Les Drs Gilbert Boublil, Jean-Philippe Zermati, Sonia Ryba et Jean-Yves Ferrand ont reçu leur lettre du conseil départemental de l'Ordre des médecins de Paris, expédiée le 29 janvier ; le Dr Jean Fabre, de Marseille, a eu un courrier du même tonneau émanant du conseil des Bouches-du-Rhône. Quant au Dr Jean-Michel Cohen, s'il n'a toujours rien reçu de son conseil des Hauts-de-Seine, c'est parce qu'on est toujours à la recherche de ses coordonnées.
Les six praticiens qui ont accepté de participer à l'émission « J'ai décidé de maigrir », diffusée en première partie de soirée chaque jeudi sur M6, depuis le 23 janvier, sont tous exposés aux mêmes foudres disciplinaires. A chacun, son ordre départemental respectif (comme c'est la procédure) enjoint, dans un premier temps, de produire des explications écrites sur les manquements qu'ils auraient commis au code de déontologie : violation du secret médical et de l'interdiction de se prêter à de la publicité ainsi que déconsidération de la profession. Ils sont également priés de produire copie du contrat qui les lie à la chaîne ou à la maison de production, afin de vérifier s'ils sont payés par une entreprise commerciale, ce qui constituerait un « acte médical prohibé ».
La colère des instances ordinales, qui relaye un grand nombre de protestations adressées par des confrères, a été déclenchée par un exercice télévisuel à ce jour inédit en France ; il relate le quotidien de six personnes qui ont décidé de perdre du poids, chacune sous la conduite d'un médecin et, à chaque émission (six doivent être diffusées au total), le colloque singulier, ou du moins certains extraits filmés, sont diffusés à l'antenne (« le Quotidien » du 8 janvier).
Pas de caméra dans le colloque singulier
« Notre réaction se fonde autant sur le code de déontologie que sur la loi concernant le droit des malades, explique au « Quotidien » le Pr Jean Langlois, président du Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM) ; la consultation, selon ces textes, impose le secret. Le médecin a le devoir absolu de n'en rien révéler, quand bien même le patient lui aurait signifié son accord pour divulguer des informations le concernant. Pas de caméra dans le colloque singulier. Toute consultation-spectacle est par essence inadmissible. » Et le président du CNOM de rappeler le scandale, il y a un quart de siècle, qui avait défrayé la chronique : « Deux cents étudiants assistaient dans un amphi de Saint-Louis à une consultation et on s'était alors ému devant ce voyeurisme, se rappelle-t-il. Cette fois, il s'agit, par télé interposée, de spectateurs présents par centaines de milliers, voire par millions ! »
Les médecins mis sur la sellette ne comprennent pas, quant à eux, cette réaction.
Ont-ils violé le secret médical ? « Mais seul un court extrait de consultation est diffusé, rétorque le Dr Boublil. Tous les éléments confidentiels sont expurgés, la seule information personnelle donnée à l'antenne étant le poids du patient, mais comme celui-ci est publié auparavant dans la presse, où est la violation du secret ? »
Quant à la publicité à laquelle ils se livreraient, le même Dr Boublil, dénonçant les « mauvais procès », jure qu'il n'est « pas allé chercher la télé » et que son « agenda est tellement saturé » qu'il n'en a vraiment aucun besoin.
Reste la « déconsidération » que l'émission entraînerait pour la profession ; mais, rétorque le Dr Jean-Philippe Zermati, « je ne vois pas comment, en exposant ma pratique professionnelle très rigoureuse, je pourrais mettre en péril la considération due aux médecins et à la médecine ! Sauf, ajoute-t-il, à ce que que l'image très représentative que l'émission donne du paysage nutritionnel français soit considérée comme épouvantable. Mais alors, c'est la réalité qui épouvante les protestataires, car ce qui est filmé dépeint la situation réelle de souffrance médicale, psychologique et sociale dans laquelle nous sommes. »
Information médicale avec ou sans médecin
Les médecins incriminés protestent encore contre l'étiquette de télé-réalité qui leur a été, estiment-ils, injustement accolée. Pour eux, comme pour l'animateur-producteur Mac Lesggy, « c'est le droit de traiter l'information médicale avec des médecins qui est en cause. Nous aurions pu procéder comme tant de magazines et détailler des méthodes et des régimes sans nous soucier de recueillir des explications auprès de spécialistes, plaide-t-il. Au lieu de quoi, nous avons eu à cur de choisir l'option d'une vulgarisation de qualité. Alors, si le Conseil de l'Ordre veut interdire les émissions sur les régimes avec médecins, qu'il le dise et nous ferons de l'information médicale sans praticiens. En ce cas, il faut arrêter de filmer tous les praticiens qu'on voit dans les reportages de "Savoir plus santé", "Des racines et des ailes" ou "Envoyé spécial" », s'emporte l'animateur, qui a le sentiment de faire l'objet d' « un traitement de défaveur ».
Mais pour le Pr Langlois, l'amalgame n'est pas acceptable : « En son temps, j'ai moi-même participé, comme chirurgien du cur, aux émissions d'Igor Barrère, "Santé à la une", explique-t-il, mais si j'y étais interrogé, de même que mes patients, on ne m'a jamais filmé dans le cadre d'une consultation. Quant aux images d'intervention, le champ opératoire empêchait toute identification possible du malade. Aucune violation du secret n'était tolérée. »
C'est donc ce combat pour que le colloque reste singulier et uniquement tel qui risque, dans les semaines qui viennent, de faire tomber les six médecins de M6 devant les sections disciplinaires.
Quitte en ce cas, comme le promet l'un d'eux, à ce qu'il fasse « ressortir les innombrables séquences, ne serait-ce qu'au cours des six derniers mois, où l'on a pu voir et revoir, sur toutes les chaînes, des patients qui, à longueur d'émissions, s'entretiennent avec des médecins. Et nous demanderons alors que ceux-ci soient exposés aux mêmes sanctions. » Somme toute, pas de partage pour le secret.
Prévenir ou sanctionner ?
Avant de « formater » leur émission, les producteurs de M6 avaient écrit au Conseil national de l'Ordre pour demander à être reçus ; ils souhaitaient s'assurer de la conformité de leur projet avec les règles déontologiques en vigueur dans le corps médical. « Mais nous n'avons reçu pour toute réponse que des extraits ducode, à savoir les articles 13, 19 et 20 », regrette Mac Lesggy, qui estime qu' « avec un rendez-vous préalable on se serait épargné des polémiques intempestives ».
Un sentiment que n'est pas loin de partager le Dr Gérard Zeiger, président du conseil de l'Ordre de Paris : « Je n'ai aucun sentiment d'animosité contre les quatre médecins auxquels j'ai dû écrire à la suite des nombreuses plaintes qui nous ont été adressées. Pour éviter des procédures devant les sections disciplinaires dont ils risquent de faire les frais, il aurait été sans doute préférable de présenter à une instance ad hoc le projet d'émission. »
Pour l'avenir, le président parisien se dit partisan de « la création d'une sorte de conseil préventif chargé d'examiner les questions d'information médicale ». Un conseil qui délibérerait sans condamner, à l'aune, tout à la fois, des exigences déontologiques et des nécessités de l'information.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature