À L’AGITATION HABITUELLE de Silvio Berlusconi, Romano Prodi a répondu par un comportement olympien et prononcé des phrases simples, mais définitives : oui, il a gagné ; oui, il va former un gouvernement de centre gauche ; oui, les dossiers qui l’attendent sont particulièrement difficiles, mais encore fallait-il se hisser au pouvoir, n’est-ce pas ? ; oui, il va rapatrier les soldats italiens en Irak et, oui, il entend renforcer l’engagement européen des Italiens, tout en oeuvrant pour une coopération euro-américaine.
Ces paroles n’ont rien à voir avec le discours très général que l’on attend d’un homme qui a gagné des élections. M. Prodi met un terme à la dérive, entretenue par les attaques de M. Berlusconi contre l’euro, d’une Italie tentée par le repli sur soi : les alliés politiques de l’ex-président du Conseil sont des nationalistes (et même des séparatistes pour ce qui concerne Umberto Bossi) ou des néofascistes.
Dès mardi, M. Prodi, sans attendre la confirmation de sa victoire, a montré qu’il entendait bien occuper le pouvoir, remettre l’Italie sur ses rails européens et atlantiques, et se pencher sur les indispensables réformes.
Il n’est pas sûr que George W. Bush accueille son arrivée avec enthousiasme, dès lors que l’Italie retire ses troupes d’Irak et que l’Amérique a été très sensible à l’engagement militaire de M. Berlusconi ; c’est pourquoi M. Prodi s’est empressé de montrer que le retrait n’est qu’un aspect d’une politique étrangère qui restera atlantiste.
Idées fortes et claires.
M. Prodi compense largement son manque de charisme et son élocution relativement lente par des idées fortes et claires ; d’une certaine manière, il nous venge des ravages causés par la communication au contenu de la politique. Et il trouvera chez les autres gouvernements européens, de droite et de gauche, un accueil d’autant plus chaleureux que le comportement parfois clownesque de M. Berlusconi les embarrassait ou les irritait.
ROMANO PRODI N'EST PAS DOMINATEUR MAIS IL EST SUR DE LUI
Silvio Berlusconi, fidèle à lui-même, a d’abord refusé de reconnaître sa défaite. Puis, sans même tenter d’expliquer sa démarche contradictoire, il a proposé à Romano Prodi la formation d’un gouvernement de grande coalition semblable à celle qu’Angela Merkel dirige en Allemagne. M. Prodi a répondu fermement non, sans consacrer plus de trois minutes à la proposition de M. Berlusconi. Il s’est expliqué sur sa légitimité : sans mentionner le système électoral qui lui a permis d’accéder au pouvoir avec une majorité d’une poignée de voix, il a simplement rappelé qu’il avait la majorité dans les deux chambres. A la chambre des députés, il dispose de 348 sièges contre 281 et à peine 2 sièges de plus au Sénat (158 contre 156).
Mais M. Prodi ne peut pas jurer que toutes ces voix lui appartiennent : il y a des Verts, des communistes, un parti comme Rose au poing, dirigé par l’ancienne députée européenne Emma Bonino, connue pour son franc-parler (elle s’exprime dans un français remarquable), qui n’ont pas le doigt sur la couture du pantalon. Le grand parti de la coalition de centre-gauche est L’Olivier de M. Prodi, qui a 220 sièges à la Chambre, mais un seul au Sénat. Cela ne suffit pas pour appliquer un programme qui doit bousculer les habitudes de la Péninsule et tenir tête à une forte opposition.
Berlusconi l’excentrique.
Il serait surprenant que le comptage des voix change le résultat électoral. M. Berlusconi lui-même y croit si peu qu’il a essayé de revenir au gouvernement par la fenêtre. Certes, on peut se demander pourquoi ce qui a été fait en Allemagne serait inapplicable en Italie. Il nous semble que l’écart idéologique est considérable entre les deux coalitions qui se sont affrontées en Italie, en tout cas beaucoup plus large que ce qui sépare les conservateurs et les sociaux-démocrates allemands.
On ne doit pas négliger non plus la personnalité de M. Berlusconi. Encore une fois, ce n’est pas seulement un homme de droite, c’est aussi un chef de gouvernement très excentrique qui, sous le prétexte d’appliquer le bon sens aux affaires du monde, s’est conduit en manipulateur de masses. Sans compter l’agressivité de sa campagne, son cynisme, son absence d’éthique politique. Il est impossible que M. Prodi, s’il veut accomplir quoi que ce soit, partage le pouvoir avec cet homme-là : M. Berlusconi serait moins gênant sur le contenu des programmes, mais il serait insupportable dans le domaine de la communication.
Personne ne peut prédire qu’avec le handicap d’une élection incertaine M. Prodi pourra quand même faire un travail utile. Ce qui est sûr, c’est qu’il sait ce qu’il veut faire, qu’il ne se laisse nullement impressionner par les Cassandre déjà accablés par les difficultés qui attendent le nouveau gouvernement et qu’il sera accueilli avec enthousiasme par les dirigeants européens.
Romano Prodi appartient plus à la catégorie des Pierrot qu’à celle des Auguste. C’est rassurant.
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