L E patient, un homme de 40 ans, a été greffé en 1998. Son larynx et son pharynx avaient été sévèrement écrasés au cours d'un accident de moto lorsqu'il avait tout juste 20 ans. Depuis, il était aphone, ne parlant qu'à travers la voix métallique d'un appareil. Il avait aussi perdu tout sens de l'odorat et du goût. Son larynx était complètement sténosé, et il présentait un rétrécissement du pharynx ainsi qu'une fistule pharyngolaryngée. Mais, en dehors d'une légère hypertension et d'une dysphagie modérée, il était en parfaite santé.
L'équipe dirigée par le Dr Marshall Strome (Cleveland Clinic Foundation, Ohio), forte de dix ans d'expériences de greffe du larynx chez le rat et pouvant se vanter d'un taux de succès proche de 100 %, a proposé cette intervention pionnière au patient.
L'équipe s'est bien assurée que le patient comprenait les dangers de cette greffe : des risques de complications chirurgicales à court terme, les risques de l'immunosuppression et du rejet à long terme. Pour le seul bénéfice d'une meilleure qualité de vie.
Après plusieurs entretiens, le patient restait motivé et l'on décidait de pratiquer la greffe. En l'absence d'urgence, l'équipe a pu s'offrir le luxe d'attendre un donneur HLA identique - un avantage minimisant les chances de rejet et évitant le besoin d'une immunosuppression importante. Après six mois de recherche, le donneur a été trouvé : un homme de 40 ans décédé d'une rupture d'anévrisme cérébral.
Au cours d'une intervention chirurgicale délicate et complexe, dont on ignore la durée, le patient a reçu la greffe du larynx, du pharynx (75 %), d'une portion de la trachée, ainsi que les glandes thyroïde et parathyroïde.
Les suites ont été marquées par la survenue de trois épisodes de trachéo-bronchite infectieuse (4, 5 et 15 mois) et une pneumonie à P. carinii (4 mois) qui se sont rapidement résolus sous antibiotiques. Un épisode de rejet (à 15 mois) a tout de suite été détecté sur le changement de voix et très rapidement contrôlé.
Première parole laryngée depuis vingt ans
Dès le troisième jour après l'opération, le patient prononçait sa première parole laryngée depuis vingt ans : « hello ! ». Sa voix s'est ensuite progressivement améliorée, devenant presque normale à seize mois puis complètement normale à trois ans. Sans emploi avant la transplantation, il travaille maintenant comme conférencier. Il a aussi retrouvé l'odorat et le goût.
Pour l'avenir, l'équipe suggère qu'une greffe du larynx soit proposée aux patients aphones qui ont perdu le larynx par traumatisme, à ceux atteints d'une tumeur bénigne nécessitant une laryngectomie, ou aux patients laryngectomisés pour un cancer du larynx et en rémission depuis plus de cinq ans.
« Ces propositions sont raisonnables », note dans un éditorial le Dr Anthony Monaco (Harvard Medical School of Medicine, Boston), expert en transplantation expérimentale et clinique depuis plus de trente ans. Il propose toutefois d'accumuler plus d'expérience chez les patients qui ont subi une laryngectomie pour un traumatisme ou une tumeur bénigne, avant de considérer comme des candidats potentiels ceux atteints d'un cancer. La décision ultime appartient néanmoins au patient informé, ajoute-t-il. « Il y a sept ans, au plus fort d'une carrière avec des conférences aux quatre coins du monde, j'ai subi une laryngectomie totale pour un cancer, nous apprend-t-il. J'ai développé une très bonne voix œsophagienne qui m'a permis de reprendre ma pleine activité professionnelle. Néanmoins, avec mes propres observations d'immunosuppression plus efficace et moins toxique, si j'avais 40 ans je considérerais probablement de subir l'intervention moi-même. »
« New England Journal of Medicine » 31 mai 2001, pp. 1676 et 1712.
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