La démission de Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, de son poste de Premier ministre palestinien est regrettable de tous les points de vue : effectivement, la fameuse « feuille de route » semble morte et enterrée, il n'y a pas de plan de rechange, et on doit s'attendre à une nouvelle flambée de violence.
Bien qu'il ait mis en avant le manque de bonne volonté d'Israël, Mahmoud Abbas n'a pas nié non plus que la mauvaise qualité de ses relations personnelles avec Yasser Arafat constituait l'une des raisons de son renoncement. Les deux hommes étaient fortement opposés, non sur des questions d'approche diplomatique, mais sur le contrôle des forces de sécurité palestiniennes, le président de l'Autorité refusant de le confier à son Premier ministre. Or l'attentat de Jérusalem, qui a fait vingt morts et cent blessés chez les Israéliens au mois d'août, a fait voler en éclats des négociations très fragiles ; quand M. Abbas demandait le contrôle des forces de sécurité, il demandait en réalité les moyens de peser sur les factions extrémistes palestiniennes.
Ambiguïté
De même, quand M. Arafat lui a refusé ces moyens, il a laissé entendre qu'à ses yeux la poursuite des violences est souhaitable ou possible. L'ambiguïté dans laquelle M. Arafat s'est placé depuis le début de l'intifada bis a conduit les dirigeants israéliens à le rejeter comme interlocuteur. Le président palestinien s'efforce donc de montrer qu'on ne peut rien faire sans lui et peut-être a-t-il trouvé en Ahmed Korei, le successeur de Mahmoud Abbas, une personnalité disposée à travailler avec lui et même à lui obéir.
Mais la démission de M. Abbas ne peut rassurer personne : ni les Israéliens, qui s'attendent à une recrudescence des attentats et les combattront à leur manière, c'est-à-dire par des ripostes meurtrières ; ni les Palestiniens dont les souffrances, si souvent décriées, sont prolongées de facto par la démission de M. Abbas ; ni les Américains, qui avaient tout misé sur M. Abbas.
Toutefois, quand on dit que c'est un échec pour les Etats-Unis, on fait une analyse un peu courte ; la « feuille de route » a été conçue par les Etats-Unis, l'Europe, la Russie et l'ONU ; ceux qui la revendiquent ne sauraient se distancier d'un échec qui ne serait imputable qu'aux Américains. On reconnaîtra en même temps que les Européens ne partageaient nullement avec Washington l'idée d'une mise à l'écart de Yasser Arafat à qui ils ont réitéré leur soutien.
La question, cependant, n'est pas de savoir qui, à l'étranger, aime ou n'aime pas M. Arafat ; la question est de savoir que, si M. Abbas a démissionné, c'est parce que la terreur reste une composante de la politique d'Arafat. Certes, ni Bush ni Sharon ne sont venus à bout d'Arafat, et les Européens peuvent triompher s'ils le veulent. Mais qui peut dire avec certitude que cet homme est bon pour les Palestiniens, qui peut affirmer que c'est cet homme-là qui leur donnera l'indépendance et la dignité ?
Bien entendu, M. Arafat bénéficie du soutien de son peuple et sans doute des pays arabes. Mais enfin, là où se déroule une interminable tragédie historique, il ne pense qu'en termes de pouvoir personnel alors que, parvenu à son âge avancé, il pourrait au moins prévoir sa succession. Quand on pense au nombre de victimes qu'a faites l'intifada pendant trois ans, sans que le processus politique n'ait avancé d'un millimètre, on peut toujours s'en prendre à M. Sharon, comme il est de bon ton de le faire dans les milieux intellectuels français, mais la moindre des honnêtetés serait de se demander s'il faut que M. Arafat meure de vieillesse pour qu'enfin émerge un leader palestinien capable de signer la paix sur la base d'un renoncement à la violence.
Des risques pour la paix
Ce n'est pas exonérer M. Sharon de ses propres insuffisances ; il aurait dû considérer Mahmoud Abbas non comme un adversaire mais comme un ami, comme un Palestinien qui avait compris que les intérêts palestiniens convergent avec les intérêts israéliens. Le Premier ministre d'Israël peut certes démontrer aujourd'hui que, si Mahmoud Abbas avait plus consistance, il aurait duré plus longtemps et que si les Palestiniens avaient renoncé aux attentats, le dialogue n'aurait pas été rompu. Mais il aurait dû prendre des risques pour la paix et associer Mahmoud Abbas à des résultats immédiats : davantage de Palestiniens libérés, davantage d'emplois pour les Palestiniens en Israël et une évacuation des territoires plus visible. Des risques, parce que la promiscuité entre les deux peuples facilite la violence. D'ailleurs, beaucoup de dirigeants israéliens sont convaincus que la trêve qui n'a pas duré a simplement permis au Hamas et au Djihad islamique de reconstituer leurs forces. Il demeure qu'il appartenait à Israël de renforcer Mahmoud Abbas par d'amples gestes de générosité. Au moins les Palestiniens auraient-ils eu le temps de voir les avantages de la non-violence.
Cela n'empêche pas l'attentat de Jérusalem d'avoir en même temps scellé la fin de la feuille de route et le départ de Mahmoud Abbas. Ce n'est pas parce que Sharon est intraitable qu'Abbas est parti ; c'est parce que, pour lui, sinon pour Arafat, la paix passe par la fin des violences. Il est bien peu probable que les Palestiniens aient compris les motivations de l'éphémère Premier ministre ; a fortiori qu'ils tirent la leçon de son sacrifice. On peut donc saluer la victoire politique d'Arafat, sa longévité, sa résilience. On ne peut pas dire que sa victoire sera mise au service de la paix.
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