par les Dr Magali Bec-Roche et Pr Alexandre Fredenrich*
L'HYPERTRIGLYCÉRIDÉMIE est définie comme une augmentation du taux de triglycérides plasmatiques (TG), mesuré après douze heures de jeûne. D'après les critères du NCEP (National Cholesterol Education Program), le taux de triglycérides est normal lorsqu'il est inférieur à 1,5 g/l (1,7 mmol/l), à la limite supérieure entre 1,5 et 1,99 g/l, élevé entre 2 et 4,99 g/l et très élevé s'il est supérieur ou égal à 5 g/l.
L'hypertriglycéridémie primitive résulte d'anomalies génétiques mono- ou polygéniques réparties en plusieurs types selon la classification de Frederickson : les rares de type I (hyperchylomicronémie) ou V (hyperlipidémie mixte primaire) ; les anomalies de type IV (hypertriglycéridémie familiale) qui affectent 10 % de la population et sont fréquemment associées à un syndrome métabolique. Elles sont dites isolées (cholestérol total normal). Il existe par ailleurs des dyslipidémies mixtes (cholestérol total élevé) de type IIb, fréquentes, et de type III ou dysbêtalipoprotéinémie, très rares. Les hypertriglycéridémies de type IIb et IV représentent 85 % de l'ensemble des dyslipidémies aux États-Unis (5).
L'hypertriglycéridémie est dite secondaire lorsqu'une cause est identifiable : il s'agit le plus souvent d'une obésité – faisant partie d'un syndrome métabolique (1, 5). De nombreuses autres causes sont possibles (1, 6) : consommation d'alcool, diabète de type 2, stéatohépatite non alcoolique, insuffisance rénale chronique, syndrome néphrotique, hypothyroïdie, maladie de Cushing, grossesse…
Enfin, il convient de rappeler le rôle de certains médicaments : corticoïdes de synthèse et estrogènes surtout, bêtabloquants non cardiosélectifs, diurétiques thiazidiques, phénothiazines, voire résines chélatrices des acides biliaires, tamoxifène, dérivés de l'acide rétinoïque et, plus souvent aujourd'hui, certains antirétroviraux ou des antipsychotiques de seconde génération…
Dans la plupart des cas, il s'agit de patients génétiquement prédisposés chez lesquels des facteurs environnementaux viennent aggraver la situation.
Rechercher des dépôts lipidiques.
L'hypertriglycéridémie est souvent asymptomatique. Dans les formes sévères, une xanthomatose éruptive doit être systématiquement recherchée ; il s'agit de petites papules jaunâtres, localisées dans le dos, sur le torse, les genoux ou les extrémités (1, 5, 7).
En cas de dysbêtalipoprotéinémie de type III, on recherche des xanthomes palmaires (dépôts jaunes à l'intérieur des plis) qui sont pathognomoniques, ainsi que des xanthomes tubéreux (nodules luisants orangés, de plus de 3 cm, localisés au niveau des zones d'extension).
Une lipémie rétinienne (aspect laiteux des vaisseaux rétiniens et rétine de couleur rosée) est visible si le taux de triglycérides dépasse 35 g/l. Des douleurs abdominales, des nausées et des vomissements peuvent être annonciateurs d'une pancréatite.
Le risque de pancréatite aiguë.
L'hypertriglycéridémie sévère augmente le risque de pancréatite aiguë, surtout si le taux dépasse 10, voire 20 g/l (2, 5, 8). Il s'agit de la cause (environ 7 %) la plus fréquente après l'origine alcoolique ou lithiasique (2, 7, 8). Dans une étude comprenant 129 patients hypertriglycéridémiques sévères, 20 % ont eu au moins un accès de pancréatite aiguë. Dans 85 % des cas, leur taux de triglycérides était supérieur à 30 g/l (9). Chez la femme enceinte, l'hypertriglycéridémie est la cause de la pancréatite gestationnelle dans 56 % des cas.
Les mécanismes physiopathologiques exacts restent mal élucidés. Les chylomicrons, présents dans la circulation si l'hypertriglycéridémie dépasse 10 g/l, sont de grosses lipoprotéines pouvant perturber le flux capillaire.
Au niveau pancréatique, il en résulterait une ischémie responsable d'un dysfonctionnement des acini sécrétant la lipase ; cette dernière, déversée au contact des chylomicrons les dégrade libérant des acides gras libres non estérifiés pro-inflammatoires toxiques pour les cellules pancréatiques (2, 6, 7, 8). Cette cascade d'événements conduirait à un afflux de médiateurs pro-inflammatoires et à l'émission de radicaux libres entraînant ainsi une inflammation, un oedème, voire une nécrose de la glande pancréatique.
