Livres
Philippe Claudel : la vie en demi-tons
A toute chose malheur est bon : alors que le Renaudot est souvent éclipsé par le Goncourt décerné traditionnellement le même jour, la « farce» - puisqu'il ne s'agit pas, selon eux, d'un mauvais tour - jouée par les académiciens en décernant leur récompense avec quinze jours d'avance, a mis cette année sous les projecteurs le seul lauréat du Renaudot, Philippe Claudel. Qui l'a emporté au 3e tour avec 5 voix contre 3 à Gilles Martin-Chauffier pour « Silence, on ment » (Grasset).
Il raconte dans « les Ames grises » l'enquête sur un fait divers, l'assassinat d'une fillette, celle qu'on surnommait « Belle de jour » et que tout le village adorait, survenu en 1917 en Lorraine, tout près de la ligne de front, là où les soldats s'entretuent. Pour l'auteur, « que l'on tue des fillettes ou que les hommes meurent par milliers, il n'est rien de plus tragiquement humain ».
Il parle d'une guerre qu'on ne voit jamais, comparée à « un monstre caché ». Car ce livre n'est pas un roman sur la guerre. Philippe Claudel montre comment le conflit rend les gens fous, creuse le fossé séparant les riches des pauvres.
Des années après la fin des combats, le policier qui a mené l'enquête, de manière obsessionnelle, parle des protagonistes de l'affaire : un déserteur, une institutrice, un juge, un procureur, etc. ; ce sont eux les « âmes grises », tout à la fois grands et méprisables, car « rien n'est ni tout noir ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil », dit un des personnages.
Né en 1962, Philippe Claudel, qui est enseignant, a situé son histoire à cette époque en partie parce qu'il est né dans cette région martyre, à Dombasle-sur-Meurthe. (coïncidence, le lauréat du prix Médicis, Hubert Mingarelli, (« Quatre Soldats ») est lui aussi originaire de la Meurthe-et-Moselle et l'action de son roman se situait en 1919.) Il a déjà reçu le prix France Télévisions pour « J'abandonne » (2000) et le... Goncourt de la nouvelle pour « les Petites Mécaniques » (2003).
Surprise !
Les dix membres du jury Renaudot - dont la présidence est tournante et qui vient d'élire Patrick Besson en remplacement de Jacques Brenner - ont eux aussi joué l'effet de surprise en décernant le prix de l'essai au premier tour à un candidat qui ne figurait pas dans leur dernière sélection, Yves Berger ; il l'a emporté avec 5 voix contre 4 à Pierre Lepape pour « le Pays de la littérature » (Le Seuil).
Son « Dictionnaire amoureux » est pour lui « un chant d'amour à l'Amérique autour de laquelle j'ai cristallisé mon uvre. J'ai connu l'occupation allemande : la liberté ne pouvait venir alors que de l'Amérique ». D'« Abeilles » à « Yourcenar », il considère que « le rêve américain n'aura jamais cessé de s'étendre et de fasciner ». Et ajoute que « l'anti-américanisme est une honte nationale. L'Amérique ne nous impose pas sa bouillie : nous la mangeons car nous n'avons plus cet esprit de résistance gaullien ».
Ce n'est pas pour autant qu'il use de franglais ou d'anglicismes - ce qui aurait d'ailleurs été surprenant de la part d'un vice-président du Conseil supérieur de la langue française. Il évoque au contraire dans son ouvrage « les ravages que provoque l'anglo-américain sur la langue française », estimant que « les Français parlent une langue tellement ébranlée, infiltrée, disloquée et, pour tout dire, par l'anglo-américain nécrosée, qu'ils ne s'en rendent pas compte, comme si le pidgin - ou le babélien d'Etiemble - leur était devenu naturel ».
Yves Berger, qui a reçu le prix Femina en 1962 pour « le Sud » et le prix Médicis en 1994 pour « Immobile dans le courant du fleuve », fut de 1960 à 2000 le directeur littéraire de Grasset.
Livres
Frédéric Beigbeder : la fiction pour comprendre la réalité
Il y a trois ans, il avait frôlé de très près le prix Interallié - qui récompense plus particulièrement le livre d'un journaliste et qui clôt la distribution des grands prix d'automne - avec son roman best-seller « 99 francs » ; voilà qui est accompli aujourd'hui grâce à « Windows on the World », un roman qui lui a valu 7 voix contre 2 à Laurence Cossé (« Le 31 du mois d'août », Gallimard) et 2 voix également à Pierre Drachline (« l'Enchantée », le Cherche-Midi). Frédéric Beigbeder a donc pris la place de Gonzague Saint-Bris - le précédent lauréat - dans le jury, jusqu'à l'attribution du prix 2004.
Ancien publicitaire, ex-animateur de télévision (Canal+), critique littéraire à l'hebdomadaire « Voici », éditeur chez Flammarion, Frédéric Beigbeder a donné à son roman - qui selon lui parle « du terrorisme, de l'hyperviolence, du XXIe siècle » - le nom du restaurant qui était situé au 107e étage du World Trade Center. C'est pourtant un ouvrage très narcissique, dans lequel l'auteur s'interroge sur l'impact des attentats du 11 septembre, sur lui-même. Pour le mesurer, il s'en va au « Ciel de Paris », le restaurant du 56e étage (seulement !) de la tour Montparnasse et de là-haut, il réfléchit sur cette tragédie, sur New York, son enfance, sa génération, il exprime son admiration pour les Etats-Unis. « Les jurés ont voulu saluer le fait qu'à mon avis la fiction permet de mieux comprendre la réalité, le monde actuel », a-t-il encore précisé.
Yann Apperry : écrire pour vivre
Les 2 000 lycéens représentant 59 établissements d'enseignement général, technique ou agricole ont attribué leur prix à Yann Apperry pour son roman « Farrago », l'histoire picaresque d'un vagabond qui parvient à se créer un destin en faisant une histoire de ce qu'il a vécu.
Bien qu'âgé seulement de 31 ans, Yann Apperry n'est pas un inconnu puisqu'il a reçu déjà en 2000 le prix Médicis pour « Diabolus in musica ». Ancien pensionnaire de la villa Médicis à Rome et lauréat de la fondation Hachette en 1997, il écrit également pour le théâtre et comme librettiste.
Son récit se situe au début des années 1970, lorsque les B-52 bombardent Hanoi, dans une triste bourgade de la Californie du Nord. Un vagabond abandonné sur un tas d'ordures à sa naissance, Homer Idlewide, éternel ahuri, entreprend une odyssée moderne qui lui fera croiser les êtres les plus étonnants, rebuts d'une société en mutation, paumés, les laissés-pour-compte de l'Amérique profonde. Au fil de ses aventures burlesques, Homer va rencontrer son destin d'apprenti poète, et donc, une forme de salut. Selon une jurée d'un lycée de Lyon, ce roman est « un concentré d'humanité qui nous rend humbles et qui nous donne de l'espoir ».
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