LE PIC DE FRÉQUENCE des épigastralgies se situe entre 20 et 40 ans, avec un sex-ratio discrètement en faveur des hommes. La prévalence des causalités gastriques et oesophagiennes en Afrique est similaire à ce que l'on rencontre en Europe. Dans une étude à Libreville (Gabon), les épigastralgies associées au pyrosis représentent 16,4 % des indications d'endoscopie haute ; la prévalence des oesophagites par reflux est inférieure à 10 %. L'ulcère et le cancer de l'estomac ne sont pas plus fréquents qu'en Europe, mais sont souvent diagnostiqués après un vécu algique prolongé.
Prévalence élevée d'H. pylori.
La pathologie duodénale est en revanche beaucoup plus fréquente. L'ulcère duodénal est deux fois plus fréquent au Sénégal et au Maghreb qu'en Europe ; il est trois fois plus fréquent en Côte d'Ivoire. Ce qui est en rapport avec une prévalence élevée de l'infection par Helicobacter pylori (82 % des patients ayant une symptomatologie digestive haute motivant une endoscopie à Dakar), contre 25 à 50 % en Europe. La contamination a lieu dans l'enfance.
Les épigastralgies peuvent aussi être dues à des pathologies hépatiques en relation avec des parasitoses et des infections : l'hé- patomégalie pseudotumorale de l'hydatidose ; l'hématomégalie fébrile et douloureuse de l'amibiase ; la douleur excruriante et lancinante de l'hépatocarcinome primitif du foie, en relation avec le VHB.
Ce cancer atteint surtout l'adulte jeune ; 98 % des malades sont porteurs de marqueurs de l'infection par le VHB, qu'ils ont quasiment toujours contracté dans la prime enfance. Les dyskinésies digestives sont présentes aussi en Afrique (21 % dans une série à Libreville), avec, au premier rang, la colopathie fonctionnelle, même si une parasitose explique certains cas (larves d'anguillules, ankylostomes, ascaris et trichocéphalose).
Par ailleurs, dans les régions peu islamisées, la consommation d'alcool et de bière en particulier peut être importante et entraîner des gastrites et des poussées de pancréatite.
«Le syndrome de plainte digestive haute sur le continent noir intègre de manière constante et parfois exclusive des éléments psychosomatiques. De l'Afrique maghrébine aux confins de l'Afrique noire, avec des variantes ethno-culturelles multiples, la vie est régulée entre les mondes du visible et de l'invisible.»
Pour les individus, tout ce qui s'exprime dans le visible trouve sa causalité dans l'invisible. La maladie n'est pas un fait naturel, mais un dérèglement à réajuster : un problème de famille ou l'intrusion au sein de la communauté d'une force adverse inconnue.
Les religions monothéistes (islam, christianisme) tendent à servir de dénominateur commun entre les peuples africains, mais les croyances ancestrales et les racines ethno-culturelles sont prégnantes et immuables, quel que soit le niveau socioculturel de l'individu.
L'homme se compose de quatre entités.
En Afrique subsaharienne, l'homme se compose de quatre entités : un corps matériel, enveloppant une âme immortelle qui appréhende les réalités de l'invisible, un double protecteur ; après la mort, l'être humain devient dieu mâne entrant dans le monde des ancêtres.
Le double sert d'aliment aux « mangeurs d'âme » que sont les sorciers, que seuls les féticheurs peuvent contrecarrer. Les féticheurs sont, entre autres fonctions, guérisseurs, grâce à leurs connaissances réelles des plantes médicinales.
La maladie est provoquée par un fluide nocif propagé par les puissances malfaisantes et les ancêtres mécontents, pour punir ceux qui, par exemple, transgressent la tradition. La maladie digestive s'inscrit dans une logique globale du mal, où non seulement l'orage est atteint, mais l'individu et même le groupe (menace de la cohésion sociale).
Le malade, même s'il est pris en charge par un médecin pour une affection bien diagnostiquée, consulte un féticheur pour en connaître la cause profonde et mettre en place la lutte contre cette malédiction.
Dans les services des hôpitaux africains, à la médecine de jour succède la médecine de nuit, où les guérisseurs entrent en scène. Les rites thérapeutiques permettent une communication entre le monde du visible et de l'invisible.
Dans sa quête de solution à son mal, le patient africain peut assimiler le fibroscope à un serpent noir qui va l'aider, en faisant communiquer le monde du dehors avec celui du dedans. Les médecins doivent tenir compte de la signification de ces gestes et des représentations des malades, ce qui est de nature à les aider.
Communication du Pr Francis Klotz, directeur de l'hôpital principal de Dakar, à l'Académie de médecine.
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