Au lendemain du 11 septembre, George W. Bush avait pris une série de précautions pour que les Etats-Unis ne sombrent pas dans un délire antimusulman.
Alors que les Américains réclamaient une vengeance rapide et sévère, il a veillé à ne heurter aucun de ces pays qu'il voulait associer à son action. Conformément à la logique, sa démarche s'appuyait sur plusieurs raisons :
Les Etats-Unis avaient besoin d'alliés pour mener à bien leur opération militaire en Afghanistan. Il leur fallait une logistique, donc des bases dans les pays alentour, des informations, les meilleures et les plus complètes ne pouvant venir que des pays qui avaient déjà été confrontés au terrorisme, comme l'Egypte, ou qui l'avaient, volontairement ou non, favorisé, comme l'Arabie saoudite.
Sollicité par la communauté musulmane, qui craignait d'affronter l'hystérie patriotique des Américains (de nombreux incidents provoqués par l'intolérance se sont produits et se produisent encore aux Etats-Unis), M. Bush a répété que son action était dirigée exclusivement contre les ennemis de son pays et non contre un groupe religieux ou une ethnie.
Enfin, le président américain devait éviter de saper les gouvernements, pour la plupart conservateurs, qui dirigent les pays arabes ou musulmans.
Sur ce dernier point, M. Bush a obtenu des résultats inespérés. Il a mis fin au régime des talibans sans déclencher le sac du Caire, d'Amman ou d'Islamabad. Le général Pervez Moucharraf, président du Pakistan, a réussi jusqu'à présent à désamorcer toute tentative de déstabilisation dans son pays par les intégristes, minoritaires, mais violents, et a renoncé aux complaisances que le Pakistan avait pour l'intégrisme.
Le Caire, Riyad et Amman ont passé un marché avec Washington. Ils le laisseraient faire en Afghanistan, mais en échange, ils exigeaient qu'il intervienne dans le conflit israélo-palestinien qui, disent ces gouvernements, les menace encore plus que les actions terroristes.
M. Bush a observé deux faits : aussi haïe que soit l'Amérique, ses interventions militaires ne provoquent pas nécessairement le chaos ; en même temps, il a découvert la complexité des réseaux terroristes dont les ramifications enserrent la planète entière, non sans le soutien d'au moins deux gouvernements, celui de l'Irak et celui de l'Iran.
Il y a eu par ailleurs des frictions entre les Américains et les Saoudiens. Les premiers reprochent aux seconds d'avoir littéralement encouragé le terrorisme pour avoir la paix intérieure. Les seconds estiment que M. Bush a pris ce qui lui convenait dans la transaction qu'il avait conclue avec eux, mais qu'il n'a pas payée en exerçant des pressions sur Ariel Sharon qui, depuis le début de l'année, est parfaitement libre d'exercer sur les Palestiniens une répression particulièrement sévère, assortie d'une mise en quarantaine de Yasser Arafat. Reçu aujourd'hui par M. Bush (qui n'a jamais rencontré M. Arafat), M. Sharon va renforcer un peu plus sa coopération avec les Etats-Unis, qui estiment qu'il leur a donné des preuves suffisantes de l'implication de M. Arafat dans le terrorisme palestinien.
Le mot d'ordre qui résulte de cette alliance solide entre les Etats-Unis et Israël pourrait s'appeler « tolérance zéro ». M. Bush a clairement renoncé à intervenir dans le conflit. A-t-il raison ? Sur le rôle de M. Arafat, le doute n'est plus permis. Jusqu'au début de l'année, il a cru qu'il pouvait avoir deux fers au feu, deux discours différents et alterner les casquettes, celle du diplomate et celle du combattant. La violence qui règne dans la région démontre chaque jour que le président de l'Autorité palestinienne n'est plus synchrone avec les forces qu'il prétend diriger. Quand il parle de paix et dénonce un terrorisme auquel pourtant il est associé d'une manière ou d'une autre, comme il vient de le faire dans une tribune du « New York Times », des kamikazes font sauter des bombes. Et il mesure aujourd'hui sa déchéance : à sa mise en quarantaine par MM. Sharon et Bush s'ajoutent les invectives des extrémistes qui l'accusent maintenant de trahir sa propre cause.
M. Bush a donc fini par adopter l'idée, émise par M. Sharon dès le 11 septembre, que le terrorisme est le même, qu'il frappe New York ou Jérusalem. Ce qui, bien sûr, n'est pas vrai. Le destin des Palestiniens est une question historique et politique à laquelle il faut donner une réponse historique et politique, même si le refus de M. Arafat d'accepter en août 2000 le plan Clinton et le déclenchement de l'intifada- bis ont anéanti, pour une longue période, les espoirs de paix.
