LA CULTURE DE CATASTROPHE porte ses fruits. « Tout le monde a bien compris qu'on peut mourir des suites d'une canicule », se félicite le Dr Frédéric Birgel. Cet urgentiste du Samu de Vannes s'était illustré le 5 août 2003 en activant, le premier en France, l'alerte d'un été 15 000 fois meurtrier. Ce jour-là, il avait lui-même relevé trois personnes décédées sur leur lieu de travail et prévenu, via la Ddass du Morbihan, la direction générale de la Santé. « A l'époque, personne ne réalisait ce qui allait se passer. Cette année, c'est presque trop : le 15 est saturé d'appels, non pas pour des hyperthermies, mais pour des malaises et des coups de chaleur. »
Même observation à Lyon. Dans le département du Rhône, parmi les premiers à faire l'objet d'une alerte de niveau 3 (sur une échelle qui en compte 4), la hausse du trafic téléphonique enregistré au 15 atteignait mardi 30 %, entraînant, selon le Pr Dominique Robert, chef du département des urgences médicales de l'hôpital Edouard-Herriot, « une suractivité assez difficile à gérer, mais (qui) ne dépasse pas les capacités habituelles ». « Les gens posent eux-mêmes leur diagnostic, constate ce régulateur qui déclare ne pas toucher terre ; papy est déshydraté, nous disent les appelants, qui nous demandent conseil sans donner l'impression de paniquer. Dans l'ensemble, le ton reste serein. »
Le Samu observe la situation à la loupe.
A Paris, le Pr Pierre Carli, confirme que les appels sont « plus nombreux qu'à l'habitude, certainement en raison de l'absence de surprise et de la meilleure connaissance du phénomène caniculaire ». Pour le directeur du Samu 75, « chat échaudé craint l'eau froide. Nous regardons par conséquent la situation à la loupe, tous les appels reliés à la chaleur faisant l'objet d'une codification hyperthermie, pour informer la zone de défense à la préfecture, la DGS et l'InVS (Institut de veille sanitaire) . Cela ne représente que quelques unités par jour, toujours avec un substratum spécifique, comme pour ce Parisien qui a été le premier mort et qui était atteint de la maladie d'Alzheimer. Il faudrait que l'épisode de chaleur se prolonge quelques jours encore pour que soient à leur tour frappées des personnes non déficientes. »
La consigne, donc, passée par les régulateurs, c'est de « boire beaucoup, mais tout en veillant à s'alimenter normalement, pour garantir un bon apport en sel. Et prendre soin d'aller se rafraîchir tous les jours, par exemple dans une salle de cinéma ».
Un message évidemment relayé par les pompiers. A la Bspp (Brigade des sapeurs pompiers de Paris), le capitaine Michel Cros souligne qu'il y a rarement lieu de faire usage du « lot canicule » dont sont dotées les équipes d'intervention depuis l'été 2004 (un sac isotherme, deux bombes brumisatrices, deux packs de glace, cinq compresses réfrigérables). La vigilance s'impose néanmoins : dans la nuit de mardi à mercredi une personne de 77 ans était retrouvée à son domicile décédée des suites d'hypothermie. Deux autres personnes âgées (81 et 95 ans) décédaient le jour suivant dans la capitale.
« Ce qui est certain, résume Xavier Bertrand, c'est que nous avons tiré les conclusions du drame de 2003. » Et le ministre de la Santé multiplie les déplacements sur le terrain pour s'assurer que partout, les pouvoirs publics, l'Etat, les départements, les collectivités locales, les associations, les maisons de retraite et les établissements de santé sont mobilisés.
La semaine dernière à Orléans et à Lyon, cette semaine à Créteil et en Seine-et-Marne, il souligne que « la priorité, c'est de faire reculer l'isolement des personnes les plus fragiles. » C'est ainsi que, à Paris, l'appel téléphonique quotidien des personnes qui se sont inscrites sur le fichier canicule a été décidé et la surveillance tant dans les établissements d'accueil de personnes âgées dépendantes que dans les résidences-appartements renforcée. Bertrand Delanoë « appelle chaque Parisienne et chaque Parisien à la vigilance (...) pour eux-mêmes comme pour leur entourage ».
