Chronique électorale
Les instituts de sondage sont épouvantés : la multiplicité des candidats, la sincérité improbable des intentions de vote qui leur sont annoncées, les résultats contradictoires qu'ils obtiennent ne leur permettent d'annoncer la victoire de Jacques Chirac ou de Lionel Jospin au premier tour.
Il s'ensuit qu'ils peuvent encore moins prévoir qui l'emportera au second tour. Et cela leur paraît d'autant plus embarrassant que, depuis cette année, ils sont autorisés à publier leurs sondages jusqu'à la veille du scrutin.
Une équation insoluble
Pour l'opinion, l'incertitude est encore plus grande : c'est une équation insoluble parce qu'elle contient plusieurs inconnues. Celle du premier tour, celle du second et celle des législatives. Il est impossible d'exclure la formation d'un nouveau gouvernement de cohabitation après le second tour des législatives. Si Lionel Jospin est élu président, il aura beaucoup de mal, à cause de la campagne elle-même, au cours de laquelle se sont exprimées de très fortes contestations chez les Verts et chez les communistes, à cause du score probable (peut-être 10 %) que va faire Arlette Laguiller, à former un gouvernement sur la base de ses seules propositions.
Le Premier ministre en est tellement conscient qu'il a quelque peu « gauchisé » ces derniers jours, tandis que le président se rapprochait des idées libérales sur le plan économique et de droite sur celui de la sécurité. C'est pourquoi dire encore que Chirac et Jospin, c'est bonnet blanc et blanc bonnet est encore moins vrai aujourd'hui qu'hier : la droite et la gauche représentent toujours un choix de société assez clair. Ce choix n'est plus vraiment idéologique, il est socio-économique et il porte sur le meilleur chemin qui conduit à plus de prospérité, plus d'emplois et moins d'exclus.
En dépit du scrutin majoritaire, si le « troisième homme » est en définitive une femme, Arlette Laguiller, son score traduira-t-il un acte de protestation des électeurs sans lendemain ou se retrouvera-t-il aux législatives ? Dix pour cent, c'est le moyen d'envoyer des députés Lutte ouvrière à l'Assemblée, peut-être même un groupe parlementaire. Certes, les socialistes feront tout, par le biais de leurs alliances avec les communistes et avec les Verts, pour effacer ce scénario. Après tout, Jean-Marie Le Pen obtient plus de 10 % des intentions de vote et le Front national n'est pas représenté au Parlement.
En revanche, le dénigrement du « jospinisme » par Robert Hue et par Noël Mamère n'a de sens aujourd'hui que si, au moment de la formation du gouvernement de gauche issu des législatives, les communistes et les Verts maintiennent les exigences contenues dans leur programme et qui tendent à un bouleversement en profondeur des structures sociales : forte taxation du capital (qui fera fuir les investissements et une partie de la fortune française), augmentation importante des bas salaires, qui risque de détruire les PME-PMI, qui constituent le meilleur rempart contre le chômage, abandon du nucléaire pour satisfaire les Verts (le coût en serait énorme, sans compter la pollution créée par les centrales électriques à charbon ou à fuel) : un cauchemar pour M. Jospin.
Le cas de Chirac
Pour autant que Jacques Chirac serait réélu et que les législatives lui accordent une majorité parlementaire, il aurait beaucoup moins de mal à gouverner. Les deux principaux candidats ratissent au centre, quoi qu'ils disent, quoi qu'ils fassent. Un gouvernement de droite n'aurait aucune difficulté à coopter Alain Madelin ou François Bayrou. Les rivaux de droite de Chirac appartiennent à sa famille de pensée. M. Madelin, s'il ne peut pas appliquer tout son programme, se satisfera d'inspirer quelques réformes, par exemple celle de la fonction publique, en grand besoin d'être « refondée », comme on dit aujourd'hui. M. Chirac s'accommoderait aussi du souffle européen de M. Bayrou, lequel se contentera d'une progression dans la construction de l'Union, à défaut d'en faire immédiatement une fédération, avec un président et un gouvernement supranational.
Le problème avec la gauche, ce n'est pas du tout qu'elle risque d'être battue par la droite ; en tout cas, ce risque n'apparaît pas dans les sondages. Le problème est qu'il existe dans le pays une très forte contestation idéologique des idées et programmes du Parti socialiste et que la victoire de la gauche aux législatives risque d'être, en fait, celle de plusieurs gauches qui se sont suffisamment entre-dévorées pendant la campagne pour ne pas se trouver de dénominateur commun au moment de gouverner.
Instabilité
C'est, très précisément, le phénomène que traduit l'émiettement de l'électorat tel qu'il apparaît dans les intentions de vote rapportées par les sondages. La gauche dite plurielle souffre désormais de ce que les socialistes, les Verts et les communistes ont gouverné ensemble, avec le parti de Jean-Pierre Chevènement (MDC) : une autre cohabitation qui a souligné tout ce qui les sépare les uns des autres. Le Pôle républicain de M. Chevènement n'a plus rien à voir avec la famille de gauche, parce que, justement, le MDC refuse d'adhérer à un certain nombre d'idées dépassées. Mais au sein même de la famille, on ne compte plus que des frères ennemis.
On peut donc dire que, pour les trois mois à venir, la France va vivre dans un état de grande incertitude, pour ne pas dire d'instabilité politique. Pendant que les Français boudent la campagne, pendant qu'on se prépare à un taux d'abstentions très élevé, pendant que le Proche-Orient, et pas les élections, fait les manchettes de journaux, des mouvements relativement puissants sous-jacents sont en train de bouillir comme la lave du volcan.
Quand le système constitutionnel les aura, dans sa logique majoritaire, écartés du pouvoir, que feront-ils ? Les électeurs des trois mouvements trotskistes, les communistes qui méprisent leur propre candidat, les Verts intransigeants et déraisonnables, et même la gauche socialiste, que feront-ils, si on leur donne un gouvernement socialo-centriste avec une majorité parlementaire socialo-centriste ? Ils manifesteront leur hargne autrement.
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