M. Arafat n'est donc pas innocent, mais M. Sharon ne l'est pas davantage. Sa démarche, concernant le problème palestinien, a été strictement militaire ; et si certaines de ses réactions les plus féroces étaient dictées par une férocité encore plus aveugle, elles n'en ont pas moins fait payer par des innocents les actes des criminels.
Une impasse
Comme le lui démontrent tous les jours le refus d'un certain nombre de militaires israéliens de combattre dans les territoires, la peur qui paralyse la société israélienne, la hausse du chômage et le déclin de l'économie, les critiques que lui adresse une presse qui ne mâche pas ses mots, la voie que M. Sharon a choisie ne lui permet d'assurer ni la sécurité ni la prospérité des Israéliens. Les dévastations insensées qu'il a infligées à une économie palestinienne déjà exsangue s'accompagnent d'une crise économique et sociale en Israël que le ralentissement mondial ne suffit pas à expliquer.
Bien qu'il ait été élu avec une marge de vingt points, M. Sharon n'applique pas la politique souhaitée, selon les sondages, par une majorité d'Israéliens et qui reposerait sur la création d'un Etat palestinien pacifique et désarmé.
Le débat en France (ou ailleurs) n'a aucun intérêt : la crise du Proche-Orient ne sera sûrement pas réglée par les juifs de la diaspora, au moins aussi divisés sur la question que les Israéliens eux-mêmes. Elle ne sera pas réglée par des intellectuels qui cachent mal leur hostilité à Israël, pour ne pas dire au judaïsme. Elle ne sera réglée que lorsque les belligérants se seront enfin imprégnés de quelques notions clés que leur entêtement n'effacera pas.
M. Arafat ne peut pas détruire Israël et le monde arabe ne le peut pas davantage. Israël, de son côté, ne pourra jamais se débarrasser du nationalisme palestinien, précédé de quelques quarante ans, il est vrai, par le nationalisme israélien, mais d'une intensité qui le transforme en irrédentisme. Le seul espoir de diminuer la violence ne réside pas dans la disparition, physique ou politique, de M. Arafat, ou dans l'asservissement d'un peuple. Il ne peut venir que d'un accord politique, de la création de l'Etat palestinien, de compromis qui, en apportant leur cortège d'aménagements politiques et sociaux, finiront par rendre la violence archaïque.
Les Européens militent pour que M. Arafat reste l'interlocuteur numéro un des Israéliens. Ils disent, à juste titre, que, en dehors de lui, il n'y a plus que des Palestiniens prêts à se consumer dans une guerre au finish. C'est vrai. Mais M. Arafat a épuisé toutes ses cartes, il a commis une erreur majeure et chiffrable (1 200 morts à ce jour) qui le condamne. Il est d'autant moins indispensable à la paix qu'il n'est pas du tout certain qu'il ait jamais voulu la faire. Il est peut-être temps qu'il lâche prise.
De la même manière, M. Sharon n'est pas non plus éternel, son approche militaire du problème correspond au degré zéro de la politique, et, contrairement à ce qu'il croit, il va très vite toucher les limites du traitement qu'il apporte à la crise. Certes, il a remporté des succès, le soutien pratiquement inconditionnel de George W. Bush, les preuves qu'il a fournies des mensonges de M. Arafat, la solidité de sa coalition gouvernementale, sa propre popularité, encore élevée. Mais il n'a pas donné la sécurité aux Israéliens en dépit de ses promesses électorales, il conduit son pays à la ruine économique (Israël était il y a encore un an un « dragon » du Proche-Orient), certains de ses concitoyens songent à s'exiler, son armée est troublée, et il alimente avec une assuidité dangereuse la haine du monde arabe. Pas plus que M. Arafat, il n'est indispensable à la résolution de la crise, et il a l'âge de la retraite.
Bruits de bottes
Il n'y a pas de victoire possible contre un peuple qui réclame sa souveraineté. Servie par des crimes impardonnables, la cause palestinienne n'en est pas moins un mouvement classique d'aspiration à l'indépendance. M. Sharon peut-il croire un seul instant que les Palestiniens constituent le seul peuple au monde qui n'accède pas, comme tous les autres, à la liberté ?
Pour le moment, on n'entend que des bruits de bottes. M. Bush s'en prend à l'Irak et à l'Iran qui sont, effectivement, dirigés par des dictatures dangereuses. Terroristes, ils le sont, comme le sont la plupart des groupes palestiniens. Mais l'Irak et l'Iran sont des Etats reconnus. Le président des Etats-Unis, avec ou sans Yasser Arafat, devrait non seulement se prononcer pour un Etat palestinien, comme il l'a fait, mais ouvrir une procédure pour donner un peu de corps au projet. Avec ou sans M. Sharon.
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