EN D'AUTRES TERMES, non seulement la démocratie russe est complètement manipulée, mais les manipulateurs ne cachent ni ce qu'ils sont ni ce qu'ils font ; on savait que M. Poutine recherchait le moyen de rester au pouvoir sans trahir la Constitution russe qui n'accorde que deux mandats présidentiels consécutifs à la même personne ; l'hypothèse de sa nomination comme chef du gouvernement avait même été évoquée.
Il n'y a donc aucune surprise, sinon dans la méthode : M. Poutine était sûr de gagner les élections législatives, d'autant qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour étouffer les voix de l'opposition. Le plus triste, peut-être, c'est que le président russe est assez populaire pour n'avoir pas besoin d'un plébiscite. Il aurait certainement obtenu la majorité s'il avait respecté les autres partis. S'il affiche son cynisme, c'est parce qu'il se moque des voix étrangères qui ne s'expriment pas en Russie. Fort du résultat des législatives, le voilà qui nomme son candidat à la présidence : Dimitri Medvedev. Lequel s'empresse de dire qu'il nommera Poutine Premier ministre.
Le nom de Poutine, meilleur argument de vente.
Le président actuel aurait pu attendre quelques semaines pour présenter son candidat. Lequel aurait pu ne rien dire jusqu'après sa victoire à l'élection présidentielle. Ce qui aurait eu pour avantage de masquer quelque peu la manipulation. Mais il y a une raison aux deux annonces prématurées : Poutine est convaincu – et sans doute a-t-il raison – que si l'électorat ne sait pas qu'il a l'onction du président, Dimitri Medvedev obtiendra moins de voix ; de même, si l'électorat n'apprend pas maintenant que, de toute façon, toute l'affaire n'est qu'une comédie qui permet à Poutine de rester au pouvoir dans une autre fonction, le nombre de votes pour Medvedev risque d'être insuffisant.
LA MANIPULATION FAIT MOINS SCANDALE QUE SON USAGE COMME ARGUMENT ELECTORAL
La manipulation des institutions est donc décrite dans le détail parce que la manipulation est l'argument électoral numéro un de Vladimir Poutine : c'est dire à quel état intellectuel le peuple russe a été réduit par la manne pétrolière et gazière.
Il est vrai cependant que Poutine s'est imposé aux Russes comme l'homme providentiel et surtout indiscutable, celui par lequel tout bon Russe doit jurer. Il vient, en quelque sorte, de faire un cadeau aux électeurs : «Je ne trahis pas la Constitution, semble-t-il dire, donc personne ne pourra dire que je ne respecte pas la démocratie; mais je ne vous abandonnerai pas pour autant; Medvedev n'est qu'un pion tout entier à moi dévoué; et inutile de vous dire que, comme par enchantement, le poste de Premier ministre va devenir plus important que celui de président. Il suffit juste d'inverser les rôles. Voter pour Medvedev, c'est voter pour moi.»
A défaut de s'indigner, on peut toujours saluer l'artiste, lequel, après tout, tire le meilleur profit de sa popularité personnelle. Il se défendra de diriger la Russie comme un tzar ou un dictateur communiste. Il a réinventé l'autoritarisme vénéré, celui qui a si bien réussi à Hugo Chavez au Venezuela jusqu'au moment où il s'est pris pour Poutine et a présenté aux Vénézuéliens son propre projet de manipulation des institutions.
Tentation fasciste.
En Russie, l'élection présidentielle aura lieu en mars 2008 : d'ici là, les Russes vont-ils se réveiller ? Il faut bien dire que l'opposition démocratique est infime par le nombre, qu'elle n'est pas structurée et que, si le monde entier connaît Gary Kasparov, s'il représente, même en Russie, une voix courageuse et puissante, il réunit encore moins d'électeurs que les autres partis de l'opposition, qui proposent une gestion libérale de l'économie dans un pays très éprouvé par les vicissitudes de l'après-communisme et par le chaos eltsinien. Un pays qui envoie encore des députés communistes à la Douma tant les nostalgiques sont nombreux, et qui résiste fort mal à la tentation fasciste. En flattant le nationalisme des Russes, Vladimir Poutine a affaibli cette tentation, non sans que son mouvement n'ait été contaminé dans l'affaire, si l'on en juge par ces jeunes groupés en bataillons poutiniens de défense de la patrie.
Bref, on en serait presque à croire que Poutine est un moindre mal : il n'existe décidément aucune affinité entre les Russes et la démocratie, et nulle part bulletin de vote libre n'aura été si mal utilisé. Mais il faut moins en vouloir à la population qu'à des dirigeants qui, loin de faire de la pédagogie démocratique, tirent un avantage des angoisses légitimes des Russes.
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