ON SAIT DEPUIS une quinzaine d'années que les IEC, d'une part, et les ARA II, d'autre part, sont capables de réduire la protéinurie, le principal facteur de progression des maladies rénales. Par la suite, différents travaux, conduits dans pratiquement toutes les formes cliniques de maladies rénales progressives, ont confirmé que les IEC et les ARA II sont capables de ralentir la vitesse de progression de la maladie et de réduire de 30 à 40 % le risque de survenue de l'insuffisance rénale terminale (mise en dialyse). Toutefois, les essais contrôlées contre placebo qui ont permis d'établir ces données ont également montré qu'une fraction des patients ne répondaient pas, ou insuffisamment, au traitement (persistance de la protéinurie et progression de la maladie). «S'est alors posée la question de savoir si les médicaments IEC ou ARAII en monothérapie utilisés aux doses recommandées pour le traitement de l'HTA bloquent suffisamment le système rénine angiotensine (SRA) et si d'autres approches peuvent être envisagées», a expliqué le Pr Thierry Hannedouche.
La première approche consisterait à augmenter les doses de l'IEC ou de l'ARA II en monothérapie pour majorer l'effet sur la protection rénale, en supposant que la dose antihypertensive n'est pas suffisante. Quelques essais ont été conduits dans ce sens avec les ARA II, sur des populations restreintes et des durées courtes ; la multiplication des posologies habituelles par 2, 4 ou même 8 permet de diminuer la protéinurie avec une bonne tolérance ; mais on ne dispose pas actuellement de données sur la vitesse de progression.
L'association IEC-ARA II.
La deuxième approche consisterait à associer un IEC et un ARA II pour obtenir un blocage plus complet et plus durable du SRA. «En effet, l'utilisation des IEC dans l'HTA et les maladies cardio-vasculaires nous a appris qu'il existe un phénomène d'échappement progressif du blocage de l'angiotensineI de 6 à 12heures après la prise du médicament», a expliqué le Pr Hannedouche. Le blocage du SRA est responsable d'une augmentation réactionnelle de la rénine circulante, qui, lorsque la concentration plasmatique du médicament baisse, est à l'origine du phénomène d'échappement avec une réascension des concentrations circulantes d'angiotensine II. Or différents travaux ont montré que ce phénomène d'échappement, décrit initialement avec une prise unique d'IEC, persiste lors des prises répétées et sur des durées longues de traitement.
«La situation avec les ARA II est un peu différente», a observé le Pr Hannedouche. Les ARA II bloquent le récepteur AT1 de l'angiotensine II, mais pas ses autres récepteurs ; il s'ensuit une augmentation réactionnelle de rénine circulante et une élévation de la concentration plasmatique d'angiotensine II.
«On peut donc supposer que la combinaison d'un IEC et d'un ARAII, permettant un blocage plus complet et plus durable du SRA, offre une meilleure protection rénale: la production d'angiotensineII sous ARAII est atténuée par l'IEC et l'ARAII bloque l'angiotensineII générée par l'échappement à l'IEC. Ce rationnel, bien établi dans le domaine cardio-vasculaire et de l'HTA, a été confirmé en clinique sur la réduction de la protéinurie», a estimé le Pr Hannedouche.
Plusieurs études portant sur des cohortes assez modestes et des durées n'excèdant pas un an ont ainsi montré que la combinaison IEC + ARA II aux doses maximales autorisées permet de réduire la protéinurie davantage qu'une monothérapie par IEC ou par ARA II. Le bénéfice obtenu est une baisse supplémentaire de la protéinurie de 30 à 40 %.
Une troisième approche pourrait consister à fragmenter les doses d'IEC pour éviter le phénomène d'échappement. Cette possibilité, bien que séduisante, n'a pas fait l'objet de suffisamment de travaux pour être actuellement recommandée.
Enfin, les inhibiteurs de la rénine constituent une nouvelle approche, mais ces produits n'ont pas été suffisamment testés dans cette indication.
En pratique, la Haute Autorité de santé (HAS) a émis en 2004 des recommandations proposant : d'utiliser des IEC à dose maximale autorisée dans toutes les néphropathies protéinuriques (excepté le diabète de type 2) et en cas de persistance de la protéinurie (> 0,5 g-24 h) d'ajouter un ARA II ; et dans le diabète de type 2 de commencer par un ARA II en monothérapie, puis d'ajouter si besoin un IEC en cas d'insuffisance de résultat. «Il faut cependant rappeler qu'un facteur important de résistance à l'effet antiprotéinurique des IEC est l'excès d'apport en sel. Pour ces patients tout particulièrement, mais aussi pour l'ensemble de la population, les apports journaliers en sel ne devraient pas dépasser de 6 à 8g », a souligné le Pr Hannedouche.
Pour émettre ces recommandations, la HAS s'est fondée, d'une part, sur une métaanalyse ancienne (2001) montrant le bénéfice d'une combinaison IEC + ARA II sur la réduction de la protéinurie et, d'autre part, sur une étude japonaise (étude COOPERATE, Nakao, 2002) portant sur plus de 350 malades et comparant les trois stratégies (IEC vs ARA II vs leur combinaison) non seulement sur la réduction de la protéinurie, mais aussi sur le ralentissement de la progression de l'insuffisance rénale. Ce travail a montré que la combinaison IEC-ARA II réduit deux fois plus la protéinurie et l'incidence du passage en dialyse que l'une ou l'autre des monothérapies.
Une remise en question.
Toutefois, depuis sa publication, certaines critiques ont été formulées à propos de ce travail japonais, notamment par Regina Kunz qui en a réexaminé les données à l'occasion d'une métaanalyse et a trouvé que les intervalles de confiance de l'étude de Nakao étaient érronés. La mise en cause par Regina Kunz et la difficulté rencontrée à obtenir de l'auteur les données individuelles de son essai monocentrique font émettre des doutes sur la validité de ces résultats qui étaient une des pièces maîtresses des recommandations de 2004. Cependant, l'ensemble des métaanalyses réalisées dans ce domaine (dont deux récentes excluant l'étude COOPERATE) ont conclu en faveur du bénéfice de l'association sur la protéinurie. «Il est possible que nous soyons appelés à revoir les recommandations de 2004 dans un sens plus restrictif, a noté le Pr Hannedouche qui a participé à celles de 2004 . Cependant, l'association IEC-ARAII sera probablement revalidée, au moins chez les patients à haut risque de progression. Pour l'heure, aucune révision n'est à l'ordre du jour.» De nouveaux essais prenant comme critère l'incidence de l'insuffisance rénale terminale sont donc nécessaires.
* D'après un entretien avec le Pr Thierry Hannedouche, service de néphrologie et hémodialyse, hôpital civil de Strasbourg.
Références : Métaanalyse Regina Kunz, Annals of International Medicine 2008, vol. 148, p. 30.
Métaanalyse Fausta Catapano, American Journal of Kidney Disease 2088 vol. 52, p. 475.
Nakao Lancet 2002 HAS : www.has-sante.fr « Moyens thérapeutiques pour ralentir la progression de l'insuffisance rénale chronique chez l'adulte, recommandations traitement de l'IRC », septembre 2004.
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