L'homocystéine est un acide aminé soufré dérivé de la méthionine alimentaire. Son métabolisme cellulaire implique deux axes, celui de la transsulfuration et celui de la reméthylation (1, 2). Un fonctionnement correct de ces deux voies nécessite une intervention harmonieuse à différents niveaux de plusieurs enzymes, ainsi que la présence en quantité suffisante de cofacteurs dont l'acide folique (vitamine B9), la vitamine B6 et la vitamine B12. Un blocage de ces voies, soit par dysfonctionnement enzymatique, soit par carence vitaminique, amène secondairement une hyperhomocystéinémie, définie par un taux d'homocystéine plasmatique > 15 μmol/l.
Les dysfonctionnements enzymatiques responsables d'une telle hyperhomocystéinémie sont d'origine génétique. Ils font suite à une mutation d'un gêne codant l'un des enzymes intervenant dans le cycle. Dans les formes modérées, c'est essentiellement (mais non exclusivement) la mutation C677T du gêne de la 5,10-MTHFR (méthyl-tétrahydrofolate réductase) qui est concernée. Elle aboutit à la production d'une enzyme thermolabile dont l'efficacité est réduite de 30 à 50 % chez les porteurs homozygotes (1, 2). Nous avons personnellement identifié l'homozygotie et l'hétérozygotie C677T dans un groupe de 45 diabétiques de type 2 avec hyperhomocystéinémie modérée, chez 22 et 33 % des sujets étudiés. Les taux d'homocystéine étaient, de fait, significativement plus élevés en cas d'homozygotie que chez les individus indemnes de la mutation ou les hétérozygotes (3).
L'autre étiologie clé de l'hyperhomocystéinémie est une carence nutritionnelle dans les cofacteurs intervenant dans le cycle métabolique (transsulfuration et reméthylation), c'est-à-dire, par ordre d'importance, l'acide folique et les vitamines B6 et/ou B12 (1, 2).
En pratique, l'hyperhomocystéinémie est le plus souvent liée à une interaction « génétique-nutrition » comme l'ont suggéré plusieurs auteurs (4).
Un excès d'homocystéine peut être retrouvé dans plusieurs pathologies endocriniennes. En cas de diabète de type 2, nous l'avons observé chez 31 % d'une cohorte de 122 sujets (5).
Un risque vasculaire augmenté.
Il existe une association privilégiée entre l'hyperhomocystéinémie et les pathologies cardio-vasculaires. Cette assertion s'appuie, depuis le travail princeps de Mc Cully en 1969, sur un ensemble de résultats (chez les sujets diabétiques et non diabétiques), entre autres ceux cités dans une métaanalyse récente (6). Il en ressort que le risque de pathologie coronaire et cérébrale est multiplié par un facteur de l'ordre de 1,7 en présence d'une hyperhomocystéinémie modérée. Dans ces mêmes conditions, le risque de pathologie artéritique est environ sept fois supérieur. Plusieurs autres études confirment et illustrent cette observation. Celle de Clarke et coll. montre que de 30 à 40 % des sujets (en fonction des territoires vasculaires atteints) souffrant d'athéromatose précoce ont un taux d'homocystéine élevé qui n'est pas observé dans un groupe contrôle (7). Dans la Physician Health Study, la probabilité d'infarctus myocardique est trois fois supérieure en présence d'une hyperhomocystéinémie modérée (8). Taylor et coll. démontrent également que le risque de décès d'origine cardiaque est étroitement corrélé au taux d'homocystéine (9). Plus récemment, il a aussi été montré de manière prospective que l'hyperhomocystéinémie était un facteur prédictif indépendant de décompensation cardiaque (10). Enfin, on a également constaté qu'il existait une corrélation entre le degré de sévérité d'une sténose carotidienne et l'homocystéinémie, et ce après élimination des facteurs confondants (11).
Chez le sujet diabétique, un ensemble de données met en relief l'association, comme chez l'individu non diabétique, d'un excès d'homocystéine et d'une athéromatose. C'est ainsi que chez 85 diabétiques de type 2, les fréquences de macro-angiopathie étaient respectivement de 55 et 19 % chez les sujets avec hyper- et normohomocystéinémie (12). Personnellement, nous avons également identifié une macro-angiopathie (à expression cérébrale, coronaire et/ou localisée aux membres inférieurs) chez 70 % de diabétiques de type 2 dont l'homocystéine était supérieure à 15 μmol/l et chez seulement 42 % de ceux avec une homocystéine normale. L'hyperhomocystéinémie était aussi identifiée dans cette dernière étude comme un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant (5).
Le travail de Soinio en Finlande montre que le pronostic cardio-vasculaire est très réservé chez les diabétiques de type 2 dès lors que leurs taux d'homocystéine est supérieur à 15 μmol/l, au cours d'un suivi de sept ans (13). Ce que confirment Becker et coll. en Hollande (14). L'hyperhomocystéinémie a aussi été associée (directement ou indirectement) à un risque accru d'accident vasculaire cérébral (15).
La baisse de l'homocystéinémie.
Il existe donc une palette d'arguments qui suggère que l'hyperhomocystéinémie est associée, chez le sujet non diabétique et diabétique, à une pathologie athéromateuse et qu'elle en est un facteur de risque indépendant. L'interprétation de ces données doit cependant être prudente. Certaines études ne retrouvent, en effet, pas cette relation privilégiée, en particulier chez le sujet non diabétique (14) et suggèrent que l'hyperhomocystéinémie pourrait n'être qu'un indicateur de macro-angiopathie et/ou une conséquence de l'athéromatose, et non un facteur étiologique princeps.
L'hypothèse d'un rôle toxique de l'hyperhomocystéinémie est cependant confortée par les études interventionnelles. En pratique, l'administration d'acide folique (isolément ou en association avec les vitamines B6 et/ou B12) diminue significativement le taux d'homocystéine. C'est ce que nous avons démontré dans un groupe de diabétiques de type 2 (de 21,6 à 14,3 μmol/l) (2).
L'étude de Schnyder et coll. montre, dans une cohorte de 261 sujets ayant bénéficié d'une angioplastie coronaire, qu'une telle supplémentation orale en folates pendant six mois diminuait les taux d'homocystéine par rapport au placebo, et surtout la survenue de resténoses vasculaires (20 vs 38%), quelles que soient la localisation de la lésion inaugurale et la procédure thérapeutique appliquée en première intention (15). Dans l'étude de Lange et coll., si la prescription de folates avait un effet plutôt négatif sur le risque de resténose coronaire de sujets « stentés » en général, elle tendait à être bénéfique chez le malade diabétique (16).
En conclusion, il ressort de la littérature scientifique que l'hyperhomocystéinémie est un facteur de risque cardio-vasculaire indépendant à part entière, en particulier chez le diabétique de type 2. A ce stade de nos connaissances, il nous paraît donc rationnel et logique, chez des sujets diabétiques de type 2 à haut risque cardio-vasculaire, de prescrire de l'acide folique, d'autant plus que ce traitement ne connaît aucun effet secondaire. Cette stratégie se situe dans une approche plurimédicamenteuse ciblant les différents facteurs de risque cardio-vasculaire dans une prise en charge globale du malade, comme celle préconisée par l'étude STENO (17). Néanmoins, de nouveaux essais thérapeutiques devraient, demain, préciser si cette politique interventionnelle, amène un réel bénéfice prospectif en terme de morbi-mortalité cardio-vasculaire.
* Service d'endocrinologie et nutrition,
cliniques universitaires Saint-Luc
Bruxelles, Belgique
e-mail: buysschaert @diab.ucl.ac.be
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