LE SUICIDE fait chaque année, en France, 11 000 morts (300 000 tentatives), dont les deux tiers d'hommes, et compte pour près de 3 % des décès masculins. La surmortalité masculine se confirme à tous les âges, avec deux pics : vers 40 ans, puis chez les sujets âgés, voire très âgés (surmortalité multipliée par dix-huit par rapport aux adolescents, alors qu'elle est de huit chez les femmes). Les plus vulnérables et les plus à risque sont les sujets souffrant de troubles psychiatriques (troubles dépressifs, psychoses, addictions), les sujets âgés, les hommes veufs ou divorcés, les détenus.
Le taux de suicide a connu une augmentation constante en France entre les années 1970 et 1985 (+ 38 %), principalement du fait d'un accroissement chez les hommes jeunes. Si, depuis 1985, l'incidence globale diminue, on observe une recrudescence des suicides masculins, en particulier chez les 30-49 ans.
Peut-on prévenir le suicide ? Prise de conscience du problème et volonté collective de prévention de cette cause évitable de mortalité prématurée ont conduit à l'élaboration d'un certain nombre de mesures, avec une stratégie nationale de prévention du suicide depuis 2000, un classement en deuxième position dans les objectifs de la première loi de santé publique de 2004 et une place conséquente dans le plan Psychiatrie et Santé mentale adossé au plan Détection et Traitement de la dépression.
Ces plans sont destinés à améliorer le repérage et l'intervention auprès des personnes à risque, des sujets en crise suicidaire, la prise en charge des suicidants, et à limiter l'accès aux moyens du suicide.
La présence, dans une maison, d'une arme à feu, par exemple, multiplie par cinq le risque de suicide. Pourtant, dans notre pays, l'efficacité de la limitation de l'accès aux moyens de suicide a longtemps été mise en doute, donc, peu exploitée comme moyen de prévention. Les bénéfices apportés par les actions conduites dans d'autres pays démontraient pourtant leur utilité. Mais les mentalités changent. Un certain nombre de mesures ont ainsi été mises en oeuvre : détoxification du gaz de ville, diminution de la prescription de médicaments psychotropes ayant une faible DL50, suppression des barbituriques, mise en place par les entreprises de transport public (RATP et SNCF) de plans d'action de limitation d'accès aux ponts ou voies dangereuses.
Neuf sur dix des sujets qui meurent par suicide souffrent au moment de leur geste d'un trouble psychiatrique : le risque de suicide est multiplié par trente avec un trouble de l'humeur et il est la première cause de mortalité chez les schizophrènes. Mais ceux qui décèdent sont aussi les plus vulnérables. Un certain nombre de facteurs cliniques sous-tendant cette vulnérabilité commencent à être mieux identifiés, parmi lesquels :
– les antécédents personnels : plus le nombre de tentatives augmente, plus le risque est grand. Plus d'un tiers des suicidants réitèrent leur geste ; les garçons plus que les filles. Près de 10 % des sujets ayant déjà fait au moins une tentative mourront par suicide ;
– des traits de personnalité : l'impulsivité, particulièrement ;
– l'alcool, facteur de désinhibition et de passage à l'acte impulsif ;
– les antécédents familiaux de conduite suicidaire.
Les moyens et les méthodes.
L'évaluation du risque suicidaire ne peut faire appel à aucun critère fiable à 100 % ; en conséquence, toute intention suicidaire exprimée doit être prise au sérieux.
La conférence de consensus* « La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge » recommande, pour tout suicidant, une triple évaluation : somatique, psychologique et sociale ; l'évaluation psychologique étant réalisée par un psychiatre et comprenant un entretien avec l'entourage proche. Plusieurs modèles de structures de prise en charge, d'unités spécialisées, pour les sujets suicidants ou en crise, existent, qui tous visent à identifier les personnes à risque de récidive, à permettre la « sortie de crise », en proposant une évaluation pluridisciplinaire du sujet, de sa famille et de son réseau socioprofessionnel, et à organiser rapidement après le geste la prise en charge en ambulatoire. Ces unités de sortie de crise suicidaire, lieux fonctionnant avec du personnel spécifiquement formé, cherchent à être aussi peu stigmatisantes que possible. L'utilité de ces structures est d'autant plus importante qu'il existe une grande fragilité de l'offre de soins psychiatriques en aval de l'urgence ; le secteur public de psychiatrie étant extrêmement sollicité pour des missions de plus en plus diversifiées. A la CMME de Sainte-Anne, l'unité de suicidologie dispose de dix lits ; elle accueille les patients adressés par un service d'urgence, où ils ont été admis après une tentative de suicide.
Ces structures constituent une des mesures indispensables à la prévention du suicide, mais non la seule, dans la mesure où cette prévention impose des interventions à de nombreux niveaux, professionnels et non professionnels, compte tenu de la multiplicité et de la complexité de ses causes (sanitaires, sociales…), et de la longueur de la trajectoire qui y mène.
D'après un entretien avec le Pr Frédéric Rouillon. CMME, hôpital Sainte-Anne, Paris.
* Conférence de consensus, ANAES, recommandations professionnelles de prise en charge hospitalière des tentatives de suicide de l'adolescent, Paris, 1998.
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