Le Pr Didier Sicard vient de se voir confier par le chef de l’État une mission sur la fin de vie. Président d’honneur du Conseil consultatif national d’éthique et ancien chef de service de médecine interne à l’hôpital Cochin (AP-HP), il explique au « Quotidien » le rôle que pourraient tenir les médecins dans le débat. La mission rendra ses conclusions à l’Élysée à la fin de l’année.
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Vous dites que la question de la fin de vie n’appartient pas aux médecins. Pourtant ce sont eux qui recueillent les demandes d’euthanasie, affrontent la douleur des patients et de leurs proches...
Pr DIDIER SICARD - Dans mon expérience du débat public, j’ai été frappé de constater que la société avait le sentiment, à tort ou à raison, que le débat était confisqué par les médecins, que la médecine dépouillait les citoyens de leur liberté face à leur vie et leur mort. Certes, les médecins sont en première ligne : ils prennent en charge la maladie et la fin de vie, on leur délègue la responsabilité des choix. Ils n’ont pas attendu la mission pour s’exprimer, individuellement, ou à travers les sociétés savantes !
Mais je ne veux pas que cette mission soit une énième audition des experts : cela aboutirait à un état des lieux qui n’avancerait en rien la situation.
Ce qui manque, c’est l’expression des inquiétudes et avis des citoyens sur la fin de vie. La mission tentera de leur redonner la parole, car ils ont l’impression de n’être plus maîtres de leur destin. Il faut essayer d’apporter du nouveau matériau de pensée pour qu’ils ne tombent pas dans le piège de raisonnements binaires : la vie à tout prix ou l’euthanasie comme marque du progrès.
Les médecins, comme les représentants des associations ou églises, répondront aux questions des citoyens dans le cadre d’un échange, plutôt que de s’exprimer dans la revendication. La mission, composée de deux médecins, le Pr Régis Aubry et Jean-Claude Ameisen, deux cadres infirmiers, une psychologue et un philosophe, sera responsable de la tenue de ces débats.
5 ou 6 débats
La mission apportera-t-elle tout de même des réponses aux médecins ?
Oui, mais elle montrera aussi que le jugement des médecins n’est qu’un jugement parmi d’autres, même s’il est essentiel. Comme dans l’esprit de la loi Kouchner, il faut rééquilibrer le respect qu’on doit aux personnes. Il est toujours tentant pour la médecine de s’approprier tous les pouvoirs ! Dans cette perspective, nous devrions organiser les 5 ou 6 débats que nous comptons mener en région et à Paris dans des universités de sciences humaines, non dans des facultés de médecine ou de droit.
Pourquoi ne pas organiser, comme le réclame l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), un référendum, ou comme le souhaite le conseil consultatif national d’éthique (CCNE) des états généraux ?
Le référendum est la revendication de l’ADMD. Je n’ai pas à me prononcer, ni à vouloir écarter l’ADMD de son vœu. Quant au CCNE, François Hollande et moi-même sommes très conscients de son importance. Le président a installé une mission pour qu’elle démarre rapidement, mais le Pr Alain Grimfeld, à la tête du CCNE, a tout à fait vocation à lancer des états généraux. Ce conseil peut avoir sa propre réflexion, ce ne sera pas redondant avec notre travail.
Entre ignorance et agressivité
Sur le fond, faut-il aller plus loin que la loi Leonetti de 2005 ?
C’est une loi remarquable. Si on l’avait eue en 2000, le CCNE, que je présidais, n’aurait pas eu besoin d’émettre un avis en faveur d’« une exception d’euthanasie » : c’était une pré-loi Leonetti, qui partait du constat que l’acharnement thérapeutique était quelque fois maléfique.
Cette loi a été extraordinairement reçue en Europe, alors que les positions belges, hollandaises, luxembourgeoises sont restées enfermées dans leur pays.
Mais comme toute loi, elle ne couvre pas l’ensemble des cas. Et son problème majeur est qu’elle est très mal connue du public et des médecins, qui la regardent d’un œil parfois sommaire et la résume à quelques mots d’ordre, en faisant preuve d’un étrange mélange d’ignorance et d’agressivité.
Pour le reste, je ne peux préjuger de ce que conclura la mission : dans mon expérience de médecin, mes convictions de départs ont souvent été bouleversées à l’arrivée. Et dans ce cas, ce ne sont pas mes convictions qui vont écrire le débat.
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