L ES généralistes n'ont pas été formés durant leurs études à la prise en charge et à la prévention des conduites addictives. Les connaissances des conséquences négatives du tabagisme sur la santé des femmes ou des complications sur la grossesse sont encore peu diffusées. Cette situation explique que les consultations ou les demandes des femmes fumeuses au généraliste représentent la plupart du temps des occasions manquées d'aide à l'arrêt du tabagisme.
Pourtant l'extension inquiétante de l'épidémie tabagique chez les adolescentes devrait déclencher une prise de conscience médicale. Actuellement, la moitié des jeunes filles de 18 ans et plus du tiers des femmes non ménopausées fument. En région parisienne, la mortalité par cancer du poumon chez la femme est devenue plus importante que la mortalité par cancer du sein. Que deviendra la mortalité prématurée chez la femme dans vingt ans si rien n'est fait ?
Combien de médecins manifestent un réel intérêt pour la prise en charge de l'aide à l'arrêt de la cigarette ? Combien de médecins savent le rôle négatif de la contre-exemplarité des professionnels de santé ? L'objectif fixé il y a déjà sept ans (1994) par le Haut Comité de santé publique de réduire à moins de 10 % la proportion de professionnels de santé fumeurs est loin d'être atteint ! Pourtant, l'efficacité de la prévention du tabagisme passe par l'exemplarité. En dehors d'études ponctuelles, les médecins n'évaluent pas le nombre et le pourcentage des femmes fumeuses, ex-fumeuses et non fumeuses de leur clientèle : ils ignorent l'impact de leurs soins dans ce domaine.
Comment les médecins peuvent-ils diminuer le nombre de femmes fumeuses ? Certes, le conseil minimal (simplement poser la question : « Fumez-vous ? Voulez-vous arrêter ? ») augmente de 2 % le pourcentage de patients qui arrêtent de fumer. Mais ce conseil minimal suffit-il ?
Evaluer l'état de dépendance au tabac et de ses types par le test de Fagerström (voir tableau) oriente les moyens à mettre en uvre pour le sevrage. Parmi les questions de ce test, c'est la première, qui porte sur le délai entre le réveil et l'envie de la première cigarette, qui est la plus pertinente pour évaluer rapidement le degré de dépendance. Mais ce renseignement n'est utile que pour les patientes déjà en pré-intention d'arrêter de fumer.
Une démarche diagnostique
Selon notre expérience personnelle, la mesure systématique en ambulatoire du taux de l'oxyde de carbone (CO) dans l'air expiré, taux qui s'affiche en ppm, interroge chaque patiente bien davantage que n'importe quel discours.
L'utilisation de l'analyseur de CO en pratique clinique réintroduit le médecin dans sa démarche diagnostique habituelle. L'analyseur de CO évalue mieux le degré de l'intoxication tabagique que seulement le nombre et le type de cigarettes fumées : il est arrivé fréquemment d'objectiver des taux de CO non diminués (voire augmentés) alors que la patiente a réellement diminué le nombre de cigarettes fumées (voir tableau). Il évalue objectivement la globalité de l'intoxication tabagique, qu'elle soit active ou passive. Parfois, la mesure permet de diagnostiquer une intoxication chronique ou subaiguë au CO qui peut toucher tous les membres (y compris les enfants) d'une même famille qui partagent le même domicile et le même système de chauffage.
Les bénéfices de l'arrêt du tabac en termes de santé individuelle et publique sont unanimement reconnus. Ils se manifestent en termes de réduction de mortalité et morbidité de l'ensemble des maladies liées au tabac (cardio-vasculaires, respiratoires, cancer du poumon, notamment) et par rapport à la grossesse (GEU, avortements, accouchements prématurés, retard de croissance intra-utérin, hématomes rétroplacentaires, placenta inséré bas, mortalité in utero, et plus tard mort subite du nourrisson).
Comment évaluer les pratiques en médecine de ville par rapport au tabagisme des patientes ? Les médecins libéraux se sentent peu formés et démunis d'outils adaptés (cf. conférence de consensus). Pour impliquer ces médecins, une formation adaptée interactive avec mise à disposition de l'analyseur de CO et apprentissage de son utilisation, mise en application d'emblée dans le cadre de l'activité habituelle avec analyse et suivi objectif (chiffres de CO dans l'air expiré pour chaque consultante comme la mesure de la TA), du nombre de patientes fumeuses, ex-fumeuses et non fumeuses.
L'analyseur de CO dans l'air expiré utilisé en routine clinique libérale peut objectiver l'efficacité croissante de la prise en charge en fonction de sa durée : ainsi, au bout d'un an, selon notre expérience personnelle, le nombre (118) et le pourcentage (24 %) de femmes qui ont arrêté de fumer sont devenus nettement supérieurs aux nombres (97) et pourcentage (19 %) de femmes qui continuent.
Faisons le rêve que la motivation à prendre en charge le tabagisme féminin vienne à beaucoup de médecins, que la motivation à préserver leur santé vienne à beaucoup de femmes qui retrouveront la liberté de ne plus fumer.
Le test de Fagerström
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Dans quel délai après le réveil fumez-vous- moins de 5 minutes3
votre première cigarette ?- 6 à 30 minutes2
- 31 à 60 minutes1
- après 60 minutes0
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Trouvez-vous difficile de ne pas fumer- Oui1
dans des endroits interdits ?- Non0
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Quelle cigarette trouvez-vous la plus indispensable ?- La première1
- Une autre0
Combien de cigarettes fumez-vous par jour ?- 10 ou moins0
- 11 à 201
- 21 à 302
- 31 ou plus3
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Fumez-vous à un rythme plus soutenu- Oui1
dans les heures après le réveil- Non0
que pendant le reste de la journée ?
.
Fumez-vous même si vous êtes malade- Oui1
au point de devoir rester au lit ?- Non0
InterprétationØ-2Pas de dépendance
3-4Dépendance faible
5-6Dépendance moyenne
7-10Dépendance forte ou très forte
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Le degré d'intoxication ne dépend pas du nombre de cigarettes fumées
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DateNombre de cigarettes fuméesTaux de CO en ppm
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12-03-0020 cigarettes23
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20-03-0010 cigarettes29
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08-04-000 cigarette4
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La femme et le tabac : des rencontres au Havre
Que faire face à « l'extension alarmante du tabagisme féminin » : c'est la question à laquelle vont réfléchir les professionnels de santé invités à participer aux Rencontres nationales « La femme et le tabac », au Havre, du 3 au 5 mai, organisées par la ville du Havre et l'association Périnatalité Prévention Recherche Information. La dépendance tabagique, les motivations des fumeuses, la stratégie de l'industrie du tabac, la législation (avec une table ronde présidée par Nicole Maestracci), le tabagisme passif, les thérapies comportementales, la prise en charge de la femme enceinte, les conséquences chez l'enfant, le travail en réseau sont parmi les sujets qui seront abordés.
Renseignements : Service santé, ville du Havre, Christine Michot. Tél. 02.35.41.22.11. Fax 02.35.42.75.61.
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