Promesses, déceptions et espoirs de la thérapie génique

Publié le 07/06/2006
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EN 1989, LORSQU’UNE équipe de biochimistes et de généticiens de l’hôpital des Enfants-Malades de Toronto a identifié et caractérisé le gène responsable de la mucoviscidose, le gène CFTR(Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), l’ensemble de la communauté scientifique s’est enthousiasmé : la prise en charge des malades atteints de mucoviscidose était sur le point de changer du tout au tout. On n’allait plus se contenter de traiter les symptômes de la maladie, on allait enfin pouvoir la guérir par thérapie génique.

Aujourd’hui, force est de constater que la mise au point d’une telle stratégie thérapeutique n’est pas aussi simple qu’on l’imaginait il y a dix-sept ans.

Pour mémoire, le principe de la thérapie génique est de soigner en apportant à l’organisme une copie fonctionnelle du gène défectueux responsable de la maladie. Le « gène médicament » introduit dans les cellules du malade va remplacer le gène défectueux et permettre à l’organisme de fonctionner normalement. Pour qu’une telle stratégie thérapeutique puisse être mise en pratique, il est préférable que la maladie soit monogénique, qu’elle se manifeste au niveau d’organes faciles à atteindre et enfin que le traitement puisse fonctionner même si toutes les cellules de l’organe malade n’expriment pas le gène médicament.

La mucoviscidose entre parfaitement dans ce cadre : elle dépend avant tout de mutations touchant le gène CFTR. Ses manifestations les plus graves touchent les voies respiratoires, relativement accessibles. Et des expériences préliminaires conduites in vitro ont permis d’établir que la présence d’une copie fonctionnelle du gène CFTR dans seulement 5 à 10 % des cellules suffit à rétablir un fonctionnement satisfaisant de l’épithélium bronchique. De plus, la mucoviscidose étant une maladie progressive, une thérapie génique pourrait être administrée aux très jeunes enfants, avant même qu’ils ne commencent à souffrir des premiers symptômes de la maladie.

A l’aube des années 1990, l’ensemble de ces données a engendré l’optimisme. Cependant, un point crucial restait encore à éclaircir : celui de la méthode à utiliser pour introduire le gène médicament dans les cellules malades.

Une molécule fragile.

Un gène médicament est une molécule très fragile et relativement encombrante à laquelle il va falloir faire franchir la membrane plasmatique des cellules à traiter, puis leur membrane nucléaire (c’est seulement une fois dans le noyau que le gène pourra exercer sa fonction thérapeutique). Pour parvenir à ce résultat, on utilise divers systèmes appelés « vecteurs » qui protègent et transportent les gènes médicaments jusqu’à leur destination finale. Un bon vecteur doit permettre d’introduire le gène médicament dans les cellules malades avec la plus grande efficacité possible. Il doit aussi permettre une expression la plus durable possible du gène médicament. Il doit en outre échapper au système immunitaire pour ne pas provoquer de réaction inflammatoire (surtout dans le cas précis du traitement de la mucoviscidose), ni conduire à la synthèse d’anticorps ou de lymphocytes T mémoires dirigés contre lui-même. Ce dernier point est particulièrement important car il donne la possibilité de réadministrer le traitement si l’expression du gène médicament s’éteint au bout d’un certain laps de temps.

La recherche du bon vecteur.

Les premiers essais de thérapie génique de la mucoviscidose ont démarré en 1993. Ils se fondaient sur l’utilisation de vecteurs viraux dérivant des adénovirus. Ces essais ont donné des résultats plus ou moins décevants. Certes, une expression du gène médicament a pu être observée chez certains patients. Mais cette expression n’était que transitoire (pas plus de vingt et un jours). Par ailleurs, dans la quasi-totalité des essais, le traitement a entraîné des phénomènes inflammatoires rédhibitoires. Enfin, la mise en place d’une réponse immunitaire spécifique dirigée contre le vecteur viral excluait la possibilité de renouveler le traitement pour prolonger son effet. Quoi qu’il en soit, tous les essais utilisant ce type de vecteur ont été suspendus en 1999, à la suite du décès d’un jeune patient qui participait à une expérimentation de thérapie génique du déficit en OTC utilisant un adénovirus modifié.

Heureusement, dès 1998, plusieurs équipes de recherche avaient commencé à tester l’utilisation d’un autre vecteur viral, le virus adéno associé (VAA). Au cours des différents essais conduits depuis lors, il est apparu que l’utilisation du VAA permet d’introduire efficacement le gène médicament dans les cellules ciblées et qu’elle n’induit pas de réactions inflammatoires dangereuses pour les patients atteints de mucoviscidose. Cependant, le bénéfice thérapeutique obtenu dans le plus convaincant de ces essais n’est que de courte durée et il est associé à la production d’anticorps qui diminuent très significativement l’efficacité d’une seconde administration du virus thérapeutique.

Deux autres types de vecteurs viraux ont fait l’objet de recherche préclinique : les vecteurs dérivant de lentivirus et ceux dérivant du virus para-influenza de type 3. Le principal intérêt des dérivés des lentivirus est qu’ils devraient augmenter la stabilité de l’expression du gène médicament. Ces vecteurs permettent en effet d’insérer le gène qu’ils transportent dans les chromosomes des cellules traitées. Le revers de la médaille est que, si cette insertion se fait au niveau d’un gène essentiel au bon fonctionnement de l’organisme, la thérapie génique risque d’entraîner plus de dégâts que de bénéfice. C’est d’ailleurs ce phénomène qui est à l’origine de la leucémie développée par au moins deux des « enfants bulles » traités par thérapie génique à l’hôpital Necker. Le para-influenza de type 3 intéresse, quant à lui, les chercheurs car il est capable de cibler les cellules de l’épithélium respiratoire avec une très grande efficacité. Reste encore à trouver le moyen de lui permettre d’échapper au système immunitaire.

Mais la recherche sur les vecteurs non viraux offre de bien plus grands espoirs. Ces vecteurs synthétiques sont des molécules inertes qui enveloppent le gène médicament et lui font passer les membranes cellulaires. Leur grand intérêt réside dans le fait qu’ils sont pratiquement totalement invisibles pour le système immunitaire.

Les vecteurs non viraux les plus étudiés jusqu’ici sont les liposomes cationiques. Les résultats des essais cliniques se fondant sur leur utilisation sont très bons sur le plan de la sécurité, mais pèchent encore en termes d’efficacité : la fréquence de transfert du gène médicament reste encore trop faible pour que des bénéfices thérapeutiques soient observés.

Plus récemment, certaines équipes se sont intéressées au potentiel de protéines chargées positivement qui permettent de compacter l’ADN. Les toutes premières études qui ont testé leur utilisation en thérapie génique ont donné des résultats assez prometteurs et un vaste essai clinique devrait être lancé en Grande-Bretagne courant 2007.

En attendant, il n’existe toujours pas de vecteur satisfaisant pour traiter la mucoviscidose par thérapie génique. Mais les chercheurs ne baissent pas les bras et les idées pour améliorer les systèmes actuels fourmillent : de nombreuses équipes recherchent la séquence du promoteur* idéal qui permettra au gène médicament de s’exprimer aussi longtemps que possible. Certains proposent de greffer des molécules affines pour les cellules à traiter sur la surface des vecteurs. Cette stratégie pourrait augmenter la proportion de cellules qui reçoivent le gène médicament. D’autres suggèrent d’utiliser des signaux de localisation nucléaire pour être sûr que le gène médicament atteindra le coeur de la cellule pour y être exprimé.

* Séquence l’ADN qui contrôle l’expression d’un gène.

D’autres approches pour s’attaquer aux sources de la maladie

La thérapie génique n’est pas la seule stratégie qui pourrait permettre de vaincre la mucoviscidose en restaurant la fonction normale des cellules malades. D’autres approches visant à réparer le défaut moléculaire à l’origine du développement de la mucoviscidose font actuellement l’objet de recherches intensives.

L’essentiel d’entre elles sont des approches pharmacologiques qui ont pour but d’améliorer la fonction des protéines CFTR mutantes produites dans les cellules des malades.

Chez la grande majorité des patients, la protéine mutante est synthétisée, mais elle a une conformation anormale. Les mécanismes de surveillance cellulaire l’identifient comme une entité potentiellement dangereuse et conduisent à son élimination avant même qu’elle n’ait eu le temps d’atteindre la membrane plasmique (là où elle est censée exercer sa fonction). Différents groupes de recherche, dont celui dirigé par le Pr Frédéric Becq, à Poitiers, ont identifié des substances capables de restaurer l’activité de ces protéines mutantes en leur permettant de rejoindre leur localisation cellulaire normale. Ces substances agissent en protégeant les protéines CFTR mutantes de la dégradation, facilitant ainsi leur trafic à l’intérieur de la cellule.

D’autres équipes recherchent des molécules qui sont susceptibles de stimuler le fonctionnement de canaux alternatifs, lesquels pourraient remplacer ou tout au moins seconder les protéines CFTR défectueuses.

Plusieurs essais cliniques visant à évaluer l’efficacité de ces différentes classes de molécules sont en cours ou sur le point de démarrer.

> ELODIE BIET

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7974