La présentation clinique de la pancréatite aiguë ne diffère pas de celle liée aux autres causes de pancréatites secondaires : douleurs abdominales intenses, permanentes, vomissements, parfois iléus paralytique. La pancréatite aiguë peut également être compliquée d'une détresse respiratoire, d'un choc hypovolémique, d'une défaillance viscérale. Biologiquement, la lipasémie (valeur seuil : trois fois la normale) a une valeur diagnostique supérieure à celle de l'amylasémie et son élévation est plus prolongée. L'hypertriglycéridémie peut alors être soit le facteur déclenchant de la pancréatite, soit un épiphénomène l'accompagnant. En effet, dans les premières heures d'une pancréatite aiguë, il n'est pas rare de trouver une triglycéridémie de 2 à 10 g/l sans pour autant que cette dernière en soit responsable (2). Au-delà de 10 g/l, l'hypertriglycéridémie peut être considérée comme le facteur étiologique déclenchant la poussée de pancréatite.
Le traitement de la crise.
La prise en charge de la pancréatite aiguë secondaire à une hypertriglycéridémie est similaire à la prise en charge classique de toute pancréatite : jeûne pendant au moins 48 h, réhydratation par voie veineuse, antalgiques, parfois morphiniques. Une prise en charge dans un service de soins intensifs peut être nécessaire. Des plasmaphérèses ont été indiquées chez certains patients présentant une hypertriglycéridémie majeure, permettant ainsi de diminuer de façon importante le taux de triglycérides sanguin (au minimum 50 %) (4, 11), les valeurs de lipasémie et d'amylasémie (4), et d'améliorer les signes cliniques de pancréatite, notamment les douleurs abdominales (11).
L'hypertriglycéridémie jouerait un rôle aggravant dans la pancréatite aiguë (6). Une étude menée en Chine chez des patients admis pour pancréatite aiguë sévère n'a pas retrouvé de différence significative entre ceux avec < 5 g/l de TG et ceux avec > 5 g/l, concernant le pourcentage de détresse respiratoire, d'hépatite aiguë ou d'encéphalopathie. Cependant dans le groupe > 5 g/l, un pourcentage plus important d'insuffisance rénale, de choc ou d'infection a été noté (12).
La prévention.
Pour tenter de normaliser le taux de TG, les mesures hygiénodiététiques s'imposent (1, 3, 5, 6, 8) : suppression de l'alcool, limitation des aliments à index glycémique élevé, des aliments industriels riches en fructose, réduction des fruits, augmentation de la consommation d'aliments riches en oméga 3, diminution des apports caloriques pour obtenir une réduction pondérale en cas de surpoids, activité physique régulière et arrêt du tabac.
Devant une hypertriglycéridémie sévère (> 20 g/l), un régime pauvre en graisses est de rigueur (moins de 15 % de l'apport calorique) (3). Chez les patients diabétiques, une intensification de leur traitement pour obtenir un équilibre glycémique optimal contribue à la diminution des TG. Toutes les causes favorisantes (dont certains médicaments) doivent être prises en compte.
Si la plupart des hypertriglycéridémies sont dépendantes de la diététique à 90 %, les mesures diététiques, bien qu'indispensables, sont rarement suffisantes en cas d'élévation majeure. Le traitement pharmacologique s'impose alors : en première intention, les fibrates, puis l'acide nicotinique, de préférence à libération prolongée. Des gélules d'acide oméga 3 (4 g/j) ou d'huile de poisson (de 2 à 4 g/j) peuvent également être prescrites en complément (1, 3, 5, 6, 8). Les statines, parfois utilisées, ne sont pas un traitement adapté des hypertriglycéridémies isolées.
Des traitements antioxydants (sélénium, bêta-carotène, vitamine C), par effet protecteur contre les radicaux libres formés au niveau pancréatique, ont montré quelques succès chez des patients présentant des accès itératifs de pancréatite aiguë sur hypertriglycéridémie (2). Dans les formes majeures avec accès répétés de pancréatite aiguë, d'échec des traitements pharmacologiques ou en cas de grossesse, des plasmaphérèses sont possibles (2, 4, 11).
* Service de diabétologie-endocrinologie, hôpital Pasteur, CHU de Nice (1) Yuan G et coll. CMAJ, 2007;176:113-20.
(2) Heaney AP et coll. J Clin Endocrinol Metab, 1999; 84 : 1203-05.
(3) Oh RC, Lanier JB. American Family Physician, 2007;75:1365-71.
(4) Kadikoylu G et coll. Transfusion and apheresis science, 2006;34:253-57.
(5) Pejic RN, Lee DT. J Am Board Fam Med, 2006;19:310-6. (6) Capell WH et coll. Nat Clin Pract Endocrinol Metab, 2005;1:53-8.
(7) Perez Martinez D et coll. International Archives of Medicine, 2008;1:6.
(8) Gan SI et coll. World J Gastroenterol, 2006;12:7197-7202 .
(9) Linares CL et coll. Pancreas, 2008; 37:13-2.
(10) Kadikoylu G et coll. Transfusion and apheresis science, 2006;34:253-57.
(11) Kyriakidis AV et coll. Digestion, 2006;73:259-64.
(12) Deng Li-Hui et coll. World J Gastroenterol, 2008;14:4558-4561.
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