UN MOIS ET DEMI après l'ouverture des états généraux de l'organisation de la santé (EGOS) par Roselyne Bachelot, « le Quotidien » lève un coin du voile sur cette concertation nationale inédite, à travers le regard des médecins libéraux impliqués dans la conduite des travaux. Si ce rendez-vous avait été imaginé au départ par le gouvernement en réponse au mouvement des internes pour sauvegarder leur liberté d'installation, sa vocation initiale s'est élargie à toutes les questions traitant de l'offre de soins de premiers recours (lire ci-dessous).
Premier constat : le groupe de concertation composé notamment de dix médecins (cinq représentants des syndicats de praticiens installés, cinq représentants des « juniors »), qui conduit toutes les auditions sous la houlette du Pr Yvon Berland (Observatoire national de la démographie) et d'Annie Podeur (DHOS), a parfois du mal à suivre la cadence. «Deux ou trois séances par semaine, c'est devenu infernal», tempête le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, qui dénonce la «réunionnite».
De fait, dans son souci de faire de ces EGOS «un lieu de convergence», le gouvernement n'a voulu oublier personne dans cette phase des auditions (maires, députés experts, usagers, fédérations hospitalières, responsables hospitaliers, doyens, généralistes enseignants, associations, confédérations de salariés, etc.) ; du coup, l'ampleur de la tâche se révèle au fur et à mesure. «Le sujet est énorme, beaucoup plus complexe qu'on pouvait le penser», admet Charline Tourel, vice-présidente de l'ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine). «On sème pas mal d'idées, un jour, il faudra récolter», ironise un autre médecin participant régulier. Chaque audition fait l'objet de «relevés de décisions». Mais, comme le confie un jeune leader syndical, les personnes auditionnées s'expriment «librement», racontent leurs expériences… Ce qui ne facilitera pas le travail de synthèse.
Point d'atterrissage inconnu.
Si la plupart des médecins du groupe permanent saluent la méthode, personne ne se hasarde sur «le point d'atterrissage». Une première synthèse est programmée le 8 février à Paris. Cette date ne marque de toute façon que la fin de la première phase des EGOS. Un deuxième groupe composé de professionnels de santé non médecins complétera la réflexion ; et les conclusions des EGOS ne seront pas connues avant avril 2008 .
Ce calendrier s'articule en effet avec celui de la mission Larcher sur l'hôpital (conclusions au printemps) et avec la réflexion parallèle sur les agences régionales de santé (ARS). Un « brainstorming » tous azimuts qui débouchera sur la loi de l'été 2008 sur la modernisation du système de santé.
En attendant, au sein du groupe de concertation, les avis sont partagés sur le contenu et la tournure des échanges. A l'évidence, les syndicats signataires de la convention (CSMF, SML) ne débordent pas d'enthousiasme pour ces EGOS, au sein desquels ils ne sont pas en première ligne. La CSMF minimise la portée des discussions. «On martèle des lieux communs, je ne vois émerger aucune idée neuve, tranche le Dr Chassang. Certains n'ont que quelques mots à la bouche: forfaitisation, maisons pluridisciplinaires.» Pour ce même responsable, l'opération des EGOS n'aurait que des fins politiques : «Agiter le landerneau avant les municipales en montrant qu'on se préoccupe de l'accès aux soins» et «ramener MG-France dans le giron de la convention.» Moins sévère, le Dr Dino Cabrera, chef de file du Syndicat des médecins libéraux (SML), affiche ses réserves. «Il est impossible de dire où on va, il y a pas mal de cacophonie.»
Les syndicats opposants se montrent plus ouverts, eux qui retrouvent une tribune politique à travers ces états généraux. «Cette instance boulimique donne une impression de désordre, concède le Dr Jean-Claude Régi(FMF). Mais on progresse sur le constat: la défaillance de l'enseignement de la médecine générale, le manque de “vrais” généralistes, l'exercice trop isolé, la nécessité de construire des pôles libéraux. Wait and see …»
Comme on pouvait s'y attendre, c'est surtout MG-France qui semble trouver dans les EGOS une caisse de résonance à son discours sur les soins de première ligne. Pour le Dr Marie-Laure Alby, trésorière du syndicat, «cette étape très intéressante permet de voir les partenaires motivés pour changer et ceux qui défendent le statu quo». Elle perçoit des avancées. «Nous avons gagné que des administrations, certains services de l'Etat, mais aussi des usagers, des maires valident le principe d'un médecin de premier recours. Les responsables de l'hôpital évoluent aussi, soucieux de trouver des médecins traitants partenaires.»
Les jeunes y croient.
Poudre aux yeux les EGOS ? Ce n'est pas l'avis des jeunes médecins qui occupent le terrain avec gourmandise. «On est en train de construire une culture commune entre jeunes médecins et installés, patients, mais aussi avec la CFDT, les administrations, ce qui permettra de dégager des mesures concrètes, veut croire Benoît Elleboode, président de l'ISNIH (internes). L'idée, c'est de proposer un pack de solutions.» Pour Charline Tourel (étudiants), un consensus émerge sur le fait que les contraintes «ne porteront pas seulement sur la jeune génération». Quant à Fabien Quedeville, président du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), il se réjouit du « fil rouge » qui structure les discussions. «On voit se dessiner l'idée que le généraliste doit être ce médecin de première ligne, ce qui suppose des moyens nouveaux.» Mais, précise-t-il, cet objectif devra trouver une «traduction concrète»: «Redéfinir les missions du généraliste, mettre en place la filière universitaire.»
Auditionné la semaine passée, le député UMP Yves Bur, adepte d'un discours de fermeté aux médecins (partagé par de nombreux élus locaux), a prévenu : le corps médical a intérêt à s'entendre sur des mesures opérationnelles, faute de quoi, le Parlement prendra ses responsabilités à l'été 2008 pour garantir partout l'accès aux soins. Chacun pense aux prérogatives des futures ARS. Selon un membre du groupe permanent, le message est clair : coiffant la médecine libérale, ces agences pourraient tenir demain tous les leviers de la régulation régionale à travers «le conventionnement, la maîtrise des dépassements d'honoraires ou l'interdiction d'installation en secteurII dans un territoire».
Des sujets à la pelle
Dans cette phase préparatoire, il est question de l'offre de soins médicale de premier recours. Le groupe de concertation conduit les échanges avec plusieurs objectifs : construire un diagnostic partagé ; dégager des mesures qui permettraient d'atteindre une égalité d'accès aux médecins et aux soins ; analyser les outils de régulation ; définir des outils de veille pour assurer le suivi des décisions. La «grille» d'entretien révèle l'ampleur du chantier. Parmi les thèmes balayés, on citera :
– la formation initiale, elle-même divisée en plusieurs items, ( numerus clausus, répartition régionale, examen classant national, contenu des études, filière universitaire de médecine générale, stages, évolution des carrières...) ;
– les mesures relatives à l'installation (aides existantes ; mise en place d'un guichet unique ; rôle des collectivités locales...) ;
– mesures désincitatives (modulation des cotisations sociales...) ;
– exercice médical (maisons de santé pluridisciplinaires, statut, mode de rémunération, délégations de tâches, informatisation des cabinets, rôle de coordination du généraliste...).
Une liste de sujets qui n'est ni obligatoire ni exhaustive.
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