibre ou matériau à base de fibres présentant des propriétés adsorbantes améliorées. Brevet n° FR 9901967 (2000).
Les handicapés aussi
Adela Olejnik-Bicat, de Montpellier, a remporté le prix spécial handicap du concours 2003 d'aide à la création d'entreprises de technologies innovantes, dont le jury était présidé par Jean-François Dehecq. Son projet : créer des vêtements pour personnes handicapées « fonctionnels, confortables, esthétiques ».
Son entreprise développera des coupes et des systèmes de fermeture innovants, spécialement conçus pour la position assise en fauteuil, permettant un habillage et déshabillage plus facile ; les coutures seront réalisées et placées pour ne pas blesser ; les matières utilisées permettront une meilleure ventilation et régulation thermique. Sans oublier des modèles et des couleurs mode pour valoriser l'image de la personne handicapée.
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