LA CHEVILLE, articulation essentielle du membre inférieur, transitionnelle entre le pied (segment d’adaptation au sol) et le reste du corps, est facilement traumatisée chez l’enfant. Cette fréquence traumatique accrue tient à la fois à une plus grande diffusion de la pratique sportive et, à l’inverse, à une modification de morphologie de plus en plus observée dans cette tranche d’âge, conséquence de l’obésité. Les lésions peuvent toucher les surfaces articulaires, les cartilages de croissance, mais aussi les ligaments, que l’on pensait autrefois épargnés chez l’enfant.
L’articulation talo-crurale (autrefois appelée tibio-tarsienne) met en présence l’astragale et la pince bi-malléolaire. Le système ligamentaire d’union de cet ensemble, à la fois tibio-fibulaire inférieur et talo-crural proprement dit, est robuste et fermement attaché au périoste. L’insertion de ce système sur les épiphyses elles-mêmes est solide, répercutant les lésions en direction du point structurellement le plus faible voisin, c’est-à-dire la plaque de croissance d’amont.
Les extrémités distales du squelette jambier participent pour 40 % à la taille définitive de ce segment squelettique. A la naissance, les épiphyses sont exclusivement cartilagineuses, puis apparaissent en leur sein, de façon différée, des noyaux d’ossification. Au niveau tibial, le premier noyau apparaît avant un an, suivi par des noyaux accessoires beaucoup plus tardifs (entre sept et onze ans) qui fusionneront par la suite avec le noyau initial principal. Au niveau fibulaire, un premier noyau apparaît avant trois ans et ultérieurement, comme du côté tibial, peuvent se faire jour des noyaux accessoires.
La plaque conjugale tibiale (bosse de Poland) a un aspect convexe vers le haut ; sa fermeture survient entre douze et quatorze ans chez la fille et quinze et dix-sept ans chez le garçon.
Physiopathologie.
En présence d’un accident traumatique de cheville chez un enfant en croissance, on est en droit de rechercher les raisons de cette topographie lésionnelle. Un enfant ou un adolescent se tord la cheville car son anatomie et son système adaptatif au mouvement posent problème.
Du point de vue anatomique, il existe des points de faiblesse à ce niveau (ligaments, freins passifs ou actifs loco-régionaux). S’y ajoutaient hyperlaxité ou rétraction, combinées ou non à des dysfonctions des chaînes musculo-tendineuses de proximité.
La morphologie peut également intervenir : l’endomorphe (bréviligne à centre de gravité bas) est moins exposé que l’ectomorphe (longiligne, volontiers dans l’axe). Le mésomorphe, entre les deux, est le plus apte à la pratique de tous les sports.
Du point de vue adaptatif, des défauts plus ou moins exprimés de coordination motrice peuvent être en cause.
Une épidémiologie mieux cernée.
Les traumatismes de la cheville sont la troisième lésion en fréquence au sein de la population pédiatrique (après le poignet et les phalanges digitales).
Ils représentent entre 5 et 10 % des traumatismes des membres.
La pratique du sport est le facteur causal dans 20 à 50 % des cas suivant l’âge : football, basket-ball, handball sont les plus gros pourvoyeurs.
Le vélo tout-terrain et les sports mécaniques de plus en plus en vogue (moto, quad) sont responsables des lésions fracturaires les plus sévères.
L’incidence des atteintes de la cheville est en augmentation constante avec l’introduction d’une pratique intensive de certains sports chez des enfants de plus en plus jeunes, ayant du mal à maîtriser toutes les précautions de prévention (adaptation du matériel, préparation préalable à l’effort…).
Quel que soit l’âge, il ne faut pas se focaliser exclusivement sur le traumatisme de cheville, mais déceler une pathologie sous-jacente plus globale. Chez le tout-petit qui commence tout juste à marcher et tombe fréquemment, l’examen clinique, très doux, dans les bras de sa maman doit être complet.
Il n’est pas exceptionnel que ce qui semblait un traumatisme banal de cette articulation soit en fait une infection ostéoarticulaire, une atteinte rhumatismale ou une hémophilie… Sur ce terrain, également, il conviendra d’éliminer un syndrome de maltraitance.
Quel que soit l’âge, il faudra se méfier du caractère non banal d’une fracture et repérer le terrain pathologique qui en a favorisé la survenue (pathologie neurologique ou neuromusculaire, pathologie fragilisante squelettique diffuse, pathologie tumorale, pathologie hématologique…).
Deux grands tableaux cliniques.
En présence d’une cheville douloureuse post-traumatique de l’enfant ou de l’adolescent, l’examen clinique commence toujours par un interrogatoire le plus précis possible sur les circonstances de l’accident. Dès l’examen clinique proprement dit, deux grands tableaux se présentent :
– la cheville, manifestement déformée, fracturaire jusqu’à preuve radiographique du contraire, dont il faut vérifier le statut vasculo-nerveux et cutané, et qu’il faut envoyer d’urgence en service d’imagerie après immobilisation provisoire antalgique dans une attelle ;
– la cheville oedématiée, dont il faut très prudemment, et de façon systématique, palper les reliefs osseux et les trajets ligamentaires.
Le bilan complémentaire.
Il commence toujours par un débrouillage radiographique standard ; il comporte des clichés de face, de profil et de trois quarts malléolaire, éventuellement comparatifs avec le côté sain, pour disposer d’une référence de maturation squelettique instantanée.
Il importe de signaler, à propos de la radiographie conventionnelle, que les lésions passant par le cartilage de croissance, comme la lésion dite de Salter I (décollement épiphysaire pur) non déplacée, sont difficiles à visualiser sur des clichés standards. La lésion de type Salter V est indétectable sur les clichés initiaux et n’est souvent diagnostiquée que rétrospectivement sur la constatation de troubles de croissance.
L’échographie peut, dans des mains techniquement bien entraînées, compléter la radio ; elle détecte des fractures occultes (radiographiquement non lisibles) et peut découvrir des lésions ligamentaires ou tendineuses. Elle peut également « corriger le tir », c’est-à-dire incriminer la médio-tarsienne ou la syndesmose tibio-fibulaire distale comme épicentre du traumatisme plutôt que la talo-crurale proprement dite.
Le scanner est surtout intéressant, dans les fractures de géométrie spatiale inhabituelle. En effet, l’hétérogénéité structurale des épiphyses dans ce groupe d’âge (noyaux d’ossification, os sous-chondral, cartilage de conjugaison…) propage les lignes de fractures dans une mosaïque directionnelle que seul le scanner (avec reconstruction tridimensionnelle) est en mesure de clarifier.
L’imagerie par résonance magnétique est utile à la visualisation des structures cartilagineuses. Elle permet, au stade aigu, la détection de lésions tant sur le cartilage de conjugaison que sur les ligaments. A un stade tardif, elle peut aider à objectiver les raisons d’un trouble de croissance. Sa limite tient au fait que chez les tout-petits enfants sa réalisation impose le recours à une sédation.
Des classifications débattues.
Les classifications des fractures de la cheville dans ce groupe d’âge, contrairement à celles utilisées chez l’adulte, sont loin d’être consensuelles. Chez l’enfant sont proposés au moins deux ordres de classification :
– une classification anatomique selon la topographie et le mode d’atteinte du cartilage de croissance, avec les cinq stades classiques de Salter ;
– une classification selon le déterminisme mécanique, beaucoup moins facile à déduire des caractéristiques fracturaires que chez l’adulte. Elle se fonde sur le positionnement supposé du pied lors du traumatisme déduit sur la base des caractéristiques radiographiques initiales (supination-inversion, pronation-éversion–rotation latérale...).
D’autres classifications tentent de combiner ces deux perspectives.
L’expérience clinique révèle en fait le caractère confus, peu pratique et difficile à mémoriser de telles classifications. En effet, la classification mécanique cherche à expliciter le déterminisme vulnérant afin de guider les manoeuvres de réduction. Cet argument ne tient guère car, pour un opérateur expérimenté, de telles manoeuvres sont naturelles et découlent du bon sens. Quant à la plupart des classifications alternatives, elles sont difficiles à mémoriser, compte tenu de leur complexité.
Il devient dès lors préférable d’utiliser une énumération sommaire des grandes catégories fracturaires, la mieux descriptive possible, distinguant :
– les fractures métaphysaires inférieures du tibia ;
– les fractures décollement-épiphysaires dites simples mono- ou biplanes du tibia (Salter I, II, III [ou fracture de Tillaux], IV [ou fracture de McFarland] ou V) ;
– les fractures décollement-épiphysaires dites complexes, triplanes, latérales ou médiales du tibia ;
– les fractures épiphysaires du tibia ;
– les fractures diaphysaires ou métaphysaires de l’extrémité distale de la fibula ;
– les fractures décollement-épiphysaires inférieures de la fibula ;
– les fractures totales ou parcellaires du talus.
En fait, tout ce débat sur les classifications a principalement pour objectif de cerner le mieux possible le risque évolutif à distance de ces fractures en identifiant, dans le profil fracturaire, les principaux paramètres de risques que sont : la traversée de la surface articulaire, le déplacement d’un segment articulaire, la traversée du cartilage de croissance.
Un arsenal thérapeutique adapté.
Le traitement des fractures de la cheville doit se faire au plus vite. Sans déplacement, ces fractures sont immobilisées et la déambulation se fait par la suite avec ou hors appui, selon l’appréciation des dégâts prévisibles sur la plaque de croissance.
En cas de déplacement, plusieurs méthodes sont utilisables suivant le contexte :
– la réduction sous anesthésie, suivie d’immobilisation plâtrée, bien ajustée (en plâtre classique) et très bien surveillée (risque de syndrome des loges) ;
– en cas de réduction impossible à obtenir ou instable, ou encore de principe, on peut avoir recours au traitement chirurgical.
Le traitement chirurgical consiste, par une voie d’abord la plus directe possible, et la moins agressive pour l’environnement périostique, surtout au niveau de la plaque de croissance (périchondre), à assurer une réduction anatomique millimétrique.
Dès qu’existe une fracture articulaire avec un écart interfragmentaire de 2 mm et/ou un décalage, fût-il peu important, du cartilage de croissance, la réduction chirurgicale s’impose.
La fixation obéit à des règles strictes : elle doit à tout prix éviter de traverser le cartilage de croissance, mais également la syndesmose.
La philosophie de ce traitement chirurgical est de restituer le plus parfaitement possible l’anatomie originelle de l’articulation et des zones de croissance, d’être le moins invasif possible et de respecter au maximum les potentialités de croissance locale.
De toute façon, en postopératoire, outre une période de décharge et une reprise de sport différée de trois à six mois, un suivi prolongé s’impose, après avoir prévenu les parents des risques tardifs de perturbation de croissance (inégalités de longueur des membres inférieurs, désaxation articulaire…).
D’après une conférence d’enseignement du Dr Jean Langlais (CHU de Besançon).
Les entorses
Les entorses semblent moins donner lieu à débat thérapeutique que les fractures. Elles n’en réclament pas moins beaucoup de rigueur dans leur prise en charge. Elles sont traitées par immobilisation plâtrée, environ trois semaines, parfois en décharge du membre inférieur.
Certains préconisent le réexamen clinique et radiographique, avec changement de plâtre, au terme d’un délai d’une huitaine de jours. L’interruption de sport à prévoir est de six à huit semaines. Mal traitées, les entorses peuvent conduire à une instabilité chronique susceptible, chez le sportif, de contraindre (après bilan articulaire par arthro-scanner articulaire...) à des procédés de reconstruction chirurgicale.
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