LE QUOTIDIEN : Quelles avancées a apportée la loi Leonetti dans les services de néonatalogie ?
Pr LAPILLONNE : Cela a donné un cadre législatif sur lequel on peut s’adosser, alors que nous avions des pratiques variables selon les services mais surtout non encadrées par la loi. Le néonatologiste, confronté plusieurs fois par mois à la fin de vie, était dans une situation très inconfortable et était amené à prendre seul des décisions très lourdes. Quand j’ai commencé ma carrière, mon chef de service, catholique pratiquant, me fit part de ses problèmes de conscience : « je prends cette décision d’arrêt de réanimation au risque d’aller en enfer, mais c’est pour le bien de l’enfant et de sa famille ». L’un des progrès majeurs de la Loi Leonetti fut aussi d’instaurer le caractère multidisciplinaire et collégial des décisions de soins palliatifs.
La néonatalogie a une particularité par rapport à la médecine d’adulte car on est obligé de faire un « pari sur l’avenir ». En fonction des lésions observées, on décide de ne pas poursuivre la réanimation et les soins thérapeutiques et de proposer des soins palliatifs si le risque élevé de séquelles potentiellement très lourdes est élévé mais nous n’en sommes pas toujours certains à 100%.
Chez un patient adulte, présentant un cancer en stade terminal, l’issue est connue même si on ne sait pas quand le décès surviendra. Les soins palliatifs dans ce cas sont proposés pour aider le patient en fin de vie. En néonatologie, l’approche des soins palliatifs (qui au-delà de l’AHA englobe la limitation des thérapeutiques) est différente : ils peuvent parfois précipiter le décès mais ils ne sont pas synonymes de fin de vie. Ce n’est pas un décret de mort sur le nouveau-né. Certains peuvent vivre très longtemps et dans ces cas, la situation ressemble davantage à celle des patients plongés dans le coma ou totalement paralysés dans un stable qui peut se prolonger.
Justement, l’étude du centre d’éthique de Cochin met en lumière la souffrance qui découle de cette attente…
Cette dimension temporelle est quelque chose de nouveau en néonatologie. Quand la limitation des soins était plus active, l’arrêt des thérapeutiques conduisait au décès assez rapidement. Aujourd’hui, lorsqu’on propose des soins palliatifs, l’enfant peut vivre aussi longtemps que son organisme le permet et cela peut durer plusieurs semaines ou mois. L’arrêt de l’hydratation, dans ce contexte ajoute un décharnement physique difficilement supportable par les parents et les soignants.
Les problèmes éthiques et philosophiques se posent notamment lorsque l’alimentation artificielle est la seule thérapeutique qui maintienne en vie le nouveau-né. Certains nourrissons ont la capacité de téter mais n’y arrivent pas car ils ont un problème cérébral majeur. Dans ce cas, l’absence d’hydratation et d’alimentation par voie orale peut être considérée comme une conséquence directe des lésions cérébrales. Pour les grands prématurés (d’âge gestationnel inférieur à 28 semaines) avec lésions cérébrales, c’est se mentir que de penser qu’ils vont téter car cette capacité ne se développe que vers 34 semaines. Dans l’acte d’AHA chez ces enfants il y a acceptation de la mort inéluctable.
Faudrait-il selon vous inscrire une exception d’euthanasie dans la loi ou au moins la sédation profonde et terminale ?
Je ne suis pas favorable à l’exception d’euthanasie pour le nourrisson. C’est une personne comme une autre qui doit entrer dans la législation générale.
Dans le cadre de la loi Léonetti, on pratique une sédation pour le confort de l’enfant, sédation qui peut être progressivement augmentée. Toutefois, quand certaines situations se prolongent, l’autorisation de pratiquer une sédation terminale pourrait être d’un grand recours. Peut-être que la loi sur la fin de vie pourrait inclure une telle pratique.
Quoi qu’il en soit, Il est nécessaire de continuer de travailler sur des modalités plus raisonnables et humaines de la fin de vie des nouveau-nés, sans qu’elles soient forcément intégrées dans la loi. Les sociétés savantes, dont la société française de néonatologie, doivent faire des recommandations pour déterminer la mise en pratique du cadre législatif dans les situations particulières.
Quelles pourraient être des modalités plus humaines ?
Si je prends l’exemple de l’hôpital Necker, Il existe une unité mobile de soins palliatifs qui a pour rôle d’interagir avec les équipes soignantes et qui s’implique parfois de façon très importante. Toutefois les soins palliatifs se font toujours dans les unités de soins thérapeutiques, ce qui n’est pas toujours adéquat quand la fin de vie des enfants se prolonge. Je souhaite qu’une réflexion sur la création d’unités de soins palliatifs pédiatriques ou de lits dédiés et sur la formation du personnel médical et paramédical soit envisagée rapidement afin de palier certaines difficultés rencontrées lors de la mise en place d’un projet palliatif.
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