À L'OCCASION du lancement de l'exposition « Médecine prédictive : l'explosion », François d'Aubert, ancien ministre de la Recherche et président de la Cité des sciences de la Villette, explique avoir finalement renoncé au terme de «médecine de prédiction», trop proche, selon lui, de l'image du marc de café. La médecine prédictive, pour quoi faire ? L'une des grandes difficultés de cette médecine réside dans l'interprétation des résultats des tests. De l'analyse de l'ADN à celle des produits des gènes (protéines, enzymes), la panoplie des outils prédictifs est vaste. Mais rares sont ceux dont la valeur prédictive est certaine. Par le biais de panneaux de textes, d'interviews sonores, de reportages filmés, l'exposition dresse un état des lieux très intéressant du sujet. Une bonne entrée en matière avant la tenue des états généraux de la bioéthique, qui doivent se dérouler au premier trimestre 2009.
Abus de langage.
Ségolène Aymé, médecin généticien, responsable de la plate-forme maladies rares Orphanet, estime qu'il y a actuellement «un abus de langage», voire des «promesses fallacieuses». Premièrement, parce que «la plupart des gènes qui sont à l'origine de ces maladies communes agissent de concert avec d'autres gènes, ce sont donc des modes de transmissions complexes et ces arrangements de gènes sont très spécifiques des populations». Deuxièmement, parce que la «contribution des gènes est peu de chose à côté des autres facteurs que sont l'alimentation, le mode de vie». En 2007, une étude a ainsi identifié une mutation sur un gène (FGFR2) qui augmente le risque d'avoir un cancer du sein d'un facteur 1,2. En comparaison, ce risque est augmenté d'un même ordre de grandeur chez les femmes dont la première grossesse survient après 30 ans et il peut être réduit de 25 à 30 % par l'activité physique. Depuis l'automne 2007, plusieurs start-up se sont lancées dans la vente en ligne de tests génétiques portant sur l'ensemble du génome et permettant aux utilisateurs de connaître leur prédisposition à une vingtaine de paramètres. Mais à quoi servent ces tests lorsqu'ils annoncent par exemple le développement futur d'une maladie incurable ? C'est le cas du dépistage de la chorée de Huntington, la première maladie ayant fait l'objet d'un test génétique présymptomatique dès 1986 et pour laquelle il n'existe aucun traitement. Comme le souligne le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), Alain Grimfeld, «la médecine ne se limite pas à une lecture froide des données biologiques». De fait, un suivi réalisé à l'hôpital de la Salpêtrière, à Paris, révèle que, sur les 20 % de personnes à risque qui formulent une demande de test pour la maladie de Huntington, près d'une personne sur deux ne poursuit pas sa démarche après le premier entretien et une personne sur dix choisit de la suspendre entre le premier entretien et la prise de sang.
Protection du consommateur.
La loi française limite actuellement l'utilisation des tests génétiques à une application médicale ou à des interventions dans le domaine de la recherche, en dehors des applications judiciaires. Faut-il maintenir cette limitation alors que ces tests fleurissent sur Internet ? Pour Anne Cambon-Thomsen, responsable de l'unité INSERM Génomique et santé publique, la révision de la loi de bioéthique (prévue en 2009-2010) devrait permettre de débattre «sur la meilleure façon de contrôler l'utilisation d'une information génétique de ce type». Ségolène Aymé, elle, ne mâche pas ses mots. Inutile, pense-t-elle, d'interdire ces tests qui sont le résultat d'un pilotage de la demande par l'offre. «Plus que de l'éthique, cela dépend plutôt du domaine de la protection du consommateur. Le public doit être bien informé et un des critères d'information est leur non-remboursement.» Cependant, il existe certains cas où la prédiction empiète sur la prévention, comme dans le cas du dosage de l'antigène spécifique de la prostate (PSA) dans le sang pour dépister précocement le cancer de la prostate. Au-delà de 4 ng/ml, on considère que la personne est à risque. Mais à ce seuil, la probabilité que le patient soit porteur du cancer lorsque le test est positif n'est que de 30 %. La conséquence est un surdiagnostic et le risque de traitements inadaptés aux conséquences parfois néfastes (impuissance ou incontinence). «Cette évidence d'un bienfait de la prédiction doit être interrogée dans sa complexité, estime Didier Sicard, président d'honneur du CCNE. Il est probable que ce progrès de la prédiction va nourrir une angoisse croissante de l'être humain sur son futur et il est parfois probable que l'ignorance de son destin est peut-être plus compatible avec une vie existentielle riche, porteuse d'incertitudes, que cette prédiction qui risque d'être vécue comme une certitude excessive. Et c'est dans cette confusion entre prédiction et prévention que s'engouffre le marché parce que le marché biotechnologique se nourrit d'une recherche prometteuse offrant un avenir radieux à l'être humain, mais paradoxalement finit par oublier la personne qui est l'objet de cette prédiction.» Suite du débat à la Cité où un dispositif permet aux visiteurs de partager, via une Webcam et un micro, leurs réflexions.
Chiffres
– Plus de 1000 tests génétiques sont désormais disponibles. Entre 2001 et 2007, le nombre de ces tests a été multiplié par 3 ; de 100 à 150 gènes sont actuellement testés en routine.
– Un test génétique coûte de 200 à 2000 euros.
– En France, près de 70% des anomalies congénitales du foetus ont été dépistées, contre 16 % en 1983. À Paris, le nombre de naissances d'enfants atteints de trisomie 21 a diminué de 3 % par an entre 1983 et 2000 et s'est stabilisé autour de 7 naissances pour 10 000 depuis 2001. Alors que, parallèlement, le nombre de foetus atteints de trisomie 21 continue d'augmenter, en moyenne de 5 % par an, du fait de l'élévation de l'âge maternel.
– En 2007, 3 génomes individuels ont été séquencés pour la première fois, révélant qu'il y a cinq fois plus de différences génétiques entre deux individus que ce que les scientifiques croyaient. Deux mois et 1,5 million de dollars ont été nécessaires pour séquencer le génome complet du prix Nobel James Watson, contre 13 ans et 2,7 milliards de dollars pour le premier séquençage du génome humain en 2001.
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