Le temps de la médecine
Il n'existe pas de mesure simple et unique de la douleur. Les douleurs aiguës (évoluant depuis moins de trois mois) sont plus rapides à analyser que les douleurs chroniques pour lesquelles le bilan nécessite du temps, du fait du nombre des données cliniques qu'il est essentiel de synthétiser. Comme dans la douleur aiguë, la prise en charge commence par la définition de la tonalité et de l'intensité de la douleur, mais se poursuit par l'évaluation du retentissement sur la vie quotidienne des patients et sur leur vie psychique.
L'intensité d'une douleur peut être mesurée et analysée de façon dynamique dans le temps. L'évaluation quantitative de la douleur par le malade lui-même, à l'aide d'outils standardisés, permet d'établir un contact confiant et de servir de base à l'analyse des progrès ou des régressions au cours du traitement.
La seule mesure chiffrée répétée des symptômes douloureux ne saurait résumer l'analyse de la plainte douloureuse. Cette autoévaluation quantitative doit, bien entendu, être complétée par l'analyse qualitative de la douleur, l'examen clinique et les examens complémentaires.
Seule la prise en compte de l'ensemble de ces données permet de faire un diagnostic et de proposer un traitement antalgique adapté.
Autoévaluation : du quantitatif au qualitatif
L'utilisation des schémas topographiques peut servir « d'entrée en matière » commode pour l'analyse clinique.
L'intensité de la douleur peut ensuite être évaluée par l'une ou l'autre des échelles suivantes : échelle visuelle analogique (EVA), échelle verbale simple, échelle numérique. Elles permettent une évaluation quantitative globale mais ne sont d'aucune aide pour distinguer un type de douleur d'un autre.
La valeur donnée par ces échelles unidimensionnelles, présentées sous la forme de réglettes, représente l'expérience douloureuse d'un sujet à un instant donné.
L'échelle visuelle analogique se présente sous la forme d'une ligne de 10 cm avec deux extrêmes opposés, absence de douleur et douleur maximale imaginable.
L'échelle numérique est une ligne horizontale de 10 cm, graduée (de 0 à 10 ou de 0 à 100), sur laquelle le patient note sa douleur.
Dans l'échelle verbale simple, la graduation numérique est remplacée par des qualificatifs allant de douleur absente (correspondant au 0 de l'échelle numérique) à douleur insupportable (correspondant au 10 de l'échelle numérique), en passant par douleur moyenne, forte, etc.
Ces outils procurent une mesure sensible, reproductible, comparative pour le même patient. Aucun lien ne doit être systématiquement établi entre le score indiqué par un sujet sur une échelle et le type de traitement nécessaire.
En pratique, le médecin choisit parmi les trois celle qu'il utilise le plus aisément.
Lorsque le patient chiffre sa douleur grâce à une des trois échelles, il doit préciser pour chaque mesure le moment évalué et les circonstances (instant présent, deux derniers jours, nuit, effort, avec ou sans antalgique, etc.).
Des mots pour le dire
Un questionnaire, dit QDSA (pour Questionnaire Douleur de Saint-Antoine, adaptation française du Mc Gill Pain Questionnaire de R. Melzack par F. Boureau et son équipe), comportant 61 qualificatifs, permet de préciser la sémiologie sensorielle et affective de la douleur et d'orienter le diagnostic du mécanisme en cause en précisant le vécu anxieux et dépressif de la douleur. Il facilite l'évaluation qualitative de la douleur, en particulier chronique.
Dans la douleur chronique (syndrome douloureux chronique ou douleur/maladie), l'appréciation du retentissement fonctionnel de ce symptôme est facilitée par l'utilisation d'échelles comportementales.
Certains patients ne peuvent utiliser ces outils d'autoévaluation (jeunes enfants, sujets ayant des troubles cognitifs ou des difficultés d'expression verbale). C'est pourquoi des échelles spécifiques ont été validées, faisant appel soit à une symbolique plus concrète, soit à des observations comportementales (douleur et déficience mentale, douleur chez le sujet âgé, douleur chez l'enfant).
Douleur chronique : trois objectifs
Le premier objectif face à un patient douloureux chronique est diagnostique :
- existe-t-il ou non une lésion anatomique capable d'entraîner des douleurs ?
Si cette douleur existe ou a existé :
- le traitement de cette lésion a-t-il été efficace ?
- quel est le retentissement physique, comportemental, psycho-social de la douleur ?
Le deuxième objectif est l'analyse des facteurs d'échec du traitement et des conséquences de la douleur :
- y a-t-il des facteurs d'autoentretien ou de réduction de la tolérance du patient d'ordre psychologique, social, familial, somatique, pour expliquer cette durée des douleurs ?
- quel impact la douleur a-t-elle sur la vie du patient et quel est son degré de handicap ?
- comment interprète-t-il la chronicité de ses douleurs ?
Le troisième objectif est thérapeutique :
- quelles sont les attentes précises du patient ?
La douleur aiguë est un symptôme à considérer en tant que signal d'alarme. Une douleur persistant au-delà de trois à six mois est dite douleur chronique. Il peut s'agir d'un syndrome lié à une pathologie évolutive, comme le cancer ou le sida, ou à une pathologie séquellaire, comme les lombalgies. L'amélioration de l'état général et la sédation de la douleur ne peuvent être que progressives sous l'effet conjoint des traitements à visée somatique et psychologique. Le patient doit être informé des objectifs et d'accord pour participer au projet thérapeutique.
La prise en charge de la douleur chronique repose sur le traitement médicamenteux des accès douloureux nociceptifs lorsqu'ils existent, la stabilisation ou la suppression de l'éventuelle composante neuropathique (antidépresseurs, antiépileptiques, neurostimulation transcutanée), la correction des perturbations cognitives et émotionnelles qui accompagnent toujours la douleur chronique (médicaments antidépresseurs et/ou anxiolytiques), le repérage et la modification des comportements délétères qui renforcent la douleur (techniques cognitivo-comportementales, rééducation, relaxation, biofeedback).
Dr C. M.
L'expression différente de la douleur chez le sujet âgé
L'âge ne modifie pas la perception de la douleur mais lui confère une expression différente. Sous-traitée parce que sous-estimée, et souvent déniée par les patients eux-mêmes, la douleur est pourtant source de limitation motrice, de troubles de l'équilibre donc de perte rapide d'autonomie, d'anorexie, de troubles du sommeil et de troubles dépressifs. A l'inverse, ce langage du corps peut être le seul vecteur de communication et être l'expression d'une dépression.
Chez les sujets communicants sans trouble cognitif, l'évaluation de la douleur obéit aux mêmes règles que chez le sujet plus jeune à condition de penser à la rechercher. Chez le sujet ayant des troubles cognitifs et/ou des difficultés de communication, des échelles spécifiques et validées (ECPA, Doloplus 2) sont utilisables en pratique quotidienne. Ces échelles d'hétéro-évaluation analysent le retentissement somatique (plaintes, positions antalgiques, mimiques, sommeil), psychomoteur, psycho-social (qualité de la communication, vie sociale...). Elles permettent d'évaluer l'efficacité d'un traitement dans le temps.
Dr C. M.
Pour en savoir plus : http://www. doloplus.fr.
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