DE NOTRE CORRESPONDANTE
L'ANDROSTÉNONE, une molécule odorante volatile dérivée de la testostérone, est trouvée dans la sueur et l'urine, en plus grande concentration chez les hommes que chez les femmes. C'est ainsi un puissant ingrédient de l'odeur corporelle masculine.
A l'instar de plusieurs odeurs, sa perception varie considérablement d'un individu à l'autre.
Tandis que l'androsténone est inodore pour 30 % des individus, certains lui trouvent une agréable fragrance vanillée, tandis que d'autres lui trouvent une repoussante odeur d'urine ou de sueur.
Le mécanisme qui sous-tend la variabilité de la perception des odeurs est inconnu.
«De nombreuses théories ont été avancées pour expliquer ces différences: l'expérience, la mémoire, l'origine ethnique...», précise, au « Quotidien », Hiroaki Matsunami (Duke University en Caroline du Nord). L'une des hypothèses est que certaines variations génétiques (ou polymorphismes) dans des récepteurs olfactifs pourraient y contribuer. L'équipe du Pr Leslie Vosshall, de la Rockefeller University, à New York, en collaboration avec l'équipe du Pr Hiroaki Matsunami, de la Duke University, en Caroline du Nord, a étudié cette hypothèse.
Le récepteur OR7D4.
Les chercheurs ont cloné une batterie de 335 récepteurs olfactifs humains (plus de 85 % des récepteurs olfactifs), puis les ont exprimés dans une lignée cellulaire afin de tester leur réponse à 66 molécules odorantes. Cela a permis de découvrir qu'un des récepteurs olfactifs, OR7D4, est activé invitro par l'androsténone, ainsi que par un stéroïde odorant apparenté, l'androstadiénone. En revanche, ce récepteur ne répond pas à 64 autres odeurs et à 2 solvants.
L'équipe a alors recherché des polymorphismes dans le gène OR7D4, en examinant près de 391 participants. Deux polymorphismes fréquents ont été mis en évidence, qui entraînent la substitution de deux acides aminés : R88W et T133M.
L'allèle le plus fréquent de ce récepteur est l'allèle RT, pleinement fonctionnel invitro, tandis que la fonction du variant WM est sévèrement altérée invitro.
Dans la plus grande étude de ce genre, l'équipe a évalué la perception olfactive des 391 participants (hommes et femmes). Ceux-ci ont dû chiffrer l'intensité perçue vis-à-vis de 66 odeurs, présentées à deux concentrations différentes. Les seuils de détection ont été mesurés pour l'androsténone et l'androstadiénone, ainsi que pour trois odeurs témoins. Enfin, les participants étaient invités à décrire la qualité de l'odeur perçue pour l'androsténone et l'androstadiénone, et pour deux autres odeurs.
Les résultats sont intéressants. En tant que groupe, les participants portant le génotype RT/RT perçoivent intensément l'odeur de l'androsténone et de l'androstadiénone, et la trouvent désagréable, voire nauséabonde. Par contraste, les sujets RT/WM sont plus susceptibles de percevoir moins intensément l'androsténone et l'androstadiénone, et de trouver l'odeur moins désagréable. Pour eux, l'androsténone ne sent pas l'urine, mais plutôt un parfum de vanille. Le groupe des sujets WM/WM est encore plus insensible à ces deux odeurs. Certains ne sentent pas du tout l'androsténone.
Deux mutations supplémentaires chez certains participants influencent leur sensibilité à l'androsténone, et l'une d'elles pourrait rendre les humains hypersensibles à cette odeur. «Nos résultats démontrent le premier lien entre la fonction d'un récepteur olfactif humain in vitro et la perception des odeurs», concluent les chercheurs.
«Notre travail montre qu'une fraction importante de la variabilité avec laquelle nous percevons l'androsténone et l'androstadiénone repose sur nos gènes», souligne Hiroaki Matsunami.
L'androsténone, une phéromone chez certains mammifères.
Cette découverte pourrait-elle avoir des incidences comportementales chez les humains ?
En effet, l'androsténone est une phéromone chez certains mammifères (comme les sangliers) ; elle est donc porteuse d'informations sexuelles et sociales. Or certains scientifiques se demandent si elle n'agirait pas aussi comme une phéromone chez les humains.
Des études ont montré que l'exposition à l'odeur de l'androsténone et l'androstadiénone peut affecter l'humeur et l'état physiologique des hommes et des femmes.
«Dans la prochaine phase de nos travaux, nous essaierons de savoir si ces changements sont aussi affectés par les polymorphismes dans les gènes des récepteurs olfactifs», fait entrevoir au « Quotidien » Andreas Keller, premier signataire de l'étude publiée dans la revue « Nature ».
«Puisque certains mammifères utilisent clairement l'androsténone pour communiquer leur sexualité et leur dominance au sein d'une hiérarchie sociale, il est intéressant de se demander si la même chose survient chez les humains, explique le Pr Vosshall. S'il en va de même, alors, qu'arrive-t-il aux humains qui ne peuvent capter le signal parce qu'ils ont une copie non fonctionnelle du gène? Et qu'arrive-t-il à ceux qui ont une copie hyperfonctionnelle?»
«Nous chercherons à déterminer si la faculté de sentir ces odeurs a des répercussions sur le comportement humain sexuel et social», ajoute Hiroaki Matsunami.
Keller et coll. « Nature », 16 septembre 2007, DOI : 10.1038/nature06162.
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