« SI RIEN N'EST FAIT, nous aurons perdu 22 % de nos chirurgiens dans dix ans », a reconnu le ministre de la Santé lors de l'installation du Conseil national de la chirurgie. Regrettant « l'immobilisme » dont ont fait preuve les précédents gouvernements en la matière, Philippe Douste-Blazy entend faire de la lutte contre le malaise de la chirurgie sa priorité, « par tous les moyens et dans les meilleurs délais ».
Commentaires de celui qui, à la demande du ministre, va présider le nouveau conseil : « Philippe Douste-Blazy a pris la mesure des problèmes de notre spécialité, il veut résoudre rapidement la crise de la chirurgie française », s'est réjoui le Pr Jacques Domergue, député UMP de l'Hérault et auteur l'an dernier d'un rapport sur la chirurgie. Manière de dire que cette nouvelle instance ne s'apparente en rien à une mission au long cours : le conseil dispose de missions précises et d'un calendrier resserré.
« Un outil et une volonté ».
Le message semble bien compris par la quinzaine de professionnels qui siégeront au conseil - chirurgiens libéraux et hospitaliers, représentants des établissements de santé. L'un d'eux, le Dr François Aubart, par ailleurs président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), déclarait à l'issue de la réunion ministérielle : « On dispose désormais d'un outil et d'une volonté qui vont dans le bon sens. »
Certains diront qu'il était temps. La sortie des rapports Giudicelli (en 1995) et Domergue (en 2003) n'a pas, ou peu, été suivie de décisions politiques. Les difficultés de la profession s'aggravent d'année en année (voir encadré), tandis que s'installe une crise de confiance entre les chirurgiens et les pouvoirs publics. L'heure de la reprise d'un dialogue constructif semble avoir sonné.
Le ministre de la Santé a distingué deux axes de travail en fonction de leur niveau d'urgence. Le conseil devra d'abord régler les problèmes de la RCP (responsabilité civile professionnelle) et de la future nomenclature des actes chirurgicaux, avant de repenser la gestion des plateaux techniques, l'évaluation des pratiques professionnelles, le mode d'exercice (seul ou en équipe), la revalorisation des carrières et la formation des chirurgiens. Philippe Douste-Blazy attend des solutions concrètes avant la fin du mois d'octobre.
Le dossier RCP, jugé prioritaire, pourrait être réglé plus rapidement. « Dès le mois de juillet, je souhaite proposer un amendement au projet de loi sur l'assurance-maladie afin de répondre à ce douloureux problème », a annoncé le ministre. Une initiative soutenue par le député Jacques Domergue, coauteur d'une proposition de loi censée résoudre la crise : « C'est la seule manière de conclure sur la RCP aujourd'hui. Le conseil rendra son avis (sur l'amendement gouvernemental) dans les quinze jours à venir », dit-il.
Le Pr Domergue compte également s'engager sur un autre dossier : la revalorisation des actes chirurgicaux, bloqués depuis une dizaine d'années. « Tant à propos des tarifs qu'à propos de la RCP, le ministre a compris l'urgence à agir », affirme-t-il. Une menace plane en effet à l'horizon : l'organisation Chirurgiens de France, qui dit regrouper 3 000 chirurgiens, maintient son mot d'ordre de cessation totale d'activité à partir du début de septembre en l'absence de mesures concrètes apportant une issue à la crise (voir l'entretien ci-dessous).
Les chiffres d'une discipline en crise
Toutes spécialités confondues, il y a en France quelque 23 000 chirurgiens, dont un peu plus de 22 % de femmes. Les chirurgiens sont très mal répartis sur le territoire, certaines régions comme l'Ile-de-France ou Paca ayant une densité chirurgicale double des plus sous-médicalisées (Centre, Picardie). Ces disparités géographiques mises à part, si on peut considérer avec le rapport Domergue qu'on ne manque pas aujourd'hui de chirurgiens, on sait que les difficultés démographiques vont apparaître dès l'an prochain. Et étant donné le nombre d'internes dans les filières chirurgicales, ce sont toutes les spécialités qui seront rapidement sinistrées.
Quelques exemples. En chirurgie orthopédique, les projections (qui intègrent notamment les effets de la réduction du temps de travail) font état d'un besoin de formation de 92 spécialistes par an - contre 80 effectivement formés actuellement -, besoin qui passera à 219 en 2010. De la même façon, le nombre de chirurgiens urologues en formation est de 10 à 12 par an, alors qu'il en faudrait 30. En ophtalmologie, alors que les besoins de la population vieillissante croissent de manière exponentielle, les chirurgiens, qui sont aujourd'hui plus de 5 000, ne seront même pas 3 000 en 2020.
Soixante pour cent des gardes de chirurgie sont actuellement assurées par des médecins à diplôme étranger. Les causes de la désaffection sont connues : pénibilité (un chirurgien orthopédiste travaille en moyenne 11 heures par jour, 5,5 jours par semaine pendant 46,5 semaines annuelles travaillées), judiciarisation, revenus stagnants, carrières peu attrayantes... se conjuguent.
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