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UNE CHOSE est sûre, explique Robert Clarke, il ne suffit pas de ne pas posséder de montre pour échapper au temps. Pour en prendre la mesure et en saisir la substantifique moelle, le journaliste et écrivain scientifique propose une sorte de catalogue éclectique et hétéroclite de la temporalité, en tournant et retournant le temps dans tous les sens, en analysant ses multiples manipulations par l'homme. Force exemples à l'appui, il souligne que les mystères et les prouesses des horloges internes du monde vivant n'ont d'égal que les tours de force des artistes et des créateurs pour nous faire oublier le temps ou en modifier notre perception.
Chaque fois n'arrive qu'une fois.
« Dès qu'on cherche à réfléchir sur lui, le temps se dissimule derrière des paradoxes qui paraissent parfois impossibles à résoudre », écrit-il. Pourtant, ce temps, s'il est difficile à définir, n'est pas une abstraction. Le temps n'est lui-même que parce qu'il passe, mais il n'a pas toujours la même saveur. Chacun en a fait l'expérience : si la théorie relativiste d'Einstein a si rapidement connu un succès populaire, bien que le commun des mortels reste incapable de la comprendre, affirme R. Clarke, c'est que chacun sait bien que le temps ne coule pas de la même manière suivant que l'on est heureux ou malheureux, que l'on s'ennuie ou que l'on est passionné par ce que l'on fait, que l'on est jeune ou vieux. Le temps passe mais de multiples questions demeurent, dont l'exploration est passionnante et permet d'approcher ce grand insaisissable. Qu'il s'agisse du manchot royal programmé pour laisser sa femelle trois semaines seule à couver son œuf sur la banquise pendant qu'il nage au loin pour pêcher des poissons que son estomac est capable de conserver intacts le temps de revenir nourrir la mère de son futur petit ; qu'il s'agisse des techniques du principe d'incertitude en physique, de la mémoire de l'immunité (la vaccination) ou de celle du programme génétique, de la perte des rythmes biologiques avec le grand âge ou de la forme dramatique de vieillissement accéléré qu'est la progeria, l'insaisissable est nécessaire.
Naître, vieillir et mourir.
Les connaissances sur le vieillissement lié à l'évolution de notre espèce laissent entrevoir quelques espoirs de domination du temps. Ainsi, la sélection au fil du temps expliquerait pourquoi certaines espèces animales vivent plus longtemps et mieux que d'autres. Les plus résistantes à l'épreuve du temps sont celles qui vivent dans un environnement favorable et protecteur : les petits mammifères qui ont beaucoup d'ennemis et savent moins bien se défendre que les grands, les oiseaux qui ne volent pas (poules ou pingouins) vivent moins longtemps. Si nous ne « favorisons pas trop de situations qui rendraient, dans l'avenir, cet environnement moins favorable, nos descendants pourraient espérer - d'ici à cinquante générations au moins - vieillir plus lentement ». Le temps pourrait donc épargner nos cellules, mais alors, celui-ci nous paraîtrait-il plus long ou passerait-il trop vite ? C'est là qu'intervient la culture, explique Robert Clarke : l'homme a inventé un dieu unique parce qu'il s'est mis à concevoir le temps autrement ; à moins que ce ne soit l'inverse. Toujours est-il que la religion à dieu unique va détruire les mythes liés aux renouvellements cycliques, au retour rituel et régulier du passé. Avec le temps sacré, le futur s'ouvrait vers l'infini. Au fil des siècles, le temps de l'Église va céder peu à peu le pas au temps des marchands, puis à celui du travail que nous connaissons. Autre preuve de la relativité des choses, nous vivons plus longtemps que le reste de l[212]humanité avant nous et, pourtant, nous nous plaignons plus que jamais d'en manquer, et nous craignons plus que jamais l'avenir. Rien n'est parfait, mais tout passe. Tic-tac.
« Il était une fois le temps », de Robert Clarke, Taillandier, 302 pages, 23 euros.
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