« La situation est plus que tendue dans beaucoup de services d'urgence », signale le Dr Patrick Pelloux, qui estime cependant que l' « on n'a pas atteint un degré similaire, à ce stade, à la canicule de 2003 ». Mais le président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amhuf) prévient que « si la chaleur continue, les organismes des personnes les plus fragiles vont être dans une situation encore plus difficile et on va devoir faire face à des flux encore plus importants. Il faudra que le ministre de la Santé empêche la fermeture de lits prévue en juillet, sinon on ne pourra pas faire face, on sera obligé de déclencher les Plans blancs et les plans d'alerte. »
Pour sa part, Xavier Bertrand promet que 93 % des lits seront disponibles en juillet dans les principaux services hospitaliers et 88 % en août. Reconnaissant que « les services d'urgence depuis des années connaissent des difficultés », il assure que les 190 millions d'euros alloués cette année aux urgences « seront dans les établissements et non plus dans les agences régionales d'hospitalisation ».
« Ce que je veux, a-t-il insisté, c'est que, si jamais nous avons des tensions, tous les services de l'hôpital puissent être mobilisés et que si on n'a pas de place dans l'hôpital on sache aussitôt où acheminer les personnes qui souffrent de la chaleur. »
Des situations semblent localement délicates, comme à l'hôpital Sud-Francilien d'Evry (Essonne), où Sud Santé note qu'« il n'y a que trois ventilateurs affectés par service de 24 à 30 lits », alors que dans certaines chambres le thermomètre atteint les 37 degrés.
Les médecins libéraux sont sur la brèche.
Côté médecine de ville, même si la régulatrice des Urgences médicales de Paris (UMP) observait une activité plutôt à la baisse, les libéraux, selon l'expression d'un urgentiste d'Édouard-Herriot (Lyon), « tournent plein pot ». Présent aux côtés de Xavier Bertrand à Créteil, un représentant de l'Ordre des médecins du Val-de-Marne assure que « les médecins libéraux sont sur la brèche », ajoutant, au sujet de la permanence des soins : « Nous avons répertorié tous les médecins pour juin, juillet et août. Nous venons de vérifier toutes les listes de garde du département. »« C'est la mission de l'Ordre, commente le Dr Pierre Costes, mais je ne saurais accepter au passage aucune insinuation ordinale qui mettrait en cause les généralistes et nourrirait des suspicions sur leur travail. On ne va quand même pas leur demander de faire de la réanimation à la maison ! »
Le président de MG-France espère donc que, quoi qu'il arrive, « les généralistes ne tiendront pas lieu à nouveau de boucs-émissaires de la crise, alors qu'ils se dépensent sans compter pour repérer les décompensations liées à la chaleur, avec des symptômes souvent difficiles à caractériser chez des patients qui présentent d'autres affections. Cette prise en charge s'effectue selon des horaires diurnes et quotidiens, en dehors desquels ce sont les services hospitaliers qui sont à même de fournir les réponses thérapeutiques les plus appropriées. »
Vigilance pour les sans-abri
Alors qu'aucun sans-abri n'avait été repéré parmi les victimes de la canicule 2003, une personne sans domicile serait décédée dans la rue à Paris, des suites de la chaleur. Mais cette information a finalement été démentie par le Samu social. Sa directrice médicale, le Dr Suzanne Tartière, explique que le nombre des maraudes a été revu à la hausse. « Nous faisons le maximum pour distribuer des brumisateurs et des boissons, tout en incitant les gens à porter des vêtements légers. Dans les centres d'hébergement, nous avons remplacé les draps en papier par des draps en tissu qui peuvent être humidifiés. Alors que l'hiver, le réflexe de signalement des personnes exposées aux grands froids est fréquent, il faudrait inciter le public à offrir une bouteille d'eau fraîche à la personne en danger de déshydratation sur le trottoir. »
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