Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a prononcé lundi, dans le Kentucky, un discours très attendu sur le Proche-Orient. Un discours censé faire date, montrer la volonté des Etats-Unis de ranimer leur diplomatie dans cette région et de rendre vie à un processus de paix moribond.
M. Powell, pour résumer, a réclamé le gel des implantations juives en Cisjordanie, l'arrêt complet des violences et la reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens. On ne s'empressera pas de dire qu'il n'y a là rien de nouveau. On constate simplement que le discours du secrétaire d'Etat a convenu à tout le monde, aux Palestiniens qui y ont vu la satisfaction de leurs exigences concernant les implantations, aux Israéliens qui ont surtout retenu l'arrêt des actes de violence et même à la gauche israélienne, celle qui refuse de participer au gouvernement et s'en tient aux accords d'Oslo.
Bien entendu, M. Powell s'est référé aux principes énoncés par le directeur de la CIA, George Tenet, concernant les dispositions sécuritaires et au fameux document de l'ex-sénateur George Mitchell qui, avant même que Bill Clinton ne quittât le pouvoir, apportait un cadre à la négociation, à ses objectifs et prévoyait ses résultats, dont la création d'un Etat palestinien.
Un consensus inattendu
Il est légitime de supposer que, derrière un consensus aussi inattendu, se cache une absence habile de précision qui permet, très diplomatiquement, de faire plaisir à tout le monde. Mais à l'heure actuelle, Israéliens et Palestiniens se battent sans merci et, pour qu'ils passent de la guerre à la conversation, il leur faut un électrochoc. M. Powell s'est bien gardé de le leur administrer, sans doute parce qu'il lui importe surtout de montrer aux Etats arabes, qui exigent littéralement des Etats-Unis qu'ils mettent un terme à la crise proche-orientale, sa bonne volonté et son souci de ne pas négliger le conflit israélo-palestinien sous le prétexte que l'Amérique se bat contre les réseaux terroristes internationaux.
Il demeure que le gouvernement américain a adopté un préalable d'Ariel Sharon (la fin de la violence doit précéder la négociation) que Javier Solana, « ministre des Affaires étrangères » de l'Union européenne, considère comme une « stupidité ». M. Solana, en l'occurrence, ne s'adressait pas à M. Powell - dont on doit dire qu'il n'a pas adressé d'ultimatum aux Palestiniens - mais à Ariel Sharon, lequel continue à demander huit jours pleins de calme absolu avant de parlementer avec Yasser Arafat.
M. Sharon, bien entendu, n'est pas vraiment stupide. Il veut seulement retarder l'heure à laquelle il sera contraint de négocier, ce qui montre bien que, pour lui, comme pour beaucoup de dirigeants politiques à travers le monde, gagner du temps est une façon de gouverner. Mais le Premier ministre israélien ne peut pas ignorer l'exigence américaine d'un gel des implantations qui apparaît, dans la tension actuelle, comme le geste minimal que doivent faire les Israéliens.
Le problème ne se poserait en ces termes que s'il était démontré que MM. Arafat et Sharon veulent vraiment négocier et qu'ils préfèrent la paix à la guerre. En réalité, le chef du gouvernement israélien n'a aucune confiance en M. Arafat, qu'il accuse de pratiquer le terrorisme en même temps qu'il appelle la paix de ses vux. D'autres que M. Sharon, par exemple Shimon Peres, ou encore le travailliste Yossi Beilin qui a participé à la rédaction des accords d'Oslo et refusé d'entrer dans le gouvernement Sharon, diraient plutôt que M. Arafat ne peut plus contrôler ses extrémistes, qu'il disparaîtrait s'il faisait mine de les combattre et qu'il faut donc que la négociation précède le retour au calme. Cette position de la gauche israélienne, d'ailleurs déchirée entre pro-gouvernementaux et anti-gouvernementaux, est fondée sur un désir réel d'aboutir à une paix fondée sur les ultimes concessions faites à l'automne 2000 par Ehud Barak à Taba et qui comprenaient la restitution de la quasi-totalité des territoires et la création d'une capitale palestinienne dans la partie orientale et arabe de Jérusalem.
M. Sharon, pour sa part, n'a cessé de dire que les accords d'Oslo « étaient morts », a fortiori les idées de Taba. Si la notion d'Etat palestinien ne l'effraie guère (il en parle publiquement), son projet personnel fait bon marché du concept de souveraineté : un tel Etat, selon lui, ne serait conçu et établi que pour garantir la sécurité d'Israël.
Cela ne signifie pas que la sécurité pour tous dans la région doive être bradée afin que l'on parvienne à la paix : l'une ne va pas sans l'autre. Cela veut dire simplement que M. Sharon, arrivé au pouvoir grâce à l'intifada qui a jeté les électeurs israéliens dans ses bras, ne peut avoir de politique que sécuritaire. Si les Palestiniens voulaient seulement la paix et non une solution qui menacerait l'existence même d'Israël, ils auraient dû s'en tenir à l'esprit d'Oslo et à la lettre de Taba. Ils ont refusé ce que Barak leur offrait et aujourd'hui, ils demandent à M. Sharon de leur donner davantage. Il n'est pas, pour eux en tout cas, le bon interlocuteur.
Or non seulement M. Sharon a été élu par une écrasante majorité, mais il continue à bénéficier d'une cote de popularité élevée, pendant que le parti travailliste est à ce point divisé qu'il n'a pas été capable, à ce jour, de désigner son chef. C'est assez dire que, si M. Arafat se décidait enfin à abandonner la violence et à choisir la paix, il obtiendrait moins que ce que M. Barak lui proposait.
Dans ce tableau somme toute très sombre, les Américains, contrairement à ce que souhaitaient les Etats arabes dits modérés, n'ont pas du tout « lâché » Israël. M. Powell a pris parti pour la paix, comme vous et moi, pas pour les Palestiniens. Alors que tout le monde pensait que la nécessité pour les Américains de maintenir, quel qu'en fût le prix, la coalition antiterroriste, les conduirait à changer leur politique traditionnelle au Proche-Orient.
En réalité, il n'y a rien de nouveau sous le soleil et la position des Etats-Unis, telle qu'elle a été réaffirmée lundi par M. Powell, tranche avec celle de l'Europe qui, elle, soutient ouvertement les Palestiniens, toujours considérés comme des victimes, bien que M. Arafat ait plus que sa part dans la violence actuelle. Les Quinze ne cachent pas leur hostilité à M. Sharon, sans doute parce qu'il est de droite et en dépit du fait qu'il occupe ses fonctions grâce au suffrage universel.
L'action diplomatique des Européens est d'autant plus mal perçue en Israël que la Belgique s'est dotée d'un tribunal qui s'est autoproclamé compétent dans tous les cas de crime de guerre, de génocide ou de crimes contre l'humanité. Des Palestiniens rescapés des massacres de Sabra et Chatila (1982) ont déposé une plainte contre M. Sharon, plainte jugée recevable par le tribunal. L'ambassadeur de Belgique en Israël a eu la tâche ingrate d'adresser la convocation de M. Sharon par la justice belge au gouvernement israélien. Mais la veille, comble de la maladresse, une délégation européenne était à Jérusalem. Elle était dirigée par le Premier ministre belge, également président de l'Union pour le deuxième semestre de 2001. Inutile de dire que les Européens n'ont pas été reçus à bras ouverts, ce que les Belges ne semblent pas avoir prévu. Le maire de Jérusalem n'a pas mâché ses mots et on suppose que l'entretien entre les deux Premiers ministres n'a pas été des plus productifs. Mais il faudrait que la Belgique et l'Europe sachent ce qu'elles veulent : si elles prennent parti ouvertement contre Israël, elles sont disqualifiées en tant que médiateurs. Et si M. Solana est fondé à évoquer la « stupidité » de M. Sharon, il ne s'étonnera pas de ce que, en ces étranges circonstances où l'Europe est juge et partie, le compliment lui soit retourné.
Presque drôle
On rappellera ici que le massacre de Sabra et de Chatila a été commis contre des réfugiés palestiniens par des milices chrétiennes du Liban. M. Sharon était alors général et commandait l'armée israélienne qui avait envahi le Liban. On lui a reproché d'avoir laissé les milices libanaises commettre leur massacre ; une commission d'enquête israélienne, composée des meilleurs juristes, l'a fait traduire en justice mais il s'en est sorti avec un blâme dont on ne peut pas dire qu'il ait durablement interrompu sa carrière politique.
Un groupe israélien d'extrême droite va maintenant déposer plainte auprès du même tribunal belge contre Yasser Arafat pour des crimes identiques. Ce serait presque drôle que la juridiction belge se déclare compétente dans ce cas également, si on n'avait le sentiment que, avec ce tribunal, la Belgique s'est engagée dans une voie qui tend à banaliser les crimes contre l'humanité et risque d'aboutir à un spectacle désolant où la mémoire des victimes d'un vrai génocide sera insultée. On est là dans la triste ligne de la conférence de Durban contre le racisme qui n'a pas fait autre chose que de condamner Israël et les Juifs.
En tout cas, les poursuites contre M. Sharon, qui n'entend pas quitter ses fonctions et reste donc, pour plus de quatre ans, le chef du gouvernement israélien, et éventuellement les poursuites contre M. Arafat, qui a tout de même du sang sur les mains, ne feront guère progresser le processus de paix, déjà affreusement endommagé par les passions et les violences et qui périra un jour sous les coups de la simple bêtise.
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