Le temps de la médecine
A la sixième heure du jour, ton travail tu suspendras. En onzième position, cette phrase aurait très bien pu faire l'objet d'un commandement, pour le bien des hommes.
Adulée par les adeptes, la sieste (du latin sixta, qui signifie la sixième heure du jour) reste cependant injustement associée à la paresse. Une association indéfectible malgré moult études scientifiques et témoignages des plus grands. « Il est de fait qu'elle facilite grandement la vie de ceux qui la pratiquent régulièrement, soit qu'elle les repose, tout simplement, soit encore, je peux en témoigner, qu'elle leur octroie, pour travailler, les extraordinaires créneaux d'efficacité intellectuelle de la nuit » : le message vient de Jacques Chirac, écrit dans la préface du livre de Bruno Comby « l'Eloge de la sieste »*. Doit-on alors, pour vaincre sa détestable réputation, employer la manière forte et élever la sieste au rang de droit constitutionnel ? L'article 43 de la constitution de la République populaire de Chine établit que « les personnes travaillant en République populaire de Chine ont droit au repos. L'Etat développe les équipements pour le repos et la récupération des travailleurs ». Mais, peut-on souligner, les travailleurs chinois ne sont pas, comme en France, aux 35 heures.
Rénovation
Droit à la sieste, oui, obligation, non. D'autant que le pouvoir de faire la sieste n'est pas donné à tout le monde, précise le Dr Françoise Delormas, directrice de PROSOM, association spécialisée dans les questions liées au sommeil et qui regroupent scientifiques et formateurs**. Bien que ce temps de repos corresponde à une donne humaine universelle - les rythmes circadiens et ultradiens qui gouvernent la propension à l'activité sont moindres en début d'après-midi et début de soirée -, la sieste « n'a pas la place qu'elle devrait avoir, regrette le Dr Delormas. Les gens la considèrent comme une perte de temps ou sont trop stressés pour y goûter. » Un tort lorsqu'on sait qu'un petit somme, pris entre 13 et 15 heures, permet de se ressourcer et d' « avoir un rendement bien meilleur dans le temps qui suit et une meilleure capacité de récupération. C'est une rénovation », insiste Françoise Delormas.
Qu'elle soit longue ou brève (de quelques minutes à une heure trente au maximum), la sieste ne s'improvise pas et requiert une condition sine qua non : se détendre. Les vacances constituent une très bonne période d'entraînement. Voici quelques conseils pratiques. Il faut avant tout conditionner son esprit sur le temps que l'on souhaite s'accorder pour dormir. Pour la pause minute (de deux à trois minutes), il suffit d'être assis et de caler la tête dans un fauteuil ou bien de la laisser appuyée sur les avant-bras croisés sur un bureau. La petite sieste de vingt minutes, idéale pour récupérer, se fait, soit assis, soit allongé, dans un lieu légèrement sombre et plutôt silencieux. La grande sieste, à conseiller aux lève-tôt, ne devrait pas durer plus d'une heure trente, le temps d'un cycle de sommeil complet.
Mais la sieste peut aller bien au-delà de la simple récupération : elle est aussi source de spiritualité, comme le souligne Jacques Chirac dans le livre de Bruno Comby. « Le repos est une affaire sérieuse, dont la qualité conditionne notre existence, prévient-il. De nombreuses religions ont sacralisé le sommeil, dont Charles Péguy écrivait qu'il est "l'ami de Dieu (et) de l'homme" . Les anciens savaient que la clé des songes est aussi celle de l'équilibre et du bonheur, et recommandaient la pratique de la sieste. »
Dans toutes les grandes traditions spirituelles, la prière et la méditation s'accompagnent d'un état de recueillement et de disponibilité mentale, les yeux fermés. Il n'y a alors qu'un pas pour considérer que la sieste peut faciliter la prière et les états mystiques. En ralentissant le rythme des pensées, la sieste favoriserait l'accès au subconscient et donc à la créativité.
L'écrivain Philippe Delerme pourrait en témoigner, lui qui décrit la sieste comme un moment au cours duquel « on se sent léger, suspendu dans une lévitation protégée. Séparé du monde, on est mieux que bien : on n'est presque rien du tout », (« la Sieste assassinée », Philippe Delerme, Gallimard, coll. L'Arpenteur). Et même, si l'on en croit le pasteur Marc Pernot, de l'église réformée de Nancy, la sieste, assumée avec bonne conscience, nous ferait « prendre conscience que notre être a un sens profond. Nous n'existons pas seulement par ce que nous faisons ou par nos responsabilités, mais d'abord et avant tout par ce que nous sommes ».
Quant à ceux qui persistent à déconsidérer la sieste, nous leur suggérons d'accrocher, au-dessus de leur bureau, une copie, même modeste, de « la Méridienne » de Vincent Van Gogh : à regarder ce paysan et cette paysanne dormir côte-à-côte, sur une meule de foin, à une heure où le soleil est apparemment haut dans le ciel, on y succomberait sans mal.
* « L'Eloge de la sieste », de Bruno Comby, préfacé par Jacques Chirac, aux Editions FX de Guibert.
** Association PROSOM, CNE Rhône, hôpital de l'Hôtel-Dieu, 1, place de l'Hôpital, 69200 Lyon. Tél. :04.78.42.10.77. E-mail : prosom@wanadoo.fr